Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, membre du groupe des personnalités indépendantes du FNDU et ancien président de la CENI : ‘’Ould Abdel Aziz devrait comprendre que le verre est désormais trop plein et qu’il faut savoir s’arrêter de mépriser son peuple’’

30 August, 2018 - 04:31

Le Calame : Commençons  cet entretien par cette question d’actualité : Que vous inspire  la décision de la justice de saisir les avoirs en banque de Mohamed  Bouamatou et Mohamed Debagh alors que l’affaire dans laquelle ils sont impliqués n’a même pas  encore été jugée ?

 

Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine : D’essence éminemment politique,  la saisie des avoirs bancaires de Bouamatou,  même si  le parquet a dit qu’elle constitue une simple  mesure conservatoire et  légale, va dans le droit fil de la campagne d’acharnement  menée par le pouvoir contre cet homme d’affaires qui vit en exil. Les conséquences de cette mesure sont d’autant plus déplorables  qu’elles n’épargneraient  pas  les activités caritatives  de ce mécène, en particulier  celles de  son hôpital ophtalmologique qui soignait gratuitement des milliers de citoyens pauvres depuis de longues années.

 

 

La campagne électorale pour les élections municipales, régionales et législatives a démarré, il y a déjà plus d’une semaine. Quel est à votre avis, l’enjeu de ces élections ? Que vous inspire cette ambiance de campagne ?

L’enjeu de ces élections réside évidemment dans   la nature de la carte politique qu’elles devraient dessiner au lendemain du  scrutin du 1er septembre. L’opposition  attend du résultat de ces  élections qu’il puisse,  à  l’horizon des  présidentielles de 2019,  autoriser  la possibilité  d’une alternance pacifique  à la  tête  de notre pays, pour   une réelle rupture avec le système actuel et sa gestion despotique. Pour cela, elle  devait obtenir  plus du tiers des   sièges au parlement et des scores en rapport sinon meilleurs,  au niveau des autres scrutins  municipaux et régionaux 

Au contraire, le pouvoir et sa majorité ou ceux qui en  profitent le plus, tout au moins, espèrent  que le verdict de ces urnes soit suffisamment en leur faveur, non seulement   pour garantir   la continuité de leur   système  et l’impunité dont ils ont joui jusqu’à présent,  mais aussi, pour   permettre au  Président de dérouler ses plans alternatifs, le cas échéant. Cela suppose  le gain d’au moins  deux tiers des sièges du futur parlement, cette fameuse    majorité confortable qui lui  permettrait, selon ses propres et dernières déclarations,  de faire passer,  comme une lettre à la poste, toutes les modifications constitutionnelles dont il pourrait avoir besoin.

S’agissant de l’ambiance de la campagne, en  dehors de la cacophonie induite par la pléthore  de candidats et listes candidates et de la langue de bois de leurs discours, on est  surtout frappé par la débauche  de  moyens matériels mis en œuvre par les uns et la rusticité  qui caractérise  cette logistique chez les autres. C’est la preuve, par rapport  aux élections précédentes, que  les riches se sont davantage enrichis et que les pauvres sont devenus  encore plus démunis.  

 

 

Près d’une centaine de partis  prennent part à ces scrutins. Certaines circonscriptions totalisent jusqu’à près d’une cinquantaine de partis politiques. Pensez-vous que la CENI saura relever  le défi de l’organisation, le 1er septembre ?

Il ne fait pas de doute que sur le plan de l’organisation matérielle,  l’hyper inflation des candidatures, aussi bien pour les scrutins législatifs que régionaux et municipaux en perspective,  sans précédent  dans l’histoire électorale de notre pays,  requiert   beaucoup de travail au niveau de la CENI et une grande  coopération de la part de tous les acteurs politiques et de la société civile impliqués.

 

Déjà mal  préparées en amont, avec le retard de la mise en place de  la CENI  et la création ex nihilo,  en quelques semaines, du fichier électoral,  ces élections  sont par ailleurs condamnées à connaitre une forte  déperdition de voix.

