Faire la paix avant la guerre./Par Mohamed Yehdih O. Breideleil

24 October, 2018 - 00:13

II. S’élever en hauteur

 

Idriss Déby qui, lui, est franchement un guerrier, pratiquement né et grandi dans le feu et qui n’a jamais connu une année calme et dont le crépitement des armes ennemies constitue la musique nocturne habituelle, a fait, en toute franchise, son mea culpa public. Il s’est jeté corps et âme dans le combat, comme sait le faire ce peuple tchadien admirable, mais une fois dans la gueule du loup, on l’a abandonné avec ses problèmes économiques et les préoccupations quotidiennes d’une population avec laquelle la nature marâtre a été injuste.

 

Peut-on faire mieux qu’Idriss Déby dans la lutte contre le terrorisme ? Jamais !

 

​Ceux qui mènent la danse anti-terroriste n’ont pas encore trouvé la formule et la voie pour circonscrire l’incendie et, dans leur fébrilité, ils veulent jeter du gaz inflammable pour éteindre le feu. Dégarnir à l’Ouest du Grand Sahara, ça sera la fin des haricots. Le terrorisme pourra alors courir tout au long de la colonne vertébrale du Grand Sahara, de Bilma à Dakhla.

 

Cinq ans d’effort 

 

​Après cinq ans d’efforts, apparemment sincères, pour imposer la paix dans le Grand Sahara et le Sahel, ils apparaissent de plus en plus comme des gens qui courent derrière des oiseaux ou un feu de brousse dont la langue dévastatrice est inatteignable.

 

​Il eût été pourtant de bon sens de créer, au départ, aux deux extrémités de l’arc de l’incendie, deux zones de sécurité et de stabilité, ou deux points d’appui sûrs. De toutes les zones touchant ce ventre mou gagné par le terrorisme, seuls le Tchad et la Mauritanie sont susceptibles d’être sécurisés et peuvent, potentiellement, constituer de vrais remparts, et pas uniquement parce que ce sont des pays sahariens, bien que cette donnée vient en première ligne de compte, mais parce que ce sont deux pays qui ont connu dans l’époque récente des guerres internes, dans les années 1970. En Mauritanie, d’ailleurs les armes n’ont vraiment  jamais été déposées depuis 1900. Après la « pacification » de 1934, des ilôts de guerilla sont restés avec ce qu’appellent les gens du Hodh les « gens de la montagne ». Puis au Nord, on a empoigné les armes avec le Jaïch Tahrir, en 1956, et ces derniers soubresauts ne se sont éteints qu’en 1963 au Hodh. 

 

​La sécurisation du Tchad est simple. Elle est économique, un point. 

 

​La sécurisation de la Mauritanie est plus complexe, plus problématique pour les puissances étrangères à l’Afrique. Elle demande une révision conceptuelle, un changement de logiciel, parce que la Mauritanie et sa sécurité sont inséparables du Sahara Occidental. Vouloir séparer la Mauritanie et le Sahara occidental, dans l’analyse, est une chimère. Sécuriser la  Mauritanie signifie s’orienter vers une vraie solution du problème du Sahara Occidental, c’est-à-dire une solution acceptable pour sa population.

 

​Sans cela, aller mourir à Bamako ou à Mopti, bêtement, c’est trop d’audace incompréhensible, une légèreté inadmissible. N’avoir rien à proposer aux Mauritaniens, dans cette année de sécheresse grise, que d’aller mourir hors de leurs frontières, c’est franchement dépasser toutes les bornes imaginables. Faire la guerre en pleine crise économique, quand les mauritaniens sont déchirés intérieurement, inquiets pour leur avenir, que le pays ressemble à une marmite de sorcière, on y pense pas quand on a encore un grain de raison. 

 

Actions inconsidérées 

 

​Nous avons, certes, une institution militaire digne de considération, mais quand on a une belle perle, on n’en fait pas un boulet de canon à la première occasion venue. C’est  l’Armée qui est tout de même la colonne vertébrale de l’Etat. 

