Après la tournée de Ghazwani à l’intérieur : Que reste-t-il du discours du 1er Mars ?

18 April, 2019 - 01:27

Deux mois se sont écoulés, depuis que le candidat  de la majorité présidentielle, Mohamed ould Cheikh  Mohamed Ahmed Ghazwani, a officialisé sa candidature à la présidentielle de Juin 2019. Beaucoup de zrig a, depuis, coulé dans les salons.

L’organisation, presque unilatérale, de ladite cérémonie, l’absence du président de la République à l’évènement et, surtout, le discours y adressé aux Mauritaniens, par le candidat, avaient laissé entrevoir comme une rupture d’avec le système qui  l’a sorti de l’ombre  et dont il porte  une part de responsabilité des erreurs de la dernière décennie. Nombre d’aspirants, tant de la majorité que de l’opposition, au changement du régime en place, en dépit de ses nombreuses réalisations, y ont vu un nouvel espoir, comme en  Août 2008. En s’emparant du pouvoir, cette année-là par force, à la tête d’une junte militaire, l’actuel président leur avait en effet donné à moudre : enfourchant le cheval de la lutte contre la gabegie et la corruption, annonçant l’égalité entre  les citoyens, emprisonnant, dans la foulée, divers anciens dignitaires, banquiers et hommes d’affaires, l’homme avait côtoyé  Ould Taya pendant deux décennies, connaissait bien les visiteurs du soir du Palais gris ; en somme, ceux qui avaient profité des largesses de son patron ; etavait donc toutes les données pour sévir à bon escient. On connaît la suite. L’opposition  et la presse indépendante n’ont cessé, depuis, de dénoncer les  manquements à ce programme, la marginalisation des seuls hommes d’affaires critiques du pouvoir, le recours systématique aux marchés de gré à gré, enrichissant le seul cercle des proches du régime, etc.

Assistant à tous ces micmacs, Ould Ghazwani n’a pas manqué de reconnaître, en annonçant sa candidature, que, certes, beaucoup de choses avaient été accomplies, les dix dernières années, mais qu’il  restait beaucoup à faire et qu’il y avait des manquements  et des torts qu’il s’engageait à  redresser. Une nouvelle ère s’ouvrirait-elle donc avec lui ? Exit celle du « changement constructif » ? Une déclaration qui aurait été mal appréciée, au Palais où la position officielle reste de poursuivre et consolider l’œuvre, évidemment « grandiose et immaculée », d’Ould Abdel Aziz…

 

Aziz irrité

Profitant d’une cérémonie d’inauguration  à Nouakchott, celui-ci paraissait passablement irrité par une situation qui  commençait à le mettre presque hors-jeu et tenait à rappeler, à tous ceux qui voudraient si vite l’enterrer, qu’il restait seul maître à bord. Il déclare alors, à la presse, n’avoir pas désigné Ghazwani d’autorité mais que c’était ce dernier qui avait manifesté  son intention de briguer la magistrature suprême. Cette mise au point suscitait l’incompréhension, pour ne pas dire cafouillage, au sommet de l’Etat. Une véritable bourde d’Ould Abdel Aziz qu’il s’empressa de recadrer, au cours d’une réunion avec la commission de pilotage de l’UPR. Il y affirma qu’évidemment, Ghazwani  est bel et bien « le » candidat de la majorité et qu’il bénéficie, par conséquent, de son propre appui, ainsi que ceux de son gouvernement et de l’UPR. Manière de  ne pas présenter son dauphin comme une marionnette entre ses mains. De son côté, Ould Ghazwani surprenait, lui aussi,  en laissant entendre  qu’il avait toujours soutenu l’idée d’un troisième mandat pour son ami et que c’était le seul refus de celui-ci à envisager cette hypothèse, qui l’avait contraint et forcé d’assumer ses responsabilités. Une gaffe, encore, et, au final, comme un match nul entre les deux hommes. Les néophytes en politique ne comprendront pas grand-chose au jeu de ces deux militaires réputés vieux amis de quarante ans.

Occupation du terrain médiatique ? L’Union Pour la République se demande, en tout cas, à quelle sauce sera-t-elle mangée, après la présidentielle… Embarquée pour soutenir Ghazwani, mais sans y être réellement impliqué, le principal parti de la majorité, quoique censé se tenir au cœur du dispositif de campagne du candidat, risque d’y jouer, comme toujours, les seconds rôles, pour ne pas dire figuration. Depuis la mise en place de son comité de pilotage, lors de son congrès du 2 Mars, l’UPR semble à l’agonie et les rumeurs de fondation d’un nouveau parti, au lendemain de la présidentielle, n’est pas de nature à la rassurer. C’est ce qui pourrait justifier le silence de certains de ses barons qui scrutent le ciel… avant de transhumer. Le choix porté sur une personnalité neutre et consensuelle, Habib ould Hemet, pour coordonner la campagne de Ghazwani, constitue un coup dur pour certains de ceux-ci  et autres zélotes du parti et du gouvernement. Le candidat met  en place un puzzle qui ne semble pas mettre au-devant les hommes du système en place. Le fait-il de concert avec le président Ould Abel Aziz ? La question mérite d’être posée.

Côté programme, la tournée à l’intérieur du pays  devait permettre d’en constituer la charpente. Le candidat avait laissé entendre, lors de son discours de candidature, qu’il mettrait l’accent sur la lutte contre la pauvreté et les injustices. Mais une tournée à  pas de charge, avec des arrêts ponctuels de quelques petites heures, sans audience avec les citoyens, ne permet pas de prendre le pouls de la situation qu’endurent les Mauritaniens. Les thèmes évoqués, lors du discours du 1er Mars, n'ont pas été explicités et  d’aucuns se demandent, même, à quoi auront servi ces balades carnavalesques, en tous points semblables aux « visitations » d’Ould Adbel Aziz.

Le candidat y aura quand même remarqué la versatilité et l’hypocrisie de nombre de  ses concitoyens, en particulier les élus et cadres, beaucoup plus soucieux de leurs avantages personnels que du sort de leurs « bastions ». Au terme de ce périple, Ghazwani aurait choisi d’en partager les enseignements avec Ould Abdel Aziz, en repos hebdomadaire, en ce qui ressemble à un ranch, non loin de Bénichab. « Deal » entre les deux amis ? Ceux qui restent sceptiques sur la véritable « indépendance » du premier vis-à-vis du second, ne manqueront pas d’attirer l’attention du peuple mauritanien sur les « manœuvres » supposées, pour perpétuer le régime en place. En telle attitude, Ghazwani peut-il apporter le changement que nombre de ses compatriotes attendent ? Beaucoup commencent à en douter : le cordon ombilical, entre les deux hommes, paraît fort difficile à couper.

DL