M.Ibrahima Mifo Sow, vice-président des Forces Progressistes du Changement, ex-FLAM :

17 September, 2014 - 10:18

‘’Le changement de nom ne remet pas en cause ni notre discours, ni nos options, encore moins notre détermination à combattre l’ordre inique qui régit notre Etat’’

 

Le Calame : La tenue du congrès des FLAM devenues, depuis, le 30 août dernier, forces progressistes du changement a suscité diverses réactions. Pour certains milieux « arabo-berbères », les pouvoirs publics devraient empêcher la tenue de ce congrès parce que tout simplement, ils estiment que  ce mouvement développe un discours  « extrémiste, raciste » voire  « sécessionniste » surtout après la publication du texte sur l’« autonomie ».

Pourquoi, à votre avis, ce mouvement continue-t-il à susciter  tant de « méfiance », voire de « peur »  de la part d’une grande partie de la communauté beïdane?

Ibrahima Mifo Sow: En tentant d’empêcher la tenue de notre congrès en Mauritanie sur la seule base de l’opinion, hostile, de ces “milieux arabo-berbères”, comme vous le dites, le pouvoir prouve, a postériori, le peu de souci qu’il fait de l’intérêt général. Dans le cas du congrès des Flam, comme dans l’incident tout récent de Niabina, une ethnie met en branle l’administration et la force publique, dont elle assure le monopole exclusif, pour mettre au pas les autres. Le droit n’a aucun sens ici, seuls doivent prévaloir l’opinion et les fantasmes de cette ethnie. Voilà où se situe le vrai extrémisme, avec son corollaire d’injustices et d’intolérance.  Il faut qu’on se le dise, l’oppression conduit inéluctablement à la révolte. Et le concert de cris de ras-le-bol qui se lèvent actuellement de tous les milieux discriminés sonne comme un signe avant-coureur de danger que les tenants du statu quo oppressif se refusent, malheureusement, à entendre.

En tout cas, nous, sous sommes sortis de l’exil avec les meilleures intentions possibles. Nous avons cru que le moment était venu pour que les Mauritaniens se parlent, en toute sincérité, débattent avec la volonté d’apporter des solutions consensuelles aux problèmes qui plombent la cohabitation de nos ethnies. Nous n’avons jamais prôné ni la division du pays, ni la violence comme option irréversible pour régler nos contradictions politiques. Au contraire, même aux moments les plus tragiques de l’histoire de notre pays, nous ne nous sommes jamais départis de notre disposition au dialogue et à la concertation. Malheureusement, l’opinion maure a été durablement et profondément abusée par l’idéologie vicieuse de la culture de l’irrationnel entretenue, des années durant, par Maouiya, avec l’aide de ses maitres à penser, en suscitant une solidarité de corps face à un ennemi fantasmé, pour se maintenir au pouvoir en dépit de son inaptitude et son incompétence.

 

 

 

-Dans une émission sur Radio Nouakchott, le président des FPC a tendu la main à cette composante à laquelle il voudrait  désormais parler pour dissiper justement ces « méfiances  et craintes» De quelle stratégie disposez-vous pour relever ce qui ressemble fort à un gros challenge?

Nous allons continuer à nous investir dans la campagne de communication et de contacts directs pour mieux nous faire connaitre et mieux faire appréhender nos idéaux de partage et de complémentarité. La tâche ne sera pas aisée d’autant plus que l’espace de communication reste encore exclusivement contrôlé par des lobbies réfractaires au changement et hostiles à la diversité. Notre volonté s’inscrit, cependant, dans une logique de long terme pour venir progressivement à bout des résistances et des peurs pendant longtemps entretenues. D’ailleurs, quand on voit certaines figures s’afficher ouvertement à nos côtés, on se dit qu’on est en bonne voie.
 

 

 

-Le texte sur l’autonomie a fait beaucoup jaser. Pour certains, « les négro-mauritaniens réclament désormais l’indépendance du sud du pays.» Pouvez-vous expliciter davantage ce texte qui n’est, comme votre président l’a réitéré sur la même radio, qu’une « proposition politique » adressée à l’opinion politique nationale ?

Maintenant que le texte sur la proposition d’autonomie a été rendu public, j’espère que les supputations délirantes sur les prétendues velléités sécessionnistes des Flam se tasseront. Mais il y a fort à parier qu’il s’en trouvera toujours des sceptiques qui vont douter de la bonne foi de notre organisation, devenue désormais FPC, en criant à la ruse de guerre ou d’invétérés contempteurs poursuivant l‘interminable procès d’intention qu’ils instruisent depuis tant de temps contre nous. Les uns et les autres tenteront de nous installer dans des débats distractifs qui évitent de chercher justement les bonnes solutions à la mauvaise cohabitation.

 

 

 

-Justement, à ce propos, le tout nouveau président de l’UPR, Ould Maham vient de qualifier ouvertement les FLAM d’être une organisation séparatiste et a condamné son projet d’autonomie qui menace, selon lui, la cohésion du peuple mauritanien et l’intégrité du pays. Que répondez-vous à cette critique?                