 

​Le pays qui était déjà mal en point à cause du gaspillage et d’un tâtonnement invraisemblable, a été jeté l’année dernière dans une confusion folle par un processus incompréhensible dont la première salve a été la révision constitutionnelle, refusée par le Parlement et malgré tout imposée. 

 

Elle a été suivie d’actions inconsidérées qui dénotaient, non pas de la lucidité mais de la nervosité et la solitude dans la décision, des choses contre lesquelles mettait en garde Thucydide, il y a 2400 ans, sans parler de Maawiya Ibn AbiSouviane. On poursuivit, devant les tribunaux, des sénateurs réfractaires et l’un d’eux fut même jeté sans ménagement, affirme-t-on, en prison pour un an. Des journalistes et des syndicalistes sont poursuivis, mais quand les parlementaires sont emprisonnés, ils devraient, eux, se sentir heureux que ça s’arrête là. L’homme d’affaires Mohamed O. Bouamattou eut droit à des textes spécifiques, personnalisés, aux yeux de tous,  destinés à arrêter ses affaires. Ce qu’on lui reproche, à la vérité, est difficile à saisir, en dépit des sous-entendus et des déclarations fracassantes. Toujours est-il que personne n’y croit. Quand une chose n’est pas crue, il est inutile de s’y accrocher. Elle devient un boulet qu’on traîne, une charge supplémentaire handicapante. L’emprisonnement de Biram O. Dah O. Abeïd est intervenu plus récemment, aussi curieux que les précédents cas. Il a été emprisonné à la veille d’une élection législative où il est candidat. N’ayant pas été condamné, il a été élu député. C’est donc un nouveau parlementaire qui est en prison, un très mauvais signal pour une démocratie toujours balbutiante. Mais personne, alors personne, ne peut dire le motif réel de son emprisonnement. Question de tempérament ? Question d’entêtement ? Biram fausse-t-il un jeu ou un projet quelque part ? Tout le monde en est réduit à des conjectures, sur un sujet qu’on garde in petto.

 

 

 Régime vilipendé 

 

​Après cette révision constitutionnelle forcée, la population médusée a répondu par une dérision de haute voltige, lorsqu’il a été question de réimplanter le parti au pouvoir. Un million deux cents mille personnes munies de leurs cartes d’identités inviolables et sécurisées y ont adhéré, pendant que dans la rue, le Régime en place est vilipendé de manière quasi-unanime. La dérision n’ayant pas été déchiffrée et même comprise au premier degré comme une preuve de popularité, on est passé, tambour battant, au scrutin législatif et municipal du 1er septembre 2018. 

 

​La population par une dérision plus cynique a clarifié son geste précédent : un huitième seulement des adhérents qui se sont inscrits au parti, à peine plus d’un mois auparavant, a voté pour le Parti! Ce huitième est principalement constitué de supporters des candidats intéressés personnellement.  La dérision ne s’arrête pas là, mais personne ne veut lire ce qui est écrit avec des lettres de la grosseur des pilons à mil. Dans le meeting d’ouverture et le meeting de clôture du parti officiel à Nouakchott, l’affluence dépasse le score national, toutes régions confondues, y  compris Nouakchott ! 

Ce n’est pas facile à comprendre, il faut en convenir. Seules les expériences du passé peuvent nous éclairer. C’est une constance, dans un pays où tout tourne autour de l’Etat - même les affaires- un pays de surcroit où les oisifs sont infinis, les intelligences supérieures fréquentes et la transparence est l’exception et même un vice dénoncé, les applaudisseurs et les nageurs en eau trouble qui sont légion ne prennent la tête du cortège officiel que tardivement, quand la situation devient mauvaise et lorsqu’ils ont bien étudié et compris la mentalité, les penchants et la personnalité de leur proie. Mais à ce stade, ils en font leur jouet. D’ailleurs le haut responsable acquiert la conviction que s’il se débarrasse de cette compagnie, il sera isolé, seul, et il est, a contrario, agréable d’être dans une compagnie souriante sans motif, affable à l’excès, couvrant leur interlocuteur de caresses verbales, au besoin, les mains ruisselantes de cadeaux.

