2008-2018: une décennie perdue (troisième partie-suite et fin)/Par MOUSSA FALL, président du mouvement pour le changement démocratique (M.C.D.)

13 September, 2018 - 00:30

UNE DESASTREUSE POLITIQUE D’AFFECTATION DES RESSOURCES

 

Le niveau de vie des populations et la lutte contre la pauvreté

Le pouvoir d’achat s’est dramatiquement dégradé durant cette période sous l’effet d’une hausse inconsidérée des prix à la consommation.

 

Pour les quatre denrées de base suivantes, les prix ont connu, entre 2009 et 2018, les évolutions suivantes :

  • Le kilogramme de riz de 140 MRO à 280 MRO.
  • Le kilogramme de sucre de 140 MRO à 250 MRO.
  • Le kilogramme de blé de 72 à 200 MRO.
  • Le litre de gasoil de 280 MRO à 384 MRO.

 

Cette forte augmentation ne peut pas trouver de justification dans l’évolution des cours de ces produits sur le marché international. Les graphiques suivants tirés du site http://www.finances.net, qui retracent l’historique des cours en bourse de ces produits de 2009 à 2018 nous montrent une poussée haussière en 2011-2012 suivie depuis d’une nette tendance à la baisse.

 

Sucre en $

 

 

 

 

 

Riz en $

 

 

Blé en $

 

 

 

Pétrole en $

 

L’évolution des cours de ces produits sur le marché international devait se traduire par la baisse de leurs prix pour le consommateur et l’amélioration de son pouvoir d’achat.

Or c’est l’inverse que nous constatons, la baisse qui devait profiter aux populations a été absorbée par trois facteurs directement induits par la politique suivie par les pouvoirs publics :

 

  1. L’augmentation des impôts. L’augmentation de la fiscalité décidée dans le cadre de la Loi de Finance Rectificative (LFR) d’août 2015 pour compenser la baisse des recettes due au retournement de la conjoncture économique, « s’est traduite en 2016 par des recettes additionnelles de 22,7% au niveau des taxes sur les biens et services, de 240,2 % des taxes sur les produits pétroliers, et de 71% sur les droits de consommation ». 
  2. La dépréciation de l’ouguiya. Un dollar de 2009 coûtait 263 MRO, en fin 2017 il en vaut 376. Cette perte de valeur de 35,4% impacte automatiquement les prix sur le marché national dans la mesure où près de 80% de nos importations se font dans cette devise.
  3. La marge des monopoles. Depuis 2009 les pouvoirs publics se sont attelés à restructurer le secteur privé pour créer une nouvelle classe d’hommes d’affaires. Les entreprises qui existent depuis l’indépendance du pays avec plus de soixante ans d’ancienneté et qui ont survécu à tant de vicissitudes ont fait l’objet de tracasseries et de persécutions pour céder la place à une nouvelle classe d’hommes d’affaires proches de l’exécutif et devenus milliardaires du jour au lendemain. Des monopoles se sont donc imposés au détriment d’une concurrence saine et d’une régulation effective du marché.

4- Les actions de lutte contre la pauvreté

Des projets de désenclavement ont été fournis dans des zones de concentration de la pauvreté en milieu rural. En milieu urbain, à Nouakchott particulièrement, des programmes d’éradication de l’habitat précaire ont été mis en œuvre.

En dehors de ces actions ponctuelles et démagogiques, les stratégies de lutte durable contre la pauvreté telle que tracées par le Cadres Stratégiques de Lutte contre la Pauvreté (CLSP), ont été ignorées et remplacées par des actions d’urgence, décidées pour parer au plus pressé mais qui n’ont pas vocation à construire une économie d’amélioration durable des conditions de vie des populations.

L’évaluation de ces actions, résumée dans le rapport de février 2018 de la Banque Mondiale (www.banquemondiale.org/fr/country/mauritania), constate que pour le programme Emel son efficience est «de plus limitée car les subventions (qui profitent aux populations) ne représentent que 40% du budget alors que les coûts opérationnels en représentent la majorité ».

Dans le dernier rapport principal de l’évaluation des CSLP 2001-2015 on peut lire que :

« Au plan de l’efficacité : le plan d’urgence supposait que les prix devraient « baisser » parce que les ventes subventionnées tireraient le niveau général des prix vers le bas. Cela n’a jamais été́ le cas. Il a plutôt favorisé l’accroissement des marges des commerçants et des trafics transfrontaliers sans induire de baisses sur les prix de vente » et « Au plan de l’équité́ : le ciblage géographique des boutiques est problématique : mal reparties dans le pays et ne touchant pas les plus démunis, en particulier hors des villes. Le choix des boutiques ne répond à aucun critère raisonné de ciblage ; ensuite, des pans entiers de la population sont de facto exclus de l’accès à ces produits : par exemple, la classe moyenne appauvrie est très peu atteinte par les produits subventionnés ». Toujours selon le même rapport « Les boutiques témoins n’ont pas eu d’effets réels sur les comportements de marge moyens des commerçants dans la mesure où la formation des prix au détail pratiqués dans les boutiques régulières est la résultante de facteurs qui ne sont que peu touchés par l’action étatique : prix pratiqués par les importateurs et politique fiscale, certes, mais aussi spéculations des importateurs et comportements des vendeurs. Rien ne permet de penser que les dispositifs temporaires des boutiques témoins aient un impact sur cette chaîne de formation des profits ».

Le second volet des plans d’urgence est destiné, en période de sècheresse, comme celle de cette année 2018, à l’assistance aux éleveurs et à leur bétail. Il suffit d’interroger les éleveurs pour constater leur désarroi au regard des quantités dérisoires mises à leur disposition en comparaison de leurs besoins et en dépit de l’importance des ressources prétendument affectées à cette opération.

