Calam(ités)

22 May, 2019 - 16:05

Depuis l’avènement des processus démocratiques en Afrique, au début des années 90, avec le fameux discours de la Baule, des milliers de consultations électorales ont été organisées dans la cinquantaine de pays que compte le continent. Mais, à quelques très rares exceptions près, leurs résultats ont banalement fait l’objet de vives contestations de quelques oppositions désabusées,  accusant éternellement les pouvoirs en place d’user et d’abuser de tous les moyens pour continuer à se maintenir aux commandes. Les rares processus témoignant d’une certaine éclaircie, en termes de pratiques démocratiques acceptables (Sénégal, Bénin, Ghana…), souffrent eux-mêmes de quelques disfonctionnements susceptibles de conduire à des dérapages préjudiciables à leur expérience démocratique relativement enracinée. En Afrique, le manque de confiance entre les protagonistes est un vrai problème. Les commissions électorales nationales prétendument indépendantes en sont une manifestation évidente, preuve de l’incapacité avérée des institutions publiques à gérer dans la transparence les processus électoraux. Plusieurs facteurs extrêmement complexes interfèrent dans l’opération. La culture de l’alternance pacifique au pouvoir ne veut absolument rien dire, en Afrique où quasiment tous les présidents y sont parvenus par des voies anticonstitutionnelles, via coup d’Etat militaire ou tripatouillage constitutionnel. Généralement, les prestations de ces gouvernants, aux plans économique, social, écologique et politique, sont plutôt des crimes de gouvernance dont les auteurs ne devraient pas échapper, dans le meilleur des cas, à des poursuites judiciaires. L’expérience a démontré que les tyrans et les dictateurs ont toujours été rattrapés par leur passé de gros prédateurs des ressources nationales. Les cas du gambien Yaya Jammeh ou du kenyan Daniel Arap Moi en constituent une preuve éloquente. La fin des présidents africains qui ont « levé le monde et ne l’ont pas assis », comme Omar El Béchir, Zéine El Abidine Ben Ali, Mouammar Kadhafi ou, encore, Hosni Moubarak, pour ne citer que ceux-là, devrait faire réfléchir ceux qui croient à tort que « ça n’arrive qu’aux autres ». Et leur faire savoir que les plus grosses fortunes indument amassées (propriétés foncières, comptes en banques, argent liquide superposé, cheptel, sociétés, flottes…..) ne prémunissent contre rien. Lors d’un dîner organisé (on ne sait à quels frais) en l’honneur des maires, le président Mohamed ould Abdel Aziz leur a déclaré que l’élection le 21 Juin prochain de tout autre candidat autre que Mohamed ould Cheikh Ahmed Ghazwani serait « une catastrophe ». Ces propos d’un président encore en exercice ne devraient pas passer inaperçus, ni du côté des autres candidats, ni de celui de la commission électorale nationale indépendante dont le rôle fondamental est de réguler l’élection présidentielle, en en garantissant la transparence du scrutin, sans aucune interférence ni le moindre clin d’œil, soit-il d’un président mal intentionné. Normalement, à quelques semaines de la présidentielle, le gouvernement ne devrait plus être qu’un instrument de gestion des affaires courantes. Or, comme à la veille de toute consultation électorale, il a pris, en son dernier conseil hebdomadaire, des mesures individuelles au profit de trente-huit personnes, toutes « applaudisseuses » du candidat du « Consensus National ». Rien d’autre que de la corruption électorale et manipulation des fonctions et avantages y afférents, au profit d’un candidat au détriment des autres. Là encore, à l’exception de Sidi Mohamed ould Boubacar, aucun autre postulant à la magistrature suprême n’a bougé le petit doigt, pour dénoncer ces graves pratiques. La composition des staffs de campagne du candidat Ould Ghazwani est en flagrante contradiction avec les dispositions on ne peut claires de la loi sur l’incompatibilité politique. Des ministres en fonction appelés à présider des commissions aussi sensibles que celles des finances, du transport, de la communication ou des opérations électorales ; des conseillers et chargés de mission à la Présidence et au Premier ministère, collaborateurs étroits, voire « aigus », du candidat au pouvoir ; et, à la direction nationale de sa campagne, le directeur général d’un grand établissement public…Dans quel cadre se situe le voyage du président Mohamed Ould Abdel Aziz à Néma et Kiffa ? Très probablement celui de la campagne au profit de son alter ego, afin de le faire élire pour éviter, au pays, « l’Apocalypse ». Autant de démonstrations à ciel ouvert qu’aucune garantie d’équité  transparente n’a été encore entreprise. L’implication effective de tous les segments de l’administration, l’usage intempestif des moyens de l’Etat, la manipulation du fichier électoral, le refus systématique des observateurs internationaux, la composition suspicieuse de la commission électorale nationale indépendante et le choix unilatéral de ses démembrements sont autant de facteurs qui ne présagent de rien de bon. A bon entendeur, salut.  

Sneiba El Kory