Campagne présidentielle : Dernier virage !

20 June, 2019 - 02:33

Les six prétendants à la présidentielle abordent le dernier virage de la campagne. Durant la première semaine, ils ont tous parcouru le pays profond, à la rencontre des Mauritaniens, dans le but de leur expliquer, chacun en ce qui le concerne, le programme électoral qu’il entend mettre en œuvre les cinq prochaines années, s’il est élu. Les media publics et privés ont également été mis à contribution, pour vulgariser lesdits programmes. Et le moins que l’on puisse dire, au terme de cette première semaine, c’est qu’excepté le benjamin des candidats, Ould Mourtaji, les autres candidats ont réussi à mobiliser les populations. Est-ce un bon baromètre ? La question reste posée, tant les Mauritaniens sont versatiles. Ils assistent presque à tous les meetings, le plus souvent par simple curiosité, goût de la fête, voire gourmandise. Ils peuvent vous expliquer, à l’intérieur du pays, qu’il faut accueillir tout le monde et lui montrer qu’on est sensible à son discours. C’est tout, comme dit Mamane de RFI.

 

Quelle raison à ces mobilisations ?

Pour ce qui est de Ghazwani, la réponse paraît simple ; il est le  candidat du système et du président de la République encore en place. Ould Abdel Aziz qui a choisi ou désigné son ami Ghazwani entend le porter au Palais. Il l’a dit sans détour : « on ne peut laisser le pays entre les mains d’autres personnes qui vont le brader ». Et n’a donc pas ménagé ses efforts. Ses moyens et ses ministres ont été mis  à contribution. Il a lui-même appelé les élus, cadres et notables de ce qui reste de l’UPR, des partis de la majorité présidentielle, à soutenir, tous, son candidat tenu à poursuivre le processus qu’il a enclenché avec lui, en Août 2008. Pour couronner le tout, il n’a pas hésité à s’afficher  aux côtés de celui-ci, lors de l’ouverture de la campagne, le 7 Juin passé et à déclarer qu’il n’y aura pas de second tour. Voilà pourquoi tout ce beau monde court, à ne surtout pas subir les foudres du tombeur de Sidioca. Faut-il s’interroger sur l’attitude de l’armée, réputée favorable à son  ancien patron, Ghazwani ? Toujours est-il que partout où il est passé, l’homme a réussi à drainer les foules.

De son côté, l’ancien PM, Sidi Mohamed ould Boubacar, n’a pas démérité. Il a également attiré du monde. En plus du soutien de Tawassoul, premier parti de l’opposition connu pour sa capacité de mobilisation, même s’il a subi quelques défections, Ould Boubacar a réussi à fédérer autour de sa candidature de nombreux groupes politiques et civils, et des personnalités indépendantes. Ses qualités d’homme d’Etat, son parcours politique et son expérience en gestion sans accrocs ont beaucoup joué dans cette mobilisation. Il  s‘y ajoute – c’est, là, un autre  facteur déterminant – l’aspiration des Mauritaniens au changement et, surtout, à tourner définitivement la page des régimes militaires qui ont mis le pays sous leur joug.

Kane Hamidou Baba, de la Coalition Vivre Ensemble (CVE) rassemblant les partis politiques à leadership négro-africain, et Biram Dah Abdeid, soutenu par le parti Sawab, d’obédience baathiste, deux candidats qualifiés d’« identitaires», ont prouvé leur capacité de mobilisation partout où ils sont passés. Les critiques, menaces et intimidations dont leurs militants et sympathisants sont  l’objet, de la part du pouvoir et de ses sbires, ne les ont pas découragés. Les injustices et l’exclusion  de la composante noire (Négro-africains et Haratines)  de presque toutes les  sphères  de l’Etat, des appareils militaires  et de sécurité, du secteur économique… qu’ils ont tenu à dénoncer dans leur discours leur ont donné à moudre auprès de ceux que d’aucuns traitent de « frustrés ». Et tous deux cependant appliqués à préciser qu’ils ne sont pas des candidats de communauté mais des promoteurs d’une Mauritanie juste, égalitaire et démocratique. Une Mauritanie où toutes ses composantes jouissent des mêmes droits et remplissent des mêmes devoirs. Si Kane a le vent en poupe, dans la Vallée et  certaines agglomérations urbaines, Biram Dah Abeid a réussi de fortes mobilisations un peu partout dans le pays. Les scores de ces deux candidats à budget électoral dérisoire seront  suivis avec un grand intérêt,  au lendemain du 22 Juin.

Enfin,  le docteur Mohamed ould Maouloud, dont la candidature fut qualifiée de « suicidaire », a pourtant réussi à mobiliser  jusqu’à Awjeft.  Inimaginable pour cet intellectuel de gauche dont le parti est souvent qualifié d’élitiste. Soutenu par  la Coalition des forces de changement démocratique, RFD, UNAD et autres groupes, Ould Maouloud aura marqué les esprits des citoyens par son discours d’intello à forte  teneur sociale. Il aura été le seul parti de l’opposition membre du FNDU et de l’AEOD  à se lancer dans la bataille, presque sans moyens. Un défi pour sauver une opposition dispersée entre plusieurs candidats, dont celui  désigné et soutenu par celui qu’ils ont combattu pendant une dizaine d’années.

Même si  les mobilisations ne sont pas un baromètre fiable, pour établir un pronostic pertinent, il semble à tout le moins difficile, pour ne pas dire suspect, d’écarter l’hypothèse d’un second tour, après le 22 Juin. Mais ne nous faisons pas d’illusion : en Afrique, les présidents sortants n’acceptent pas de gaieté de cœur de  sortir, ils n’organisent pas des élections pour perdre. A cet égard, le candidat du pouvoir mauritanien en place dispose d’une grosse longueur d’avance sur ses concurrents : soutien du Président en exercice, qui a déjà proclamé (décidé ?) qu’il n’y aurait pas de second tour, et moyens colossaux (argent, administration, armée, confection des cartes d’électeurs et CENI dont la majorité des membres sont issus de partis politiques soutenant le pouvoir) mis à sa disposition. Avec le refus d’ouvrir la CENI à  l’opposition et d’autoriser l’arrivée d’observateurs étrangers, le  discrédit posé sur les véritables intentions du gouvernement est plus que sérieux. Avec quels lendemains au soir du 22 Juin ?

DL