Ghazwani, nouveau président de la République : Et après ?

4 July, 2019 - 01:58

Le suspens n’aura duré que quelques jours. Juste une semaine avant que les Mauritaniens ne  connaissent, officiellement,  leur nouveau président de la République : Mohamed Ould  Ghazwani, dauphin désigné de  Mohamed ould Abdel Aziz, encore en exercice  jusqu’au 1er Août. On s’y attendait, depuis que la commission électorale nationale indépendante (CENI) avait annoncé sa victoire, quelque 48 heures après le scrutin du 22 Juin. Le  Conseil constitutionnel, juge attitré des élections a donc validé, le 1er Juillet, les résultats de l’organe chargé de l’organisation des élections, rejetant, du coup, les recours déposés par trois autres candidats : Biram Dah Abeid, Sidi Mohamed Ould Boubacar et Mohamed Ould Maouloud. Les corrections apportées par  cette institution n’ont  que  peu ou prou  influé sur les chiffres de la CENI  qui accordaient, à  Ghazwani, près de 53  % des suffrages. Le CC n’en retient que 52.

Dans un mot prononcé pour l’occasion, son président,  Diallo Mamadou Bathia, a tenté d’expliquer, voire justifier, en différentes langues nationales, les fondements de la décision, la méthodologie de  travail  et les moyens  juridiques déployés, affirmant, au passage, que le Conseil a travaillé dans une transparence  totale, conformément   aux textes et  sans jamais recourir au vote.

L’affaire est, comme on dit,  pliée. Le bon accueil des résultats provisoires de la CENI, par divers pays comme la France, s’empressant de saluer l’élection de  Ghazwani, avant même sa proclamation par le Conseil constitutionnel, l’augurait. Le désormais officiel vainqueur de la la présidentielle du 22 Juin prêtera donc serment,  le 1er Août,  signant ainsi le départ d’Ould Abdel Aziz du pouvoir, après dix ans de règne. D’ici là, le nouveau président planchera sur sa future équipe gouvernementale. Sera-t-elle ouverte ? C’est déjà toute une autre histoire.

 

L’opposition crie à la fraude

Comme la précédente de 2014, la présidentielle de 2019 n’échappe pas à la contestation des candidats  perdants. Ceux-ci ont vite annoncé les couleurs, au lendemain du scrutin. Pris de court par leur rival, Ould Ghazwani, annonçant  sa victoire dans la nuit même du scrutin, mais vite convaincus de la réalité de « fraudes massives », un peu partout  dans le pays, ils rejetaient les résultats  annoncés par la  CENI.  Des manifestants  descendent dans les rues  des quartiers populaires de la capitale, protestant contre un « holdup électoral ». Fortement mobilisées et déjà postées dans les  centres névralgiques,  autour des centres de vote et des marchés, les forces de l’ordre ne tardent pas à réagir ; elles répriment  violemment les contestataires et procèdent à de nombreuses  arrestations de personnalités, comme  Samba Thiam, président des FPC, membre de la Coalition Vivre Ensemble (CVE) soutien du candidat Kane Hamidou Baba, le journaliste Camara  Seydi Moussa et, même,  dans les rangs des ressortissants de pays voisins  ouest-africains (Sénégal, Mali, Gambie).  Au cours d’un point de presse, Kane Hamidou Baba s’est interrogé sur les motivations de l’arrestation de Thiam Samba. « Si l’on veut s’en prendre à la coalition », a-t-il dit en substance, « on doit arrêter son  premier responsable, à savoir  moi, pas Samba Thiam qui  n’en est qu’un membre ».

Emergence donc d’une crise post-électorale... Les candidats de l’opposition  ne se sont pas arrêtés là, étayant leurs  accusations en documentant la fraude. Au cours d’une conférence de presse, ils ont  dénoncé, en vrac : les votes multiples, le bourrage des urnes en certains bureaux de vote, des représentants expulsés,  etc. Ces griefs sont présentés au Conseil constitutionnel mais ce dernier les a rejetés,  estimant qu’ils ne forment pas matière  à changer le résultat  ou annuler le scrutin. Son président  s’est évertué à justifier, lors de la proclamation des résultats officiels, pourquoi  ses griefs étaient sans influence sur les résultats proclamés par la CENI et corrigés par   son institution. A-t-il convaincu ?

