Lettre adressée à Son Excellence monsieur le ministre de la culture à propos du Festival des Villes Anciennes

31 October, 2019 - 00:00

Monsieur le ministre,
Apres huit éditions du Festival des Villes Anciennes et dont Chinguitti s'apprête à accueillir la neuvième, dans quelques jours, permettez moi d'attirer votre bienveillante attention et à travers vous celle des plus hautes autorités de notre pays, sur la dérive congénitale qui a transformé cette bonne initiative en " kelimetou haghin ouriide bihaa baatiloun ".
En effet, solennellement annoncées, à grand renfort de publicité, par l'ancien chef de l'Etat, dans le cadre d'un ambitieux programme, prétendument destiné à la sauvegarde de notre patrimoine national et à redonner vie à nos vieilles cités de Wadane, Chinguetti, Tichitt et Walata, l'institution, en février 2011, du Festival des Villes Anciennes et la décision d'allouer annuellement, une importante dotation budgétaire à cette fin, avaient été unanimement saluées .
Cette décision était d'autant plus bien accueillie que l'UNESCO menaçait de retirer à ces anciennes villes son label de patrimoine mondial, sous prétexte de non respect par notre pays de ses engagements, souscrits à cet égard.
Tout le monde avait donc cru en la perspective d'une possible résurrection de ces vieux Ksour à travers la mise en place d'un programme qui devait se décliner en deux volets principaux ; l'un destiné à assurer la sauvegarde des trésors ; culturel, architectural et archéologique d'une valeur inestimable que ces cités médiévales renferment et l'autre, à mettre en valeur les quelques atouts économiques et touristiques qu'elles recèlent pour freiner l'exode de ce qui restait de leurs habitants et, pourquoi pas, favoriser le retour d' une partie de ceux qui ont déjà émigré, chassés par la précarité de leurs conditions de vie locale. C'est dans une telle perspective et pour montrer leur adhésion à ce qui avait tout d'un louable clin d'oeil de l'Etat en faveur de leurs terroirs que beaucoup de gens, ressortissants de ces villes anciennes, résidant à Nouakchott ou ailleurs, avaient cru devoir se joindre à la fête en se déplaçant massivement, souvent en familles, pour contribuer à l'accueil et au succès des premières éditions de ce festival au niveau de leurs cités d'origine respectives. Ce qui a demandé à tous, eu égard à l' éloignement, aux difficultés d'accès de ces vieilles villes et aux limites de leurs capacités d'accueil, de consentir, avec plaisir, d'importants sacrifices d'ordre logistique.
Aujourd'hui, à la croisée des chemins, neuf ans après le discours de Chinguitti et à la veille de la neuvième édition de ce festival, cet enthousiasme a fondu comme neige au soleil. Il suffit pour comprendre cette grande déception de considérer le coût matériel et financier exorbitant de ce grand rassemblement annuel au regard de son impact négligeable sur l'état de ces vielles cités. Seul un imposteur pourrait soutenir le contraire.
Pour l'exemple, on peut affirmer, en ce qui concerne Tichitt, qu'après les troisième et septième édition qu'elle a accueillies en 2013 et 2017, la situation est encore aussi précaire sinon plus qu'avant la création de ce festival. En effet, qu'il s'agisse de son enclavement, à nul autre comparable, de l' état délabré de ses nombreux manuscrits et de son patrimoine architectural, archéologique et naturel à l'abandon, ou des conditions de vie de ses habitants dont l'exode continue de plus belle, aucune promesse du programme annoncé n'a connu le moindre début d'exécution.
Seul, lors de ces deux éditions, un petit pécule, somme toute dérisoire, accordé à quelques dizaines de familles, en contrepartie de l'accueil et de l'hébergement d'une partie des participants mérite d'être signalé. D'ailleurs, pour la petite histoire, le montant global de ce pécule est, à l'échelle de cet événement, à peine équivalent au coût du carburant consommé par les seuls tireurs à la cible présents à cette manifestation.

Pendant ce temps, ce rendez- vous annuel, devenu un véritable terrain de prédilection d'une pléthore de panégyristes et autres troubadours, continue de drainer une foule de plusieurs milliers de visiteurs nationaux dont de nombreux hauts fonctionnaires, notables et hommes d'affaires, toutes Wilayas confondues. Tous, venus à bord de plusieurs centaines de grosses cylindrées énergivores, se croient obligés d'effectuer ce long périple, rien que pour être pointés à l'accueil du Président.
Mais qu'ils soient invités de l'Etat, à travers ce qu'on appelle la fondation des villes anciennes ou hôtes d' élus, de notables ou autres originaires du ksar organisateur, ce beau monde repart quelques jours plus tard, comme il est venu, souvent sans faire l'honneur à ces cités d' y investir, ne serait ce qu'un coup d'oeil sur une bibliothèque, un vestige architectural ou un village néolithique environnant.
Or, les milliards de deniers publics et privés qui se sont volatilisés ces huit dernières années dans le transport, l'accueil et le confort des hôtes de ces festivals, auraient largement suffi pour engager des actions significatives en vue de faire renaitre de leurs cendres ces vieilles villes et contribuer à préserver et à tirer de grands profits scientifiques des trésors culturels et archéologiques qui y sont enfouis.
Malheureusement, en dehors de quelques exposés qui en ressassent l'histoire et le riche passé culturel, à chaque édition, le déclin de nos vieilles villes aura été au contraire, purement et simplement instrumentalisé pour instaurer et pérenniser une immense kermesse, devenue une fin en soi au lieu d'être le support promotionnel et le rendez-vous annuel pour dresser le bilan des réalisations du programme de sauvegarde annoncé. Si la promesse de l'Etat avait été tenue.
En un mot, il est grand temps , monsieur le ministre, de stopper cette dérive insensée qui détourne tant de ressources depuis bientôt neuf ans, au seul profit de l'accueil fastueux de nombreux invités de marque et pour offrir des cachets exorbitants à des organisateurs et acteurs d'une kermesse électronique surréaliste, qui viole annuellement l'agonie de nos cités médiévales, pour disparaitre, au bout d'une semaine, sans laisser de trace. Tel un fantôme.
Dans l'espoir que ce cri d'alarme puisse être entendu, veuillez agréer, monsieur le ministre l'expression de mes sentiments très respectueux.

NOUAKCHOTT 20 OCTOBRE 2019

CHEIKH SID AHMED OULD BABAMINE