Trois questions à Cheikh Ould Jiddou, Expert en Etat de droit, juriste de l’environnement et activiste des droits de l’homme :

7 February, 2019 - 01:11

‘’Ni la manœuvre d’Aziz pour amender la constitution ni son étouffement dans l’œuf par les militaires n’avaient échappé à grand monde en réalité’’

 

Le Calame : comment expliquez-vous qu'au moment où le président de l'UPR essayait de convaincre les députés récalcitrants de signer en faveur des amendements constitutionnels, le président de la République publie un communiqué depuis l'étranger pour demander l'arrêt de l'initiative des députés. Y avait-il urgence à ce point? Le président ne doit-il s'adresser à son peuple depuis l'étranger que dans des circonstances exceptionnelles?

 

Cheikh Ould Jiddou : Le président sortant, Aziz, avait toujours tenu à faire savoir en public qu’il respecterait d’une part l’article 28 de la constitution qui dispose que le président est réélu une seule fois (durant toute sa vie évidemment) et, d’autre part, et toujours conformément à la constitution (article 26) qu’il de ne prendra point ni ne soutiendra, directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire de quelque manière que ce soit à la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la durée du mandat présidentiel et au régime de son renouvellement. C’est en ce sens précisément qu’il a prêté serment à son investiture en 2009 et en 2014.

 

Cela dit, soucieux probablement de son devenir à sa sortie du palais prévue en juillet de cette année et cédant aux pressions de certains dirigeants du Golfe, Aziz a commencé récemment à tenter le diable en voulant duper la nation et ses compagnons d’armes (retraités ou encore en service) qui tiennent au respect strict de la constitution et à éviter toute aventure susceptible de déstabiliser la Mauritanie et par delà toute la région du Sahel.

 

En effet, depuis quelques mois, Aziz soutenait par le silence, les nominations et les marchés publics tous les opportunistes qui organisaient des rassemblements tribaux et régionaux, certes insignifiants mais destinés à préparer l’opinion publique et à tester les réactions à la fois intérieures et extérieures. Au cours de la première semaine du mois de janvier de cette année et cette fois-ci via une « initiative » parlementaire, qu’il appuyait directement dans l’ombre par l’intermédiaire de ses sbires et certains membres de sa famille, il voulait passer à l’acte et faire voter par l’assemblée nationale un amendement constitutionnel de l’article 28 qui lui permettrait de rester au pouvoir. Dès qu’elle a commencé à prendre forme, et pour s’en démarquer en apparence, Aziz a pris son bâton de pèlerin et s’est dirigé vers les pays du Golfe. Il a d’ailleurs prolongé son séjour aux Emirats Arabes en attendant de voir l’issue du processus.

 

C’est alors que ses compagnons d’armes (retraités ou encore en service) lui ont fait, et de la manière la plus martiale, un rappel à l’ordre quand ils ont reçu directement la visite de ceux à qui il a confié, en son absence, la basse besogne et qu’ils ont compris qu’il était sur le point de traverser le Rubicon. Ils l’ont empêché de prononcer son « alea jacta est » (le sort en est jeté). Evitant le scénario d’août 2005, Aziz a très vite réagi en envoyant dès le 15 janvier dernier, et de l’étranger, un communiqué intimant l’ordre à ses hommes de main et aux dizaines de parlementaires qui ont adhéré à son « complot » de capituler et de déposer les armes. Les incrédules et les opportunistes (encore une fois) ont vu dans ce communiqué un grand sens de la responsabilité et du respect de la constitution de la part de Aziz. Mais ni la manœuvre de Aziz ni son étouffement dans l’œuf par les militaires n’avaient échappé à grand monde en réalité.

 

L’ensemble de ces faits explique, d’une part, qu’au moment de la diffusion du communiqué, Aziz lui-même se trouvait à l’étranger, et que, d’autre part, le président de l’UPR et porte-parole du gouvernement était, au moment même de la diffusion du communiqué, encore en réunion avec certains députés de son parti qui ont refusé catégoriquement d’adhérer à l’initiative parlementaire pour les contraindre à signer la proposition d’amendement constitutionnel.

 

Pensez-vous qu'on a forcé la main à Aziz pour sortir le communiqué et soutenir Ghazouani ?

 

 

Comme je l’ai déjà clairement expliqué en répondant à votre précédente question, Aziz, qui se trouvait à l’étranger en effet, s’est retrouvé, le 15 janvier dernier, contraint de choisir l’une des deux options : courir le risque du scénario d’août 2005 ou abdiquer toute intention de se dérober à ses engagements en annonçant de la manière la plus solennelle et la plus claire le renoncement à ses desseins cachés en respectant la constitution et en donnant des ordres sans équivoque à ses sbires de mettre fin au projet. Les vrais décideurs ont donc choisi le général à la retraite Ould Ghazouani pour être leur candidat.