Si le débat semble clos, la capitale reste, en tout cas, comme placée en état de siège, du moins en certains quartiers. Des armes lourdes, comme des porte-mitrailleuses, postées en divers axes. Les fameux bérets rouges et la garde présidentielle ont été appelés à la rescousse. Si l’on s’attend à une réaction des candidats de l’opposition, on note déjà leur précaution d’annuler leur appel, jeudi dernier, à une grande marche de protestation. Raison invoquée, le refus du gouvernement de l’autoriser mais, aussi et surtout, volonté de ne donner aucun prétexte aux forces de l’ordre de réprimer  violemment,  comme l’a  menacé le ministre de l’Intérieur en personne. Une position sage, saluée par tous les observateurs et acteurs politiques. On sentait tout de même, jeudi, comme une espèce de psychose dans la ville. Beaucoup de commerces avaient fermé leur porte et les rues étaient presque désertes. Nombre de pères de familles avaient invité leurs enfants à rester à la maison, craignant de les voir tomber entre les mains  des forces de l’ordre dont l’excès de zèle ne fait l’ombre d’aucun doute.  

 

Quel président sera Ould Ghazwani ?

La présidentielle de 2019 a consacré le départ d’un président, au terme de deux mandats  successifs, conformément à la Constitution qui limite le mandat présidentiel à deux. C’est justement parce qu’il ne pouvait pas en briguer un troisième qu’Ould Abdel Aziz a désigné l’un de ses confidents et compagnon d’armes, le général à la retraite Ould Ghazwani, pour garder « sa » maison, n’excluant pas d’y revenir dans cinq voire dix ans. A contrario, le nouveau président doit donc d’abord relever le défi de démontrer, aux Mauritaniens, qu’il n’est pas un Medvedev  et que son ami Aziz n’est pas Poutine. Beaucoup se demandent si ce général, peu  connu  du grand public mais réputé très pondéré, courtois et  bien éduqué, pourra user de ses qualités pour gouverner autrement la Mauritanie. Le pays en a besoin, après une échéance présidentielle  marquée par les contestations  des quatre candidats de l’opposition  mais, aussi, le vote identitaire. La campagne présidentielle a fortement  cristallisé  les tensions communautaires. Pour la première fois,  des extrémistes  de tous bords ont cherché à jeter de l’huile sur le feu, appelant  à la violence  contre d’autres  communautés ou des responsables politiques de la Vallée. Une attitude tout aussi  condamnable que la gestion hasardeuse du pays, par un système coupable d’avoir marginalisé des pans entiers de la communauté nationale, soumettant le quotidien au népotisme, au tribalisme et autre régionalisme…

 

Faire baisser la tension

Une fois aux commandes, le nouveau Président doit rapidement arrêter cette spirale de violence dans le discours et panser les plaies de l’unité nationale. Il lui faut gagner la sympathie et le respect de ses concitoyens et de la communauté internationale, en accordant grande attention à toutes les préoccupations évoquées par les candidats dans leur programme électoral. Ould  Ghazwani n’ignore pas que si la Mauritanie est arrivée à ce stade de violence dans le discours, c’est à cause, justement, de la mauvaise gouvernance qui  sévit depuis des années, l’injustice et la mauvaise répartition des dividendes  tirées des ressources nationales. Le vote identitaire aura mis plusieurs décennies pour germer, il est le résultat  de cette  gestion chaotique qui a laissé sur le carreau trop de mauritaniens, suscitant beaucoup de frustrations. Même les proches ou soutiens du pouvoir ont tiré la sonnette d’alarme, à la veille de la campagne présidentielle. Les cadres négro-africains de la majorité présidentielle ont remis, au candidat Ould Ghazwani, un lourd cahier de doléances de leur communauté  qui se considère marginalisée, à l’instar de celle des Haratines. Ould Ghazwani s’était montré très prudent dans sa réponse. On connaît la suite : ces soutiens ont été presque tous laminés.   

