Calamités ...

17 January, 2019 - 00:23

C’est fait : on a marché contre la haine et les propos racistes. Un monde impressionnant est venu, de partout. Inutile de rappeler les voies et moyens de sa mobilisation. Le président Mohamed ould Abdel Aziz et son gouvernement, des personnalités nationales, notamment des hommes de religion dont le grand moufti de la République qui en était, nous a-t-il avoué, à sa « première marche », se sont réunis contre les haineux et les racistes. Une journée ouvrable a été décrétée, chômée et payée, sans considération de son coût, en milliards de manque à gagner pour l’économie nationale. Une semaine plus tard, tout semble rentré dans l’ordre et la vie reprend son cours, le plus ordinairement du monde. Alors que les jours  précédents et suivants l’évènement, les médias officiels et privés n’avaient que haine et racisme au programme. Des invités triés sur le volet, pour expliquer, à grands coups d’analyses souvent plus que ridicules, paradoxalement haineuses et racistes, les dangers qu’ils leur semblent voir planer sur le pays. Rien que du superficiel, au final, histoire, simplement, de se voiler la face, surtout ne pas relever les véritables problèmes de fond dont souffre la Mauritanie et qui risquent, si rien n’est entrepris pour les régler, de la plonger dans un chaos que ni les marches, ni les défilés, ni les déclarations d’intention, ni les vœux pieux ne pourront malheureusement pas lui éviter. Comme l’a si bien dit le professeur Ely Moustapha, dans un excellent article sorti il ya quelques jours, « les Mauritaniens ont raté des dizaines d’occasions de bien marcher ». Il est temps qu’ils se disent, enfin, la vérité. Rien ne sert de tourner autour du pot, de s’accommoder, hypocritement, de petites insinuations maladives et de contourner les vrais défis à relever, pour asseoir les bases d’une durable cohabitation nationale, entre toutes les communautés dont aucune n’a le monopole ni la responsabilité, plus qu’une autre, sur ce pays qui appartient à tous les Mauritaniens. Que les Beïdanes cessent de croire, « très à tort », que ce pays leur appartient exclusivement, se légitimant le pillage systématique de ses ressources et s’autoproclamant responsables de sa protection. Que les Harratines cessent cette éternelle victimisation, avilissante, et cette revendication, injustifiée, de l’exclusivité d’un combat, légitime, pour l’émancipation de larges franges nationales trop longtemps meurtries et martyrisées par des pratiques séculaires d’un esclavage dont la responsabilité de l’éradication incombe à tous les Mauritaniens. Que les Négro-africains renoncent à cette attitude, ringarde et démotivante, d’étrangers dans leur propre pays et comprennent, une fois pour toutes, que le droit de vérité, de justice et de responsabilité, dans les tragiques événements des « années de braise », est la revendication de tous les hommes justes, épris de paix et de solidarité. Proférer des propos racistes ou haineux est grave. Mais poser des actes basés sur la haine, le racisme, le clientélisme, le régionalisme ou le népotisme est pire. Il ya urgence d’accomplir des actes, très forts, de refondation de tous les fondements de la République, pour extraire, de fond en comble, les substrats qui légitiment l’ascension sociale ou qui permettent les partages inégaux et déséquilibrés des ressources et des fonctions civiles et militaires. Les politiques mises en œuvre, des indépendances à nos jours, reproduisent, exactement, le même système d’accès à ces ressources et à ces fonctions, à quelques limites près. Un petit historique des gouvernements de la Mauritanie ou, plus simplement encore, l’examen de la liste des hauts responsables  administratifs et militaires, durant cette période, est plus qu’éloquent : il démontre que ce sont les fils et filles de ces mêmes responsables qui les relaient, avant de passer le flambeau à leurs fils ou arrière-petits-fils. Comment  les choses changeraient-elles, avec le temps ? La forme de la contestation dépend, alors, du volume de l’injustice et de la capacité des gouvernants à la gérer. Il ne sert à rien de se confiner dans un négationnisme destructeur, en s’obstinant à imposer la prééminence d’un groupe sur un autre. Mieux vaudrait regarder la réalité en face et prendre les mesures qu’elle impose, pour assurer la justice sociale. La stabilité des pays ne se décrète pas. Seules des décisions fortes permettent d’en poser les jalons. Les menaces et intimidations, via des lois scélérates sur la discrimination, pèsent, comme une épée de Damoclès, sur la tête de ceux qui revendiquent l’émergence d’une Mauritanie égalitaire mais elles ne serviront pas à grand-chose. Les Mauritaniens peuvent marcher autant qu’ils voudront, la Mauritanie ne marchera pas comme ça. Et tant que la Mauritanie ne marchera pas, aucune marche ne vaudra la peine d’être entreprise.

El Kory Sneiba