Essai : De la diplomatie mauritanienne des Droits de l’Homme au cours de la décennie (2009/2019)

26 February, 2019 - 12:43

A l'approche de la fin du second mandat du Président de la République, un état de lieux  de  la diplomatie mauritanienne des  Droits de l'Homme  au cours de la décennie passée s'impose ainsi qu'une  réflexion au sujet des actions à venir pouvant  pallier aux insuffisances dans le domaine  des Droits de l’Homme.

L'on se souviendra  que la   décennie ( 2009-2019) fut  marquée  par l'ambition  qu'a eu  le Président de la République , MOHAMED OULD ABDEL AZIZ à placer la Mauritanie dans le concert des nations respectueuses  des valeurs  universelles des droits humains. Pour  cela, il  a engagé  dés son accession au pouvoir une  interaction directe, ouverte et transparente avec  les mécanismes internationaux concernés et les organisations  des Droits de l'Homme.

 Pour mémoire,  il y' a lieu de  rappeler  que jusqu'en 2008, certaines  ONG internationales étaient indésirables en Mauritanie « Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme, la Fédération Internationale des ligues des Droits de l'Homme «  FIDH », pour ne citer que celles-ci  et une partie des ONG nationales n'étaient toujours pas reconnues de manière officielle.

Cette nouvelle donne  va permettre l'avènement d'une interaction  positive du Gouvernement  avec les mécanismes internationaux, notamment les  procédures spéciales du Conseil des Droits de l'Homme, c'est à dire les Rapporteurs Spéciaux et l' Examen Périodique Universel, les organes de traité dits comités conventionnels , les mécanismes de la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples,  de la commission arabe permanente des Droits de l'Homme ainsi qu'avec certaines ONG de défense des Droits de l'Homme, Amnesty International, Human Right Watch , Anti-Slavery International et bien d'autres.

C'est dire que le processus  entamé dés 2009 visait à  asseoir une nouvelle politique de dialogue constructif  avec ces différents mécanismes et organisations  en vue d’améliorer la situation des Droits de l'Homme au niveau national.

 

 Une ouverture prometteuse

 Ce processus dont j'ai eu le privilège d'assurer le suivi de la mise en œuvre permettra  l'ouverture à Nouakchott d'un bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme dés l'année 2010, suivie de la visite en Mauritanie du Haut Commissaire de l'époque, Mme Navi Pillay et de plusieurs rapporteurs spéciaux et groupes de travail des Nations Unies. Il s'agit  principalement, du  Groupe de travail sur la détention arbitraire en 2009, du Rapporteur Spécial sur les formes contemporaines de racisme en 2014,  de la Rapporteuse Spéciale sur les formes contemporaines de l'esclavage en 2009 , 2014 et 2017, du Rapporteur Spécial sur la torture en 2016, du sous comité pour la prévention  de la torture en 2016  et  du Rapporteur Spécial sur les Droits de l'Homme et l'extrême pauvreté en 2017.    

Ces différentes visites ont largement contribué à améliorer l'image du pays,  cible de campagnes de dénigrement et d'accusation pour violations des droits humains. Bien que le Gouvernement n'ait pas  accepté de faire  la déclaration de l'invitation permanente aux procédures spéciales du Conseil des Droits de l'Homme, il a toutefois  répondu favorablement à  toutes les demandes de visite et à l'exception du Rapporteur Spécial sur les Droits de l'Homme et  l'extrême Pauvreté, Mr  Philip Alston, les Rapporteurs spéciaux ont majoritairement  salué les efforts entrepris en Mauritanie, dans le cadre de la protection des Droits de l’Homme.  L'on peut citer  à titre d'exemple, le Rapporteur spécial sur la Torture Mr  Juan Ernest Mendez suite à  sa visite effectuée à Nouakchott en Janvier 2016 qui déclarait: «  La Mauritanie  a renforcé sa collaboration avec les mécanismes internationaux et régionaux des Droits de l'Homme et a adopté plusieurs textes de lois importants visant à éradiquer la torture et les mauvais traitements parmi lesquelles la loi de 2015 contre la torture et la loi de 2015 instituant instituant un mécanisme national de prévention de la torture. Mme Urmula Boola, Rapporteuse Spéciale sur les formes contemporaines de l'esclavage  a, quant à elle,  félicité le gouvernement  à la fin de sa  visite en Avril 2017, « pour les étapes franchies sur le chemin de l'éradication des séquelles de l'esclavage  et  pour l'engagement  dans la mise en œuvre efficace et effective des recommandations de  ses prédécesseurs  ».