La portée de ces programmes d’urgence est par conséquent très limitée et toutes les évaluations laissent penser que les fonds qui leur sont destinés profitent essentiellement à des intermédiaires déjà privilégiés.

5-La qualité de vie

 

Le concept de qualité de vie est utilisé ici, pour mesurer le bien-être de la population dans ses différents aspects. Plusieurs indicateurs entrent en jeu pour en évaluer le niveau : le revenu ; le travail et le logement ; la santé et la formation ; la qualité de l’environnement ; la sécurité personnelle ; l’engagement civique et l’équilibre vie professionnelle-vie privée.

 

Certains de ces critères ayant été traités dans ce qui précède, nous nous limiterons ici donc aux problèmes aigus que confrontent les populations au quotidien :

 

a) - Le niveau des salaires.

 

 La faiblesse du niveau des salaires constitue l’une des principales causes du mal-être dans le pays. Aucun fonctionnaire, aucun employé ne peut assurer une qualité de vie décente avec le système des rémunérations en vigueur.  De plus ce système constitue un obstacle insurmontable à toute réelle politique de développement. Il est impossible en effet de motiver les employés, d’améliorer leur rendement, de mobiliser les compétences, de combattre la corruption en continuant à pratiquer une telle politique salariale. La dernière grève des médecins du mois de juin dernier doit nous sensibiliser sur l’urgence de concevoir une nouvelle politique dans ce domaine.

 

b) Le chômage

Le chômage, et en particulier celui des jeunes, constitue un véritable drame. Nous avons vu plus haut que seuls 0,7% de l’effectif des élèves du primaire arrivent à réussir leur baccalauréat. Les 99,3% restants arrivent sur le marché de l’emploi sans qualification et avec de maigres perspectives d’insertion.

c) L’eau et l’assainissement

La vie d’abord, sa qualité et son hygiène dépendent en tout premier lieu de l’eau. Or cette source de vie fait cruellement défaut dans le pays. Il ne se passe pas un jour sans voir des citoyens manifester bidons en mains pour réclamer leur approvisionnement en eau potable. Selon le Rapport du PS-EAU de mars 2015 (https://www.pseau.org/outils/ouvrages/ps_eau_fiche_pays_mauritanie_2015.pdf), les taux d’accès à l’eau et à l’assainissement sont respectivement de : 48% en milieu rural et 52% en milieu urbain pour l’eau et de 9% en milieu rural et 51% en milieu urbain pour l’assainissement. Certaines grandes villes dans les deux Hodh, en Assaba, au Tagant, en Adrar, dans les quartiers périphériques de Nouakchott et Nouadhibou, au Tiris Zemour connaissent un déficit cruel par rapport à leurs besoins en eau.

L’accès à l’assainissement de base contribue au bien-être et à l’hygiène des populations. La Mauritanie continue à accuser des retards importants dans ce domaine. Selon les données d’un programme conjoint de l’OMS et de l’UNICEF, le Joint Monitoring Program (JMP), en 2015, le taux d’accès à l’assainissement est de 40%, dont 58% en zones urbaines et seulement 14% en zones rurales. En zones rurales, la majeure partie de la population n’a pas d’installations ou utilise des latrines à simple fosse et sans dalle. En zones urbaines, les installations les plus courantes sont des toilettes à chasse, connectées à une fosse simple ou septique ou, plus rarement, au réseau d’égout.

d) L’électricité

En dépit de l’importance des investissements dans ce secteur, les taux d’électrification restent en deçà des besoins en milieu urbain (73%) et insignifiants en milieu rural (5%). Dans les endroits électrifiés, les pannes et les coupures intempestives sont fréquentes et perturbent la vie des citoyens.

 

  e) L’insécurité

 

Dans les grandes villes, les citoyens sont traumatisés par la recrudescence de l’insécurité. Il ne se passe plus un jour sans qu’il y ait des meurtres, des suicides, des viols, des holdups à mains armées, des vols et des agressions perpétrés contre des citoyens sans défense. La peur devient endémique et menace en permanence les personnes et les biens.

 

d) L’environnement

 

Toujours dans les grandes villes, l’environnement est pollué par l’accumulation des ordures qui encombrent les rues et les espaces, et qui causent des maladies et des désagréments. Les espaces publics sont inexistants et la ceinture verte de Nouakchott a été l’objet d’un troc et transformée en propriétés individuelles.

 

6- Les problèmes de société.

 

La Mauritanie s’est engagée depuis 1991 dans un processus de démocratisation qui reste, à ce jour, inachevé. Dans toutes les sociétés démocratiques, les citoyens doivent être égaux en droit et bénéficier de chances égales de réussite dans leur vie. Aucune composante sociale ne doit se sentir désavantagée ou pire, discriminée. Or, pour des raisons historiques et sociologiques qui lui sont propres, le pays fait face à deux défis majeurs : le défi de l’unité nationale et celui de la cohésion sociale. Toute politique de bonne gouvernance doit compter parmi ses toutes premières priorités la construction d’une société moderne en phase avec notre temps et profitable à toutes nos composantes. On constate qu’aucun programme n’a été conçu, et encore moins engagé, sur la consolidation de l’unité nationale et sur l’éradication des séquelles de l’esclavage. L’absence de tels programmes (stratégies nationales et de plans d’action) constitue une atteinte aux droits à l’équité et à la justice pour les citoyens et une menace sérieuse pour la sécurité et la stabilité du pays au moment où le régime encourage le tribalisme et les particularismes.

(A suivre : QUATRIEME PARTIE, LES « REALISATIONS » DE LA DECENNIE)