Ghazwani vainqueur d’une élection contestée : Un tournant ?

27 June, 2019 - 11:24

Il a gagné ! C’est  la chanson que les supporters d’Ould Ghazwani auraient dû entonner, quand celui-ci  déclara qu’on ne pouvait plus le rattraper, après le dépouillement de 80% des votes. Mais ils n’ont fait qu’applaudir, en présence de leur chef d’orchestre, Mohamed ould Abdel Aziz, le Président qui s’apprête à sortir, au moins, pour les cinq prochaines années. De fait, cette victoire est loin d’une surprise, tellement le candidat avait de cartes en main, pour remporter la victoire au soir  du 22 Juin. Soutien du Président sortant et de son gouvernement, hommes d’affaires et leurs sous, machinerie de l’administration, forces de défense et de sécurité, plus que jamais déterminées à s’éterniser au pouvoir, partis politiques dont divers transfuges de l’opposition, chefs de tribus, initiatives tous azimuts qui revêtaient, pour la première fois, un caractère tribal, ethniciste, régional et même familial ;  et  une CENI plus que soupçonnée, par l’opposition, d’être à la solde du pouvoir en ce qu’elle est composée, en totalité, de soutiens au candidat de la majorité. Autre atout, s’il en fallait encore : une opposition dispersée et incapable de soutenir un seul candidat, interne ou externe, avec candidatures à caractère identitaire ne pouvant que très difficilement bénéficier d’un vote « national et/ou  patriotique».

Face à ce bulldozer ou tsunami, il était donc pratiquement impossible, pour les candidats de l’opposition, de gagner. L’alternance attendra encore Godot ! Dommage pour la démocratie Mauritanie, orpheline depuis l’intermède « Sidi ould Cheikh Abdallahi ». Là aussi, les militaires du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) avaient bien manœuvré, pour ne pas laisser les civils leur ravir le pouvoir. Ils étaient revenus, à travers le Haut Conseil d’Etat (HCE), en Août 2008, jurant, depuis Néma, par la voix d’Ould Abdel Aziz, que l’opposition ne gagnerait jamais l’alternance, oubliant de dire que cette impossibilité de changement civil est bâtie sur la complicité de gros opportunistes, civils eux-mêmes.

 

… quid de la Mauritanie ?

Aujourd’hui que les cartes sont battues ou rebattues, on s’interroge sur l’avenir du pays. Le vainqueur, sous le parapluie d’un président sortant ne cachant pas ses intentions de revenir au pouvoir dans cinq ou dix ans, saura-t-il, à défaut de changer la gouvernance de son ami et frère, maintenir au moins le climat de sécurité, assuré depuis 2011, contre un présumé deal entre la Mauritanie et les djihadistes ?

Ould Ghazwani est très attendu par les Mauritaniens. Beaucoup, au sein de l’opposition et même du pouvoir, l’ont soutenu parce qu’ils aspirent à un changement de gouvernance. Quoiqu’il ait réussi à assurer la sécurité du pays et de ses citoyens durant son magistère, en dotant le pays d’infrastructures modernes et en luttant, plus ou moins, contre une gabegie sélective, Ould Abdel Aziz laisse comme un goût d’inachevé. Son mandat aura été marqué par un malaise diffus, sous le règne croissant de l’injustice et du népotisme... Les prix des produits de denrées de première nécessité n’ont jamais baissé et les fameuses boutiques Emel n’ont réussi  à les endiguer que très timidement, alors qu’elles ont coûté des milliards. Sans audit… L’embellie dans le domaine des industries extractives (fer, or, pétrole…) n’a pas profité significativement aux citoyens et le pays croule, aujourd’hui, sous une énorme dette. Patate chaude refilée à son frère et ami…

On accuse également Ould Abdel Aziz d’avoir élevé ses propres hommes d’affaires, par l’octroi de marchés juteux de gré à gré, et d’en marginaliser beaucoup d’autres. C’est aussi sous son règne que la tension politique et la question nationale se sont retrouvées fortement exacerbées. Il a certes criminalisé l’esclavage, organisé une marche  pour l’unité nationale, contre les propos haineux et discriminatoires mais ces faits et gestes restent de simples velléités. L’application des textes attendra, elle aussi, Godot !  

 

Vivement la décrispation politique…

Le nouveau président élu saura-t-il apporter le changement attendu par les Mauritaniens ? Assumera-t-il tout le passif de son frère et ami ? Sera-t-il différent  ou, tout simplement,  l’autre face d’une même pièce ? En somme, a-t-il vraiment la  capacité, comme l’affirment certains observateurs et soutiens, de décrisper les tensions politiques et ethniques que vit le pays depuis 2008 ?