 

De retour au pays, Aziz est en train aujourd’hui de tenter une dernière manœuvre, autant insignifiante qu’inutile, en incitant secrètement l’ancien premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf à se présenter contre Ghazouani. Toutes les réunions très médiatisées qu’a eues le candidat potentiel Ould Mohamed Laghdaf avec Aziz et avec le président de l’UPR Sidi Mohamed Ould Maham ne sont que des scènes faisant partie d’une pièce théâtrale jouée par de très mauvais acteurs prétendant essayer de le dissuader de se présenter. Là encore, les mauritaniens connaissent l’ancien PM et savent de qui il reçoit ses ordres. Si personne n’en parle c’est qu’il est certain que Ould Mohamed Laghdaf n’atteindra pas les 1% aux futures élections présidentielles si toutefois il ne renonce pas avant la date butoir ou ne se retire en pleine course électorale.

 

Comment voyez-vous la future présidentielle? L'opposition, qui n'arrive toujours pas à trouver un candidat unique, est-elle en train de griller ses cartes?

 

Les futures élections présidentielles seront les élections de la délivrance (du pays). L’ancien général Ghazouani les remportera haut la main au premier tour et sans fournir de gros efforts. Certes, l’Opposition jouera contre lui la carte de ses liens d’amitié qui étaient étroits avec Aziz mais les électeurs voteront massivement en sa faveur parce qu’ils savent que son accession au pouvoir signifie inévitablement la mort politique de Aziz qui sera contraint à un certain moment de se faire petit dans son petit coin s’il veut garder sa fortune et les avantages de son ancienne fonction. Il est même envisageable que Ghazouani bénéficie de l’appui de certains partis d’opposition.

 

Cette Opposition qui justement ne s’alignera jamais derrière un candidat unique pour deux raisons essentielles : d’une part, elle traverse actuellement une guerre de succession à Ahmed Ould Daddah et d’autre part, elle ne possède plus d’hommes charismatiques susceptibles de faire l’unanimité autour d’eux. Les leaders de l’Opposition se présenteront donc en rangs dispersés. Même ceux qui gravitent autour de l’Opposition sans appartenir à l’un de ses partis voudront se lancer dans la course pour ne pas se faire oublier au moment où la nouvelle carte politique commencera à se dessiner au lendemain de l’élection de juin prochain.

 

En réalité, la seule opposition à Ghazouani se trouve au sein de la majorité actuelle qui déclare pourtant le soutenir et elle ne manquera pas de lui faire des coups bas mais sans aucun effet sur l’issue du scrutin. Un chapitre de l’histoire politique de la Mauritanie se ferme et un nouveau s’ouvre. 

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh

Le Calame : comment expliquez-vous qu'au moment où le président de l'UPR essayait de convaincre les députés récalcitrants de signer en faveur des amendements constitutionnels, le président de la République publie un communiqué depuis l'étranger pour demander l'arrêt de l'initiative des députés. Y avait-il urgence à ce point? Le président ne doit-il s'adresser à son peuple depuis l'étranger que dans des circonstances exceptionnelles?

 

Cheikh Ould Jiddou : Le président sortant, Aziz, avait toujours tenu à faire savoir en public qu’il respecterait d’une part l’article 28 de la constitution qui dispose que le président est réélu une seule fois (durant toute sa vie évidemment) et, d’autre part, et toujours conformément à la constitution (article 26) qu’il de ne prendra point ni ne soutiendra, directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire de quelque manière que ce soit à la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la durée du mandat présidentiel et au régime de son renouvellement. C’est en ce sens précisément qu’il a prêté serment à son investiture en 2009 et en 2014.

 

Cela dit, soucieux probablement de son devenir à sa sortie du palais prévue en juillet de cette année et cédant aux pressions de certains dirigeants du Golfe, Aziz a commencé récemment à tenter le diable en voulant duper la nation et ses compagnons d’armes (retraités ou encore en service) qui tiennent au respect strict de la constitution et à éviter toute aventure susceptible de déstabiliser la Mauritanie et par delà toute la région du Sahel.

 

En effet, depuis quelques mois, Aziz soutenait par le silence, les nominations et les marchés publics tous les opportunistes qui organisaient des rassemblements tribaux et régionaux, certes insignifiants mais destinés à préparer l’opinion publique et à tester les réactions à la fois intérieures et extérieures. Au cours de la première semaine du mois de janvier de cette année et cette fois-ci via une « initiative » parlementaire, qu’il appuyait directement dans l’ombre par l’intermédiaire de ses sbires et certains membres de sa famille, il voulait passer à l’acte et faire voter par l’assemblée nationale un amendement constitutionnel de l’article 28 qui lui permettrait de rester au pouvoir. Dès qu’elle a commencé à prendre forme, et pour s’en démarquer en apparence, Aziz a pris son bâton de pèlerin et s’est dirigé vers les pays du Golfe. Il a d’ailleurs prolongé son séjour aux Emirats Arabes en attendant de voir l’issue du processus.

