Autour d’un thé : L’argent

29 March, 2018 - 01:57

Les Mauritaniens sont des vendeurs nés. Tous les Mauritaniens vendent. Ils vendent tout. Ah, ça, oui, c’est une culture, quasiment, même, une nature, en Mauritanie, que de vendre et acheter.  C’est dans la tête, c’est dans les gènes, c’est même architectural. Regardez nos maisons, nos villas, nos hangars. Toujours une boutique en un, au moins, de ses quatre coins. Qui ne vend pas ne vit pas : devise, s’il en est, des Mauritaniens. On vend du pain de bois et des arachides dans la rue, tout comme des médicaments soigneusement étalés, en plein air, au marché Capitale. Tout comme l’eau, l’air et la terre. Les consciences, aussi. C’est la fameuse règle de « Chi mavichi » ou de « Dakhel chi ». En tout cas, « Chi » est là-bas. Du sommet à la base et vice-versa. Qu’il est difficile de ne pas aimer l’argent ! Mais il faut le faire modérément. C’est cet amour démesuré de l’argent qui nous a tués : « L’argent m’a tuer », francophiles et francophones, à vos souvenirs et à vos plumes ! C’est l’argent qui nous fait courir partout. De Fassala au Rwanda. C’est l’argent qui nous fait mentir. C’est l’argent qui nous fait trahir. C’est l’argent qui nous fait changer. C’est l’argent qui nous fait déconner. C’est l’argent qui nous fait disjoncter. C’est l’argent qui nous fait rater notre histoire. Notre culture. Notre géographie. C’est l’argent qui nous fait oublier. Qui nous fait jubiler. Qui nous fait danser. Qui nous fait chanter. Qui nous fait applaudir. Qui nous fait faire n’importe quoi. Trois millions d’entre nous tiennent boutique à chaque coin de rue. Trois millions d’entre nous, des pharmacies, à chaque contour. Trois millions d’entre nous revendent de produits de seconde main. Trois millions d’entre nous, des « Envoyer Crédit ». Trois millions d’entre nous, des boucheries « modernées » (francophiles et francophones, bouchez-vous les oreilles !). Trois millions de fournisseurs. Trois millions de lunetiers. Trois millions de quincaillers. Trois millions de boulangers. Trois millions de transitaires. Nous sommes les champions, toutes catégories, du tout à la fois. Instituteur/journaliste/revendeur de cartes de recharge : Mauritel, Mouritani, Chinguitel et Mattel ; voire Malitel, Orange, Tigo et Itissalet El Maghreb/imam de mosquée/taximan/toujours-debout-dans-une-boutique-Emel/Tieb-tieb dans une bourse de voitures et postulant à faire office de muezzin au Qatar ou aux Emirats. Ingénieur en halieutique/commissaire aux comptes d’une entreprise/enseignant de fiqh à l’Université d’Aïoun/Premier conseiller à l’ambassade du Zimbabwe/membre du conseil d’administration du Centre hospitalier national/membre du Conseil national de l’Union Pour la République. Conducteur d’engin à feue ENER/notable communautaire/membre de la Commission de la surveillance lunaire/muezzin de la vieille mosquée de Djiguenni/agent à la BCM/conseiller à la Primature/retraité d’Air-Afrique/ancien speaker de radio Mauritanie du temps où elle émettait depuis Saint-Louis/membre de la Commission centrale de la supervision à l’adhésion à l’UPR au Hodh Chargui. Et, tiens, puisque le « sujet l’a emmené », l’argent, il est même dans cette histoire d’adhésion ! Enfin, c’est ce qu’on entend dire. Selon des sources « proches de certains proches des responsables » chargés de ladite supervision, une carte d’identité coûte, selon la wilaya et le département, entre mille et deux mille de nos vieilles ouguiyettes, soit entre cent et deux cents nouvelles. Parfois, en espèces ; parfois, en nature : à défaut du billet, un sac de blé. Autrement dit, si tu veux une tonne de celui-ci, il faut présenter vingt cartes d’identité nationale. Comme je le disais d’emblée, toujours cette logique, obsédante, culturelle, naturelle, d’acheter et de vendre. Entre un vendeur et un acheteur, n’est-ce pas comme entre l’arbre et son écorce ? On n’y met pas plus le doigt, dans un cas comme dans l’autre… ce serait même prohibé, dans le premier. Du moins selon l’islam. Et ne sommes-nous pas en république islamique ? Sinon, où ? Salut. 

Sneiba El kory