Il fait dans la démagogie et la stigmatisation. Face à des questions délicates qui exigent analyse et circonspection, ce n’est pas de l’invective que l’on attend d’un responsable politique de son rang, à moins que le rôle que le président Aziz lui a fait endosser, par cooptation, à la tête de son parti ne lui sied pas du tout. La cohésion et l’intégrité dont il parle ne se maintiendront pas par de simples incantations. Seuls des actes et de la volonté politique allant dans le sens de la justice et de l’inclusion pourront garder ensemble nos communautés, diverses, et aux intérêts quelquefois divergents. Qu’il prenne donc le temps d’apprendre son rôle et aussi de lire calmement notre proposition.

Revenons à l’esprit et à l’intention de notre proposition de réorganisation territoriale et administrative de notre pays, autrement appelée projet d’autonomie.

Nous partons d’un constat patent: l’Etat unitaire centralisé actuel a échoué dans sa mission de réaliser la république des citoyens. A la place, ce sont plutôt des groupes de populations intrinsèquement motivés par leur  appartenance communautaire, tribale ou ethnique et  en état de belligérance plus ou moins latente autour du contrôle du pouvoir. La faute en incombe aux régimes successifs qui n’ont pas pu s’affranchir du carcan identitaire, ils ont installé plus généralement des politiques d’hégémonie raciale, et quelquefois de favoritisme tribal qui ont fini par exacerber les antagonismes de groupes. La situation de la coexistence de nos communautés apparait de plus en plus délétère. Il est donc un choix à faire entre garder un système inadapté à nos réalités,  que nous n’avons d’ailleurs pas choisi, et dont la nocivité a été prouvée, ou, tenter une gouvernance de proximité, plus à même de répondre, croyons-nous, aux attentes spécifiques de chacune de nos communautés tout en préservant l’indivisibilité de notre Etat.

Pour nous l’autonomie consiste à décentraliser au maximum le pouvoir en confiant certaines  prérogatives aux collectivités locales constituées à partir du redécoupage du territoire en quatre régions autonomes sur la base des critères qui allient vocation économique (vocation minière, agricole, pastorale...) et appartenance à des aires historiques et culturelles de nos entités. Il s’agit en fait de l’autogestion des communautés de leurs propres affaires  au plan économique, social et culturel sans préjudice pour l’ensemble national. Le pouvoir central conserve tous les attributs de la souveraineté comme l’armée, la monnaie, la diplomatie…

Notre solution par l’autonomie a, en résumé, un double avantage. D’’abord, l’administration régionale issue directement des communautés en question sera nécessairement plus proche des préoccupations des administrés, et ensuite les tensions tant intertribales autour des enjeux du pouvoir qu’inter- communautaires au sujet des droits culturels et linguistiques s’en trouveront réduites.

 

 

 

-Au lendemain du congrès, une fronde s’est déclarée parmi les cadres du mouvement qui ont décidé de contester la légitimité du congrès, sa « débaptisaion ». Comment en est-on arrivé là et qu’entendez-vous faire pour y faire face ?

Oui, il y a un groupe de militants qui ne partage pas la décision de changer la dénomination de notre organisation. Il faut dire d’abord que l’unanimité s’est faite, à l’issue de débats inclusifs au sein de toutes nos structures, sur la tenue de ce congrès extraordinaire convoqué pour parachever le programme de réimplantation de notre organisation dans le champ politique national, même si à l’arrivée, pour des raisons d’indisponibilité et de convenance, certains membres pressentis n’ont pu faire le déplacement.  Ensuite, moi, je constate que ce changement de nom, qui est, du reste, une forte demande de notre base intérieure, ne remet en rien en cause ni notre discours, ni nos options, ni encore moins notre détermination à combattre l’ordre inique qui régit notre Etat. C’est cela l’essentiel. Gardons cet essentiel et allons de l’avant pour faire face, unis et soudés, aux défis coriaces qui veulent mettre en échec l’ambition que nous avons pour la Mauritanie reconstruite.

La clarté de vision et l’audace imparable de notre projet de société vaillamment défendues par notre président et nos militants ont pris à défaut, sur le terrain, les partisans du système discriminatoire. C’est ce  qui explique l’hystérie haineuse qui s’est emparée collectivement de tous les pans du système contre nous. Notre division ne pourra que prêter main forte à nos détracteurs. L’heure donc doit rester à notre union sacrée pour faire face. C’est pourquoi, je demande à ceux qui en seraient tentés, en notre sein, de reporter, pour importants qu’ils sont, les débats sur les symboles et les procédures.

De bonnes volontés s’investissent déjà dans la recherche de solutions qui vont ramener la sérénité au sein de nos rangs, c’est à dire tous ceux qui sont de conviction flamiste, quel que soit le nom que prendra la structure qui nous rassemblera pour prendre en charge, ensemble, les causes justes pour lesquelles nous avons tant donné. La lutte doit continuer

 

Propos recueillis par Dalay Lam