 

C’est alors que ses compagnons d’armes (retraités ou encore en service) lui ont fait, et de la manière la plus martiale, un rappel à l’ordre quand ils ont reçu directement la visite de ceux à qui il a confié, en son absence, la basse besogne et qu’ils ont compris qu’il était sur le point de traverser le Rubicon. Ils l’ont empêché de prononcer son « alea jacta est » (le sort en est jeté). Evitant le scénario d’août 2005, Aziz a très vite réagi en envoyant dès le 15 janvier dernier, et de l’étranger, un communiqué intimant l’ordre à ses hommes de main et aux dizaines de parlementaires qui ont adhéré à son « complot » de capituler et de déposer les armes. Les incrédules et les opportunistes (encore une fois) ont vu dans ce communiqué un grand sens de la responsabilité et du respect de la constitution de la part de Aziz. Mais ni la manœuvre de Aziz ni son étouffement dans l’œuf par les militaires n’avaient échappé à grand monde en réalité.

 

L’ensemble de ces faits explique, d’une part, qu’au moment de la diffusion du communiqué, Aziz lui-même se trouvait à l’étranger, et que, d’autre part, le président de l’UPR et porte-parole du gouvernement était, au moment même de la diffusion du communiqué, encore en réunion avec certains députés de son parti qui ont refusé catégoriquement d’adhérer à l’initiative parlementaire pour les contraindre à signer la proposition d’amendement constitutionnel.

 

Pensez-vous qu'on a forcé la main à Aziz pour sortir le communiqué et soutenir Ghazouani ?

 

 

Comme je l’ai déjà clairement expliqué en répondant à votre précédente question, Aziz, qui se trouvait à l’étranger en effet, s’est retrouvé, le 15 janvier dernier, contraint de choisir l’une des deux options : courir le risque du scénario d’août 2005 ou abdiquer toute intention de se dérober à ses engagements en annonçant de la manière la plus solennelle et la plus claire le renoncement à ses desseins cachés en respectant la constitution et en donnant des ordres sans équivoque à ses sbires de mettre fin au projet. Les vrais décideurs ont donc choisi le général à la retraite Ould Ghazouani pour être leur candidat.

 

De retour au pays, Aziz est en train aujourd’hui de tenter une dernière manœuvre, autant insignifiante qu’inutile, en incitant secrètement l’ancien premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf à se présenter contre Ghazouani. Toutes les réunions très médiatisées qu’a eues le candidat potentiel Ould Mohamed Laghdaf avec Aziz et avec le président de l’UPR Sidi Mohamed Ould Maham ne sont que des scènes faisant partie d’une pièce théâtrale jouée par de très mauvais acteurs prétendant essayer de le dissuader de se présenter. Là encore, les mauritaniens connaissent l’ancien PM et savent de qui il reçoit ses ordres. Si personne n’en parle c’est qu’il est certain que Ould Mohamed Laghdaf n’atteindra pas les 1% aux futures élections présidentielles si toutefois il ne renonce pas avant la date butoir ou ne se retire en pleine course électorale.

 

Comment voyez-vous la future présidentielle? L'opposition, qui n'arrive toujours pas à trouver un candidat unique, est-elle en train de griller ses cartes?

 

Les futures élections présidentielles seront les élections de la délivrance (du pays). L’ancien général Ghazouani les remportera haut la main au premier tour et sans fournir de gros efforts. Certes, l’Opposition jouera contre lui la carte de ses liens d’amitié qui étaient étroits avec Aziz mais les électeurs voteront massivement en sa faveur parce qu’ils savent que son accession au pouvoir signifie inévitablement la mort politique de Aziz qui sera contraint à un certain moment de se faire petit dans son petit coin s’il veut garder sa fortune et les avantages de son ancienne fonction. Il est même envisageable que Ghazouani bénéficie de l’appui de certains partis d’opposition.

 

Cette Opposition qui justement ne s’alignera jamais derrière un candidat unique pour deux raisons essentielles : d’une part, elle traverse actuellement une guerre de succession à Ahmed Ould Daddah et d’autre part, elle ne possède plus d’hommes charismatiques susceptibles de faire l’unanimité autour d’eux. Les leaders de l’Opposition se présenteront donc en rangs dispersés. Même ceux qui gravitent autour de l’Opposition sans appartenir à l’un de ses partis voudront se lancer dans la course pour ne pas se faire oublier au moment où la nouvelle carte politique commencera à se dessiner au lendemain de l’élection de juin prochain.

 

En réalité, la seule opposition à Ghazouani se trouve au sein de la majorité actuelle qui déclare pourtant le soutenir et elle ne manquera pas de lui faire des coups bas mais sans aucun effet sur l’issue du scrutin. Un chapitre de l’histoire politique de la Mauritanie se ferme et un nouveau s’ouvre. 

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh