Esclavage et/ou séquelles (3) : Enfants de squats et de chantiers à Nouakchott

14 December, 2017 - 01:00

Les familles de squats et de chantiers à Nouakchott se déclarent, presque toutes, ignorées des organisations de défense des droits humains qui  pullulent, pourtant, dans la capitale et un peu partout à l’intérieur du pays.  Elles affirment ne bénéficier aucunement de leur attention. «  Nous ne les voyons qu’à la télévision ; de notre malheur, elles ne font que leur fonds de commerce », se plaignait  une des personnes rencontrées au squat de Tevragh Zeïna, près la mairie. Aussi avons-nous choisi d’approcher, en cette troisième partie de notre reportage, une de ces organisations, en l’occurrence l’Association  des Femmes Chefs de Famille (AFCF), qui défend spécifiquement les droits des femmes et des enfants, pour recueillir sa réaction et voir si et ce qu’elle entreprend, au soutien de ces familles.

 

AFCF au secours des filles mineurs domestiques

Aminetou mint Moctar, sa présidente, renseigne que son organisation a mis en place un projet, dénommé « Filles mineures  domestiques » dont l’objectif est de soustraire, de la domesticité, le plus possible de filles mineures ; des filles ordinairement surexploitées, souvent violentées, par leurs employeurs et/ou employeuses, parfois mariées de force. L’action consiste à financer des Activités Génératrices de Revenus (AGR), après étude affinée de terrain.

Concrètement, il s’agit d’aider les familles démunies à envoyer leurs enfants à l’école,  à les soigner, s’ils sont malades, et à les protéger contre les nombreuses tentations de la ville. Une assistance judiciaire aux familles est également au programme, parce que ces enfants sont, dans la majorité des cas, en conflit avec la loi. « Essentiellement issus de familles haratines, nombre d’entre eux, conducteurs de charrettes dans les quartiers  nantis de Nouakchott, se livrent  au vol ».

Lancé en septembre 2009, grâce au financement de l’Union Européenne (UE) et de  Terre des Hommes, « Filles mineures  domestiques » travaille dans tout le pays, notamment les neuf communes de Nouakchott, et  « touche », selon la présidente de l’AFCF, « neuf mille familles, notamment celles disposant de terrain à usage d’habitation. En s’appuyant sur cent soixante-huit assistantes sociales : soixante à Nouakchott, le reste à l’intérieur du pays », indique-t-elle, « le projet a permis de sortir beaucoup de filles de la précarité ». Il a ainsi profité à nombre d’habitants d’El Mina. Point focal d’AFCF, Maïmouna y ratisse le terrain, à la recherche de femmes chefs de famille avec des enfants à charge. Nous l’avons rencontrée au cours d’une journée de sensibilisation organisée, par AFCF, en collaboration avec le COMEDUC, à Arafat. Elle nous rapporte l’expérience de femmes qui bénéficient  de l’appui d’AFCF, par AGR interposée. Grâce à ces petits fonds, elles ont réussi  à sortir de la précarité et à envoyer leurs  filles à l’école…

 

Loubaba

C’est au quartier Keba Leighreiga que Maïmouna nous fait visiter la famille de Loubaba, mardi 21 Novembre. A l’approche de la quarantaine, la dame cause avec des voisines  dans  la rue, devant sa maison, comme le font de nombreux Nouakchottois des  quartiers périphériques. Son époux vient de rentrer du boulot et s’affaire autour de sa charrette. Loubaba nous introduit dans sa maison : quatre chambres, un  hangar et des toilettes.  Les filles sont occupées aux tâches ménagères de la famille.

« Comme vous le constatez de visu, nous sommes une famille démunie. Mon mari  que voilà »,  l’homme s’est assis près nous et écoute avec intérêt, « ne dispose  que d’une charrette qui rapporte, à l’occasion, un petit quelque chose à la famille, très insuffisant pour satisfaire nos besoins […] Avant l’arrivée du projet  AFCF, mes filles, âgées de  13 et 12 ans, travaillaient comme domestiques, de 8 heures à midi, et, moi, je revendais du poisson.

Grâce à l’AGR d’AFCF que nous remercions au passage – AGR financée à hauteur de cinquante mille ouguiyas – je me suis engagée dans le commerce des voiles ; l’AFCF octroie des fournitures scolaires à mes filles qui ont repris le chemin de l’école. Elles en étaient privées à cause de la pauvreté de notre famille. Leur travail domestique la soulageait. Maintenant, j’achète du tissu, je le couds, le teins et le porte au marché. J’y ai même initié les filles. Tout ça, grâce à l’AGR ! ». Selon Loubaba, le prix du voile varie entre 2 500 et 12 000 UM. « Dieu merci, nous arrivons à survivre avec ça mais la situation reste très difficile », avoue-t-elle à une cousine qui vient d’appeler de Gambie.