Le résultat de Biram Dah Abeid, arrivé second  et celui de Kane Hamidou Baba, quatrième,  prouvent  que le discours identitaire a fini de gagner les esprits. Plus d’un quart des électeurs les ont suivis,  c’est une donne incontournable de la présidentielle. La répression  et la stigmatisation de ces communautés  ne peuvent ni ne doivent en être la solution. « Un contentieux électoral ne se règle  que par le dialogue et la concertation », a dit le candidat malheureux Sidi  Mohamed ould Boubacar, au cours de la conférence de presse des quatre candidats de  l’opposition, donnée au lendemain des  échauffourées  consécutives à l’annonce des résultats par la CENI.  Ses   compagnons  d’infortune Kane Hamidou Baba,  Biram Dah Abeid  et Ould Maouloud  ont dénoncé, au cours de cette rencontre avec la presse, la stigmatisation de la communauté noire. Pour preuves, ont-ils énuméré, la répression des manifestants, le saccage du siège du candidat Kane Hamidou Baba, les arrestations  organisées par les forces de l’ordre, la mise sous  scellés des sièges de campagne des candidats de l’opposition. Dans les quartiers populaires, les forces de l’ordre n’hésitent  pas  à entrer dans les maisons pour arrêter et brutaliser des citoyens qui n’ont souvent rien à voir avec la jeunesse qu’elles poursuivent dans les rues.

 

 

Rassurer

Face à cette atmosphère de suspicion entre  les communautés, le nouveau Président doit  rassurer  tout le monde,  en restaurer la confiance et en privilégiant le dialogue entre tous les acteurs politiques et la société civile du pays. Ainsi videra-t-il le contentieux électoral.  Un dialogue franc et sincère dont le seul et unique but  doit être le renforcement de l’unité nationale, la cohésion sociale, la bonne gouvernance et l’ancrage de la démocratie.

En attendant, le pouvoir en place doit rapidement lever un état de siège qui ne dit pas son nom, à Nouakchott  et partout ailleurs. C’est, certes, son devoir d’assurer la sécurité des biens et des personnes mais il ne doit pas pousser le zèle jusqu’à donner l’impression de ne protéger qu’une partie de ses concitoyens.  Les appels condamnables, dans les réseaux sociaux, appelant à la haine et à la vindicte, ne doivent pas servir de prétexte pour séquestrer des citoyens plusieurs jours, laissant leur famille dans l’ignorance de leur lieu de détention et les raisons pour lesquelles ils ont été arrêtés. C’est le cas de Samba Thiam, président des FPC et de Camara Seydi Moussa,  directeur de la Nouvelle Expression.  Certains citoyens n’ont eu que le malheur de croiser le chemin des forces de  l’ordre, d’autres ont été pris devant leur maison…

Rassurer ; et vite. C’est à cette aune que le nouveau président donnera sens à son discours d’investiture du  1er Mars dernier. Les propos de Ghazwani avaient  suscité un certain espoir des Mauritaniens désireux de changement. Il s’était engagé à  bâtir une Mauritanie d’où seront bannies   toutes les  formes d’injustice, à  œuvrer pour l’ancrage de la démocratie et de l’Etat de droit, à consolider l’unité nationale et la cohésion sociale… Vaste chantier que nombre de mauritaniens ne voudraient pas voir s’évanouir, comme les slogans « lutte contre la gabegie » et « président des pauvres ». Le pays a beaucoup de défis à relever mais,  en même temps, une immense chance : l’islam et un énorme potentiel  économique.  Il est plus que grand temps de les valoriser et de les bien partager.

 

DL