En effet,   aux prises avec une   pile de cinq volumineux   bulletins de votes et des listes kilométriques de candidats,    les électeurs les plus perspicaces auront des difficultés à  voter correctement.

Auparavant, la CENI devrait  mettre les bouchées doubles pour faire  face à une très lourde  opération  logistique  allant de la commande à la mise en place, sur l’ensemble du territoire national,  de tout le matériel électoral, en un laps de temps très limité. Un travail titanesque.      

Selon mes informations et sauf impondérables éventuels, les dispositions nécessaires auraient  été prises à cet effet par cette  institution  qui aurait également  décidé de limiter à 500 le nombre de votants dans un même bureau de vote.

Combinée avec l’installation de plusieurs isoloirs par bureau,  cette dernière mesure pourrait  améliorer la fluidité des opérations.

Enfin, et pour atténuer   le risque de contestation, la CENI devrait  non seulement choisir des présidents et membres des bureaux de vote honnêtes et  non contestés mais aussi  faciliter l’organisation, à l’intérieur de ces bureaux, du début  de l’opération,  jusqu’à la signature des procès verbaux, de la représentation des candidats et listes candidates, sur l’ensemble du territoire national.

Cette mesure est pour moi  essentielle sinon la seule garantie de transparence et d’équité  que la CENI  peut encore  offrir  aux  protagonistes de cette compétition, déjà fortement échaudés.

 

En un mot, l’organisation du  scrutin  du 1er septembre prochain sera  matériellement très lourde  et difficile mais la CENI et son Président doivent tout faire pour en  rendre les résultats acceptables pour l’ensemble des acteurs participants en particulier ceux qui ont consciemment pris  le risque d’y aller  en dépit de son impréparation  et de toutes les irrégularités qu’ils lui sont reprochées  en amont.

Sinon, on  est en droit de craindre, qu’après avoir avalé  les grosses couleuvres de la  désignation unilatérale  des membres de la CENI et celle d’un fichier électoral établi à la va-vite,  ils puissent  nous réserver de grosses surprises si leurs droits étaient encore  bafoués le jour du vote.

 

 

 

 

Le 23 courant, le FNDU a publié un communiqué dénonçant ce qu’il  appelle  l’implication du président de la République et son administration dans la campagne en faveur du principal parti de la majorité présidentielle, à savoir l’UPR. Pensez-vous que cet engagement du chef de l’état  pourrait influer sur le résultat des élections?

Avant de dire si cet engagement frénétique  pourrait ou non influer sur les résultats de ces élections,  il faut d’abord en déplorer le manquement à l’éthique ainsi que   le caractère non seulement inédit mais aussi résolument anticonstitutionnel. En effet, pour ceux qui font  semblant de l’oublier et  pour  vos lecteurs, permettez moi de rappeler textuellement les dispositions d’un alinéa de l’article 29 de notre loi fondamentale qui stipule, au milieu du  serment  constitutionnel prêté  par notre Président :

((Je jure par Allah, l’Unique, de ne point prendre ni soutenir directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire à la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la durée du mandat présidentiel et au régime de son renouvellement  prévues aux articles 26 et 28 de la présente constitution))

Comment peut-on qualifier ses  propos,  lorsque notre Président, dans tous ses derniers  discours publics, devant les  partisans de sa majorité, ne cesse d’exhorter ces derniers à voter massivement aux prochaines législatives pour  donner à son parti  une majorité parlementaire suffisamment confortable pour  lui permettre  de faire voter  les modifications constitutionnelles nécessaires à son maintien au pouvoir ?