 

​Mokhtar O. Daddah, lui-même, qui est un homme équilibré et rompu aux relations humaines, a été conduit dans le gouffre, sans parler de ceux qui lui ont succédé. Une fois son idole d’hier perdue, cette classe qu’on ne saurait qualifier mais qui se définit elle-même comme politique se détourne lestement, avec régularité, et devient introuvable. Aucun de nos chefs d’Etats adulés -et ils l’ont tous été-  n’a jamais eu droit à la moindre solidarité, à la moindre manifestation de soutien, après sa chute.

 

Revenir à la raison 

 

​Dans le processus irrationnel en cours, l’homme de la rue soutient que nos dirigeants comptent surtout, pour tordre le cou, de nouveau, à la Constitution et engager, contre toute logique et en l’absence du moindre soutien réel, un troisième mandat ou un mandat déguisé, sur une puissance tutélaire étrangère, en contrepartie de l’intervention militaire au Mali.

 

​Ce serait mettre le comble à la confusion. Aucune  puissance étrangère, dans le monde d’aujourd’hui, n’est capable de maintenir un pouvoir contre la volonté de son peuple et si elle le tentait, elle y perdrait définitivement sa crédibilité. De plus, un pouvoir isolé qui sent la nécessité d’un appui étranger sera vomi, perdra sa légitimité et retournera contre lui les derniers patriotes qui s’accrochent encore à lui et ceux qui ont déjà pris le large mais pensent qu’il est encore possible de trouver une sortie honorable au pays.

 

​C’est l’aveuglement qui crée le mécontentement, les frustrations, mène les gens aux extrêmes, crée la révolte, l’extrémisme, le terrorisme. Ce qui se dévoile de jour en jour n’incite guère à l’optimisme et, il faut bien l’avouer, le pays ressemble à un convoi qui roule à toute allure dans l’obscurité.

 

​Non, au lieu de l’aventure, nous pouvons revenir à la raison, pendant qu’il est temps. Nous ne devons pas insulter l’avenir, nous devons le construire. Nous pouvons encore désamorcer une crise qui ne profitera à personne, une véritable bombe à retardement. Nous pouvons faire la paix, au lieu de la guerre. Quelle paix ? La paix intérieure, celle qui est une fin en soi et qui permet, éventuellement, de faire la guerre.

 

​La paix commence par l’apaisement. Les gens plient, volontiers, devant qui rabat de ses prétentions.

 

​Le seul apaisement convaincant et significatif, susceptible de changer les données actuelles, c’est de s’orienter résolument en toute honnêteté,  en toute sincérité, vers l’alternance démocratique en perspective des prochaines élections présidentielles. C’est une attitude incontournable et salutaire pour tous. Il y aura alors, pour la première fois depuis longtemps, une réelle unanimité et la fierté que l’intérêt général prime sur tout le reste. Personne, quel qu’il soit, ne pourra se mettre en travers d’une telle orientation, sans encourir le sort d’un reprouvé et d’un isolé.

 

​Sans chercher à s’agripper au pouvoir ou à s’infiltrer par la fenêtre, le régime cessera d’avoir des ennemis. Sans chercher à imposer un candidat, il gagnera en considération. En cessant d’apparaître comme mû par des intérêts égoïstes, il gagnera en estime. En s’élevant  en hauteur, pour garantir et faciliter ce que la population voudra, il gagnera en dignité et sera respectable pour tous.

 

Sans cela, tout le monde constatera qu’il n’y a plus rien à faire, que nous allons droit au mur et que nous sommes, malheureusement, contraints de prendre à notre compte le constat du philosophe Michel Onfray auquel on demandait, il y a quelques temps, quels conseils il pouvait donner aux jeunes d’aujourd’hui. Il répondit ainsi : « Le bateau coule. Restez dignes. Mourez debout ! »

 

 M. Y. B.