Carnet de voyage au Niger : Si loin, si proche

2 April, 2019 - 13:34

Lundi 18 Mars, une heure trente du matin, l’avion de la compagnie Royal Air Maroc se pose tranquillement sur la piste de l’aéroport Hamani Diori de Niamey. L’hôtesse annonce 34 degrés. « Il faisait donc combien à 14 heures ? », demande en souriant un français qui, comme moi, découvre pour la première une ville qui s’annonce déjà chaude. Le trajet, entre l’avion et le hall d’arrivée, se fait en bus, faute de satellites. On se croirait dans l’ancien aéroport de Nouakchott, par une chaude nuit de Juillet-Août. Les formalités de police se déroulent sans encombre. Toujours très méfiant, j’écris, en réponse à la case fonction de la fiche : « Consultant » ; pour ne pas susciter la curiosité des pandores. « Ils sont, en général, très accueillants et puis, ce n’est pas tous les jours qu’ils voient un mauritanien », me glisse un compatriote, expert en mission pour la banque Mondiale venu dans le même vol et qui a tenu à rester avec moi, jusqu’à s’être assuré que la résidence où j’ai réservation m’a envoyé une navette. Un frêle jeune homme, muni d’un papier où est inscrit mon nom, m’attend à la porte de l’aéroport. Nous nous engouffrons dans une vieille Toyota d’une compagnie de taxis, une sorte d’UBER des pauvres, dont l’hôtel loue les services pour acheminer sa clientèle. La route menant à la ville est en travaux, en prévision du Sommet de l’Union africaine, prévu en Juillet à Niamey. Le chauffeur fait grise mine, quand on lui demande l’état des goudrons dans le pays. Mais ne se gêne pas, quand on commence à parler politique. Feignant l’ignorance, je lui demande qui sont les hommes politiques les plus en vue. « Tandja est le président le plus populaire que le pays ait connu », me répondit-il, « Hama Amadou a beaucoup de succès auprès des jeunes, Issoufou a essayé de faire des choses ». Et Bazoum ? « Il sera investi par le parti au pouvoir mais les gens voteront-ils pour lui ? », comme pour insinuer que ses origines arabes risquent de le desservir dans un pays pourtant modèle de tolérance, où toutes les communautés sont bien intégrées.

Après 15 à 20 minutes de trajet, la voiture quitte le goudron pour s’aventurer sur une piste. Nous sommes pourtant dans un quartier chic de la capitale. L’Union africaine viendra peut-être à son secours. Mais là n’est pas la priorité : le pays fait face à des défis autrement plus urgents. Cerné, de partout, par des foyers de tension (Libye, Mali, Burkina, Lac Tchad, Nigeria), le Niger doit, en plus, lutter contre des bandes armées qui écument une partie de son territoire, s’adonnant aux trafics de drogues, d’armes et de personnes. Conscient qu’il ne peut affronter seul des tels dangers, le gouvernement de Mouhamadou Issoufou a fait appel aux puissances occidentales. Les Américains ont installé une base militaire à Agadez et les Français sont basés à l’aéroport de Niamey. Résultat des courses : les attaques d’AQMI ont pratiquement cessé et la sécurité est désormais assurée, sauf à la frontière nigérianne où Boko Haram évolue en territoire conquis.

En plus de tous ces défis, le Niger mène une autre guerre : contre le sous-développement, cette fois, et avec des moyens plus que limités. Avec une population dépassant vingt millions de personnes, un taux d’accroissement démographique parmi les plus élevés du monde, l’analphabétisme qui fait fureur, l’absence de couverture vaccinale, un des revenus par habitant le plus bas du monde, le Niger ne dispose que d’une mine d’uranium, un peu d’or et beaucoup de dignité. Sa démocratie a de quoi faire frémir de jalousie beaucoup de pays africains. Son président n’a pas hésité à mettre en prison des flagorneurs qui lui demandaient de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat. En 2020, il cédera son fauteuil à celui que les Nigériens auront librement choisi et qui a fortes chances d’être l’actuel homme fort du régime, Mohamed Bazoum, le ministre de l’Intérieur qui vient d’être investi par le parti au pouvoir, pour défendre ses couleurs lors de la prochaine présidentielle.

Jeudi 21 Mars, rendez-vous à 8 heures au ministère de la Défense. A l’entrée de la zone où se trouvent la présidence de la République, la Primature et certains ministères sensibles, plusieurs militaires sont en faction. On est obligé de montrer patte blanche, la voiture est inspectée et il faut ensuite se faufiler entre les barbelés, à l’entrée comme à la sortie. A 8h 05, le ministre arrive. Il est déjà de bonne humeur. « Vous voulez savoir comment le Niger combat la menace terroriste ? », explique-t-il d’entrée, « il faut d’abord signaler qu’il ne s’agit pas d’une guerre classique mais asymétrique à laquelle l’armée régulière ne peut pas faire face toute seule. Nous avons procédé à un maillage du territoire et déployé nos forces spéciales en fonction des menaces, avec le soutien de nos alliés occidentaux ». Pour lui, la présence de drones américains et d’avions de combat français est surtout dictée par la situation au Mali. « Ils font de la reconnaissance pour nous et aident à fixer l’ennemi, en attendant l’intervention de nos troupes. Les djihadistes évoluent dans une zone extrêmement vaste qu’ils connaissent très bien. L’intervention occidentale en Libye, une grave erreur, a entraîné la dislocation de ce pays et le déversement d’une quantité astronomique d’armes et de munitions dans la région. Ce qui fait que nous sommes obligés d’affronter non seulement AQMI mais aussi les trafiquants de drogue et d’armes », ajoute-t-il.

