Mauritanie d’origine

9 January, 2018 - 01:08

C’est sous le malheureux titre « Les Mauritaniens face à la pénétration française, de 1900 à la première Guerre mondiale » que Ba Aliou Ibra a publié, l’année dernière (1), un de ses travaux universitaires, soutenu, en Octobre 1975, à l’Université Paris VII. Comme le rappelle si bien Abdel Wedoud oud Cheikh, dans la préface dont il a volontiers honoré l’ouvrage – signe, déjà, de la qualité de son contenu –  « […] la résistance [était] devenue, à l’époque en question, surtout une affaire de Maures ». Il eût donc été préférable d’intituler ce travail : « Les Maures face à la pénétration française, de 1900 à la première Guerre mondiale ».

Ce faisant, l’auteur eût coupé au « mauvais procès », à tout le moins « manque de rigueur scientifique », comme il se plaît à le souligner dans son avant-propos, l’accusant « de ne pas avoir parlé de la résistance des Négro-africains de Mauritanie » (p 7). Et pour cause : leur combat armé s’était déroulé dans le demi-siècle précédent, sans l’aide des Maures tenus à distance, par les Français, moyennant divers arrangements, notamment dans le commerce de la gomme (p 14). Conséquence : « […] les populations noires sont, depuis 1891, soumises à la domination directe de la France. Pour elles, le problème à l’ordre du jour, au début du 20ème siècle, est la lutte pour l’indépendance ; les Maures, eux, essaient d’empêcher la France de pénétrer dans leur pays. Il y a, là, deux degrés différents d’opposition à une domination étrangère » (p 38-39).

Ce que signale ce constat, en dépit de la qualification, aussi systématique que prématurée, des Maures en Mauritaniens, c’est qu’en 1900, la Mauritanie n’existe pas. Avec ce paradoxe qu’elle va naître sous la férule des envahisseurs qui se sont, pourtant, ingéniés à exploiter les divisions entre les formations sociales composant son espace (p 18-19, 32-35, 134, etc.). Mais, aussi habile fut Coppolani à caresser l’islam des chefs maraboutiques dans le bon sens de la convivialité, il n’en meurt pas moins sous les coups d’un des leurs, Sidi ould Moulaye Zeïn, et « l’idée religieuse », cette fois en référence nette au djihad, appuyée, notamment, par Cheikh Ma El Aïnine, devient « le mortier qui doit souder » les éléments « disparates » de la nation (p 130-131). Si les Français parviennent à en minimiser l’impact guerrier, sur les populations noires non-maures (p 42-44, 67), ils n’en sont pas moins amenés à des changements d’alliance, en recourant, notamment, à des éléments de plus en plus populaires des tribus guerrières (p 107-114, 132-133), pour composer leurs unités méharistes.

En relevant, également, les aléas du climat (p 123, 135) sur le sort de la guerre, Ba Aliou Ibra a probablement bouclé le tour des contraintes qui ont pesé sur cette importante phase de gestation de la nation mauritanienne. Cela fait, l’œuvre de l’éminent administrateur et député haalpulaar ouvrira-t-elle un débat plus approfondi sur les fondements et la construction de la Mauritanie ? Il faut, plus que le souhaiter, s’y atteler, sans tarder. Car la capacité à répondre, islamiquement ensemble, aux défis de l’environnement – au sens le plus large du terme, incluant, donc, le social, l’économie, l’international, le climat, l’écosphère dont nous sommes tous parties prenantes – ne se résume certes pas à une attitude oppositionnelle, en dépit de ce que les vicissitudes de l’Histoire ont pu nous y contraindre. Faire, de la Mauritanie, une valeur de paix et de responsabilité – d’islam, donc, au sens le plus dynamique du terme – ne demeure-t-il pas, en définitive aujourd’hui, le vrai djihad des Mauritaniens – Haalpulaaren, Maures, Soninkés, Wolofs et autres naturalisés – non plus face, mais à partir de la pénétration française ? C’est alors que le pays aura, vraiment et définitivement, digéré celle-ci. Pour apporter, enfin, au Monde, sa propre origine…

Tawfiq Mansour

 

 

(1)  : Ba AliouIbra, « Les Mauritaniens face à la pénétration française, de 1900 à la première Guerre mondiale », Nouakchott, Septembre 2017.