L'interactivité avec les comités conventionnels  devant lesquels  le Gouvernement a présenté plusieurs rapports  au cours de cette décennie  a  été aussi l'occasion pour certains  de ces organes de se féliciter des  mesures prises par le Gouvernement en vue d'assurer la pleine jouissance des dispositions contenues dans les instruments auxquels la Mauritanie a souscrit.

 

La  reconnaissance des efforts accomplis

Ce satisfecit a été confirmé par le Conseil des Droits de l'Homme à  l'occasion de la présentation du rapport de la Mauritanie, au nom de la procédure de l'Examen Périodique Universel, en Novembre 2015, événement  au cours duquel la plus haute instance onusienne des Droits de l'Homme a reconnu les  progrès accomplis par le pays dans la promotion et la protection des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et culturels. Faisant preuve  de bonne coopération, le Gouvernement avait accepté la majorité des recommandations du conseil et n'a rejeté que certaines se rapportant à  la levée de  certaines réserves  contraires à la Charia;  l'abolition de la peine de mort, l'acceptation de l'invitation permanente aux procédures spéciales  du Conseil des Droits de l'Homme, la reconnaissance des droits et obligations entre époux consentants  de même sexe et la ratification du statut de Rome se rapportant à la Cour Pénale Internationale.  

 Le Gouvernement ne s'est pas suffi à la seule interactivité avec ces différents mécanismes et s'est résolument engagé dans un processus stratégique visant à faire élire des experts  nationaux au sein même de ces mécanismes. En l'état actuel, sur les dix organes de traité de l’ONU, quatre  experts nationaux siègent au sein du comité pour l'élimination de la discrimination Raciale,  du comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, du comité des Droits de l'Homme et du sous comité pour la prévention de la Torture, en plus du comité d'experts africains sur les droits et le bien-être de l'enfant. .

 

De la nécessité de réformes palliatives

En  termes de perspectives, les efforts devraient s'orienter vers  davantage d'actions en faveur du  renforcement des institutions nationales en charge des Droits de l'Homme à travers une révision du cadre institutionnel existant, la rationalisation et l'efficience  des moyens  allouées  à celles-ci  et le renforcement des capacités des acteurs nationaux.

La garantie de l’indépendance, du pluralisme et  de l'efficacité de la Commission Nationale des Droits de l'Homme conformément aux Principes de Paris  et le maintien de son statut  A par le comité international  de coordination des institutions nationales des Droits de l'Homme demeurent  un objectif stratégique à atteindre dans le court et moyen terme.

L'image du pays, son ouverture  vis à vis des organisations et  ONG internationales  et sa place au sein des institutions internationales spécialisées  qui constituent  un autre axe majeur  de notre politique extérieure méritent d’être renforcées. Enfin, les efforts menés  dans le cadre de la politique nationale de promotion et de protection des Droits de l'Homme devraient  tenir compte  de l'interdépendance   entre les droits humains,  la cohésion sociale et la solidarité nationale. La création  d'un département ministériel chargé de la Citoyenneté, de la Cohésion Sociale  et de la Solidarité Nationale constituera sans nul doute un rempart contre les dérives que pourraient engendrer les discours de haine, de discrimination et de désunion  qui se développent malheureusement, de plus en plus, au sein de notre société.

              

 Cheikh Tourad Ould Abdel Malick

                Juriste, spécialiste en Droit International des Droits de l'Homme

                   Ancien Commissaire aux Droits de l'Homme et à l'Action Humanitaire