Considéré, depuis quelques années, comme un des grands pourvoyeurs d’immigration à destination de l’Europe, en passant par l’Algérie puis le Maroc et la Libye, le Niger a pris ce problème à bras-le-corps. Il a beaucoup investi dans le contrôle et sévi contre les bandes qui s’adonnaient à ce genre de trafic. Ce qui fait qu’on ne parle, pratiquement plus jamais, de hordes entassées, comme des sardines, dans des camions ou des pickup, bravant le désert dans l’espoir d’atteindre, un jour, l’eldorado européen. Et dont des dizaines de membres meurent, souvent de soif, dans un désert inhospitalier, avant d’arriver à la première bourgade algérienne.

 

Samedi 23 Mars, 11 heures. Sanoussi Jackou m’attend chez lui. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais dans ce pays, il est tout un symbole. Celui qui fut un des premiers nigériens à effectuer des études supérieures en France, au cours des années 60, s’y liant d’amitié avec un étudiant mauritanien, Dieng Boubou Farba, a tenu à rentrer au pays pour mettre ses compétences au service du jeune État naissant. Titulaire d’un doctorat en économétrie, il est nommé responsable de la planification des secteurs de l’hydraulique, de l’énergie et des mines, au Haut commissariat au Plan et enseigne à l’École nationale d’administration et à l’École supérieure d’agronomie. En 1976, le président Seyni Kountché échappe à une tentative de coup d’État menée par le commandant Moussa Bayéré. Elle échoue et ses meneurs sont passés par les armes. Tout simplement parce que Bayéré était son ami, Jackou est arrêté et condamné à une peine « élastique », comme il la définit lui-même. Enfermé dans un camp militaire, en plein désert, à la frontière du Tchad et de la Libye, il y restera onze ans, sans avoir la moindre nouvelle de son épouse ou de ses filles. A la mort de Kountché, il est gracié puis amnistié, avec les autres détenus politiques. Il reprend ses cours à l’Université. À l’avènement de la démocratie, sur injonction de la France, le virus de la politique le pique. Il fonde, avec d’autres, le parti CDS-Rahama dont il devient vice-président. En 1993, il est élu député de Maradi et devient premier vice-président de l’Assemblée nationale. Ministre sous Mainassara, il quitte le gouvernement avec fracas, démissionne de la CDS et fonde le Parti Nigérien pour l’Auto-gestion-Al Oumma. Fidèle au président Issoufou qu’il avait soutenu contre Tandja, en 1999 et en 2004. Lorsque ce dernier essaye de prolonger, par referendum, son mandat qui devait s’achever en 2009, Jackou est à la tête de la contestation, avec son ami Issoufou. Tandja obtient le feu vert par referendum. « Au Niger, tout ce que vous demandez par referendum sera approuvé, même si vous dites que vous allez brûler le pays », ironise Jackou. A l’arrivée d’Issoufou au pouvoir, il est nommé ministre conseiller à la Présidence. Il n’en perd pas pour autant son franc-parler. Bazoum ? « C’est notre candidat et il va gagner. C’est un homme bien ». Issoufou ? « Il a fait ce qu’il a pu et son principal acquis est d’avoir mis notre démocratie sur les rails ». Hama Amadou ? « Un voyou. Comment peut-on être musulman, aller dans une officine mafieuse pour acheter un bébé et prétendre que c’est votre femme qui l’a enfanté ? ».

 

Treize heures, le même jour. Grâce à une amie bien placée et à l’insistance du ministre de la Défense qui m’avait accordé une entrevue, deux jours auparavant, je réussis à obtenir un rendez-vous avec Bazoum. Vêtu d’un boubou d’un blanc immaculé, le ministre parait détendu. « Le Calame ? J’en ai entendu parler. Vous êtes un journal progressiste. Quel bon vent vous amène ? » La discussion tourne autour de la politique et de la prochaine élection que le futur candidat, qui sera investi, dans une semaine, par le parti au pouvoir, espère remporter, même s’il avoue que rien n’est joué. « Nous sommes soutenus par une grande coalition de partis et nous pouvons nous prévaloir du bilan largement positif de notre président mais il ne faut pas dormir sur ses lauriers », déclare-t-il. Celui qui était, il y a quelques jours à Nouakchott, invité au congrès de l’UPR, suit de près ce qui se passe en Mauritanie : « Nous sommes liés par des relations historiques, tous les deux membres du G5 et faisons face, en même temps, à l’islamisme violent. Vous pouvez être sûrs qu’avec moi, la coopération va s’intensifier. Il ne peut en être autrement, avec un pays où je compte beaucoup d’amis et que j’apprécie énormément. » Il ne reste plus qu’à prier que l’élection se passe bien et que les militaires ne viennent pas gâcher la fête !

 

Ahmed ould Cheikh