Les rapports entre le pouvoir et l’opposition sont exécrables. Le dialogue politique ayant abouti à l’Accord de Dakar, en 2009, n’a pas permis de solder le coup de force orchestré contre un président démocratiquement élu au second tour, deux ans plus tôt, et le refus du FNDD de reconnaître la légitimité du tombeur de Sidioca ne fit qu’accentuer la tension. En retour, Ould Abdel Aziz ne s’appliqua qu’à traiter de tous les noms d’oiseaux les acteurs politiques de l’opposition, jurant, depuis et sur tous les toits, que celle-ci n’arriverait jamais au pouvoir. La démocratie s’est donc retrouvée sacrifiée sur l’autel des divergences politiques, alors que celles-ci devraient en être la sève nourricière.

Ould Abdel Aziz a imposé son dauphin et l’a fait élire, au grand dam de l’opposition. La convocation, au lendemain du scrutin, des quatre candidats de celle-ci, au ministère de l’Intérieur, alors quelques échauffourées opposaient les forces de l’ordre à des jeunes manifestants, en certains quartiers de Nouakchott, n’est pas bon signe.  Au cours de cette rencontre qui sonne comme une intimidation, on leur aurait demandé de calmer la rue. Il en faudra beaucoup plus pour rendre espoir à des catégories sociales de moins en moins convaincues de la pertinence du pacifisme en politique.

Souvent qualifié de pondéré, Ould Ghazwani se dit différent de son ami : lui, c’est lui ; moi, c’est moi. Espérons surtout que, tout assurant la sécurité et la stabilité du pays, le nouveau Président s’attellera, comme il a  laissé entrevoir dans son discours de candidature, le 1er Mars dernier, à rassembler les Mauritaniens, en renforçant l’unité nationale et la cohésion sociale, à bannir toutes les formes d’injustice, à répartir, équitablement entre  les citoyens, les produits tirés des ressources du pays (fer, pétrole, or, poissons…), sans jamais oublier de redresser les secteurs de l’éducation et de la santé. Le meilleur moyen  d'y parvenir est d'organiser des concertations nationales, sous l’égide d’un vrai dialogue politique inclusif, sur le modèle des Journées nationales de concertation, lors de la Transition 2005-2007. A en croire le président Messaoud d'APP, Ghazwani en aurait accepté le principe.

 

… et l’unité nationale !

Il devra également mettre en œuvre des solutions concrètes au problème de l’unité nationale (esclavage et passif humanitaire). Des questions contenues dans les programmes de tous les candidats. Depuis quelques années, le vivre ensemble se pose en problème et le premier responsable en demeure le pouvoir. Signe des temps : parmi les doléances que les cadres de la communauté négro-africaine  issus de la majorité présidentielle ont soumises à son candidat, la question de l’unité nationale figurait en première place, et la désignation de Niang Djibril, comme directeur national de la campagne de Ghazwani, fut souvent  interprétée comme une marque d’attention à cet égard, même si certains responsables déplorent qu’elle n’ait été le fruit d’une concertation élargie.

Les Haratines et les Négro-africaines réclament, depuis bien longtemps, une discrimination positive. Les piètres résultats obtenus, par le candidat Ghazwani, dans la Vallée, sont le signe d’un réel malaise en ces régions. Les élus et cadres ont été laminés –  excepté en la commune de Wothié– incapables qu’ils étaient de convaincre les citoyens se considérant en laissés pour compte des pouvoirs, en particulier celui de la dernière décennie. Présumé « identitaire », le vote de protestation a profité, non seulement, à la coalition qui soutenait Kane Hamidou Baba mais, aussi, à Biram Dah Abeid. Un mouvement déjà sensible, lors de la présidentielle de 2014, confirmé par les élections locales  de 2018 et nettement amplifié en Juin 2019.

Ould Ghazwani qui a dirigé l’armée ne doit pas ignorer ces questions. Successivement DGSN, chef d’état-major général des armées et ministre de la Défense pendant quelques mois, il passe pour bien en connaître les ressorts. Mais le moins qu’on puisse dire que les tentatives de réponses avancées, ces dernières années, ont surtout fait la preuve de ce que les pouvoirs publics ne s’y sont pas pris par le bon bout. Il est plus que temps de corriger le tir.

DL