 

Aminetou : « Il n’y a pas de  sot métier »

Comme Loubaba,  Aminetou a mis en route une AGR, grâce à un financement identique de l’AFCF. Mais, contrairement à Loubaba, Aminetou  est veuve, avec une famille nombreuse à charge, à laquelle s’ajoutent des parents qui viennent à l’improviste, de l’intérieur  du pays ou, même, de Nouakchott. « Il nous arrive, parfois de ne pas prendre de petit déjeuner…». Toute la famille vit entassée dans  un petit salon.

« C’est grâce à l’appui d’AFCF que j’ai pu construire une partie de la clôture de la maison et une petite cuisine. Il arrive que nous dormions tous sous le hangar, quand nous avons des hôtes à la maison ». Avec  Fatimetou, Mariem, Fatma  et  autre Marième, autres veuves très démunies, Aminetou  a entrepris de fournir en haillons les femmes qui  confectionnent des  tentes, à la mosquée marocaine ou au PK 12 de Nouakchott. Elles forment comme une espèce de petite entreprise. Ses compagnes d’infortune  s’affairent autour des lambeaux de tissus  teints en bleu et les rassemblent, cousus les uns aux autres. C’est un travail quotidien, chaque après-midi. L’une de ces ouvrières nous apprend que son mari est handicapé depuis bien longtemps et que l’une de ses filles qui travaillait comme domestique, à Arafat,  avait été menacée d’un couteau, par un patron qui refusait de lui payer son traitement.

« Tôt le matin », explique Aminetou, «  nous partons, avec nos enfants, à la  recherche de ces bouts de tissu que vous voyez, nous guettons les enfants qui transportent les ordures  sur des charrettes  ou qui fouillent dans les nombreux dépôts de la ville, nous les leur achetons à 50 UM la pièce, nous les lavons, à la maison, munies de gants de protection, avec de l’eau de Javel. Après cela, nous les teignons et les cousons enfin, comme vous le voyez ». C’est un travail lourd, risqué même, mais il est le seul qui permet, à ces femmes, de subvenir à  une partie des besoins de leur famille, souvent nombreuse. Et Aminetou de conclure : « Quelqu’un qui n’a rien ne peut rien refuser. En somme, il n’y a pas de sot métier, pour faire vivre ou survivre sa famille ».

Autres activités de ces femmes, le ramassage  et la  vente de bouteilles d’eau minérale vides aux Chinois. Le Kg est payé 30 UM, soit, en moyenne, un revenu journalier d’à peine 400 UM. Un travail  de fouille non sans risque, pourles nombreux enfants  et, même, adultes qui s’y livrent. Des risques pour leur santé  et pour leur vie. « Nous partons très tôt le matin, en quête de ces bouteilles […] Un jour », nous raconte avec émotion une de ces dames, « un enfant qui s’était endormi à côté d’un gros tas d’ordures, probablement fatigué par  ce travail, a été   écrasé par un tracteur  qui  chargeait une  benne ».

Mais les aventures de ces pauvres femmes qui travaillent pour éviter que leurs filles deviennent des domestiques et leur permettre d’aller à l’école ne s’arrêtent à ces travaux parfois risqués. L’appui des ONG n’est pas une toujours une sinécure. « Et reste trop souvent sans suite ! », clament ces dames infortunées. Et de citer une institution, Finance Halal, qui leur a proposé d’épargner,  pour bénéficier d’une AGR. Le livret d’épargne est cédé contre 5000 UM, avec des gages sur leur maison. L’organisation  octroie alors 50000 UM, remboursables en six mois. « Finance Halal perçoit, en définitive, 15000 UM, sur chacune d’entre nous qui doit, de surcroît, dépenser 400 à 600 UM pour se rendre au siège de l’agence ». Beaucoup se sont découragées et ont fini par abandonner, tout en  gardant leur livret d‘épargne et en s’interrogeant sur le sort qui sera réservé à leurs gages.

Autre difficulté sur le  chemin de ces femmes, la hantise du viol, fréquent dans leur quartier de Keba Leghreiga : « ça nous cloue, parfois,  à la maison, de peur que les bandes de voyous qui écument le quartier, armés de couteaux et de coupe-coupe, ne profitent de notre absence pour violer, en plein  jour, nos petites filles mineures.  Et Maimouna, le point focal d’AFCF, de renchérir : « Oui, c’est vrai, pas une nuit qui ne passe sans agression ou viol dans le quartier.  Il a fallu sensibiliser les familles, les amener à s’organiser, à monter des brigades de vigilance nocturne, pour  diminuer les risques ».

 

Reportage réalisé par DL

Au service du programme : « Liberté, droit et justice

pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie »

du Département d’Etat des  Etats Unis d’Amérique