 

Cela dit, et pour répondre à votre question,  il est évident que dans un pays où toutes les institutions sont inféodées à la personne du  chef de l’exécutif, la capacité de ce dernier à peser  sur le choix des élus et des électeurs n’a d’égale  que son pouvoir illimité de sanctionner   ou de récompenser selon les cas. Cette épée de Damoclès, qui a déjà fait plier un bon nombre de postulants  rivaux à ceux de l’UPR qui ont retiré leurs dossiers de candidatures,  en dissuadera probablement d’autres encore  à se maintenir en lice. Sauf ceux   qui ont  désormais décidé de braver le mépris et les menaces  érigés en mode de gestion politique au sein du parti état.

 

 

 

Lors de son récent déplacement à l’est du pays mais aussi  au cours de la cérémonie  d’ouverture de la campagne, le président de la République aurait dit, à l’endroit de ceux qui réclament un 3e voire un 4e mandat  de voter pour l’UPR, afin d’atteindre cet objectif. Que vous inspire cette sortie ? Quelles en peuvent être les implications politiques ?

Jusqu’à une date récente  une telle sortie pouvait  être interprétée   comme une manière de dire à  ceux qui sont attachés à ce  régime  qu’ils   devraient le prouver en votant pour l’UPR, censé être le parti qui  hériterait de ses réalisations.

Mais depuis la semaine dernière, notre Président ne fait plus dans la dentelle et annonce clairement que pour briguer un troisième mandat,  il y’a besoin d’avoir une majorité confortable c’est-à-dire  suffisante pour déclencher le processus constitutionnel devant mener à la réalisation de cet objectif.

Les  implications politiques de cette nouvelle transgression,  dont la primeur a été réservée, comme d’autres par le passé  à nos parents de l’EST  (elmewedde bichnin el hamedh ) mais   qui a l’avantage de clarifier le jeu,  devraient  se traduire,  le moment venu,  par un  refus massif et déterminé de tous les mauritaniens, toutes sensibilités politiques confondues,  de continuer à se laisser conduire comme un troupeau  de veaux, propriété  du  Président Mohamed Ould Abdel Aziz .  Ce dernier devrait comprendre que le verre est désormais trop plein et qu’il faut savoir raison garder  et  arrêter de mépriser ses concitoyens, même si quelques dizaines de laudateurs parmi eux   dont il connait les véritables motivations ont choisi ou accepté d’être les caisses de résonance de tous ses désidérata . 

 

 

Ne trouvez-vous pas  que le pouvoir a réussi un gros pari en organisant des élections sans  financements étrangers?  L’absence d’observateurs  internationaux  peut-elle affecter la crédibilité des prochaines élections ?

Que le pouvoir finance ces élections sur les propres moyens de l’Etat est plutôt préférable en temps normal. Il s’agit en effet d’une opération de souveraineté qui ne doit pas dépendre de  la générosité des partenaires extérieurs.

 Mais en l’occurrence,  l’absence de financements extérieurs peut aussi se justifier par le fait que les bailleurs de fonds ont besoin de croire que leur argent sera dépensé pour des scrutins électoraux organisés dans la transparence et l’équité  souhaitables.

Quant à l’observation électorale  internationale, telle  que nous l’avons vue, chez nous et ailleurs, il faut distinguer entre celle de l’UE par exemple et les autres. La première  apporte une contribution réelle au crédit des élections où elle accepte de s’impliquer. Elle est préparée minutieusement et dotée de toutes  les ressources humaines et matérielles nécessaires. Elle assure  une couverture territoriale crédible. Elle est  installée suffisamment à temps pour étudier et  maitriser tous les paramètres qui concourent à la réussite de sa mission;  contexte politique, cadre juridique électoral y compris, fichier électoral, administration, géographie politique,   milieu social etc. 

Quant aux autres types d’observation électorale internationale  et au-delà du respect dû aux grandes personnalités qui les conduisent et aux autres  qui les composent, l’intérêt de  leur présence lors de ces scrutins est, au mieux symbolique. Et pour cause ! Quel témoignage crédible peut-on en effet porter sur  un processus électoral  dont on a seulement visité un ou deux bureaux de vote le jour du scrutin? 

                                                                                                                                                                        

Propos recueillis par Dalay Lam