Il était une fois l’opposition en Mauritanie

22 January, 2020 - 22:27

Depuis l’instauration, voici bientôt trente ans, du multipartisme et de la démocratie en Mauritanie, l’opposition (leaders et militants) s’est, de manière générale, illustrée par un courage politique certain et la défense de nobles causes. Persécutés, par moments, dans leur travail ou appâtés par les gains et/ou privilèges, militants et leaders firent ordinairement preuve de résistance et parfois de résilience.

Venant de différents horizons et cultures politiques, plusieurs vagues de dirigeants de l’opposition se succédèrent  ainsi sur la scène politique à la défense de divers principes, valeurs et causes. La première fut constituée d’anciens ministres ou administrateurs qui n’étaient plus, pour de variées raisons, dans les sphères du pouvoir. L’opposition était, pour eux, un moyen de se maintenir dans l’élite politique du pays, espérant réhabilitation personnelle ou changement du régime militaire en place. Des objectifs souvent suffisamment inconciliables pour empêcher l’entente entre de fortes personnalités, ambitieuses ou quelques fois revanchardes, après des élections dont ils ne purent ou surent bénéficier des avantages. La première coalition vola donc en éclats : les uns voulant être Président ou rien, d’autres souhaitant briguer d’autres mandats. Ils n’arrivèrent à s’entendre sur aucun objectif, tant d’intérêt général que personnel. Erreur politique, égoïsme ou manque de flexibilité, les chefs de l’opposition rataient ainsi leur première rencontre avec notre histoire démocratique.

Le second bataillon fut constitué par d’ex-militaires à la retraite, révoqués ou aspirants à d’autres courants politiques, parfois panarabes. En fait, c’était au moins leur troisième tentative d’accéder au pouvoir.  La première avait été d’intégrer l’armée en tant qu’officier, nourrissant le secret espoir d’accéder un jour aux hautes sphères du pouvoir : lieutenant, capitaine, commandant,  colonel, membre du Comité Militaire puis ministre… ; Certains étaient membres de mouvances « pro- quelqu’un ou pays » mais jamais « pro-mauritanien » ; se hasardant parfois à des tentatives de coups d’État avortées, avec malheureusement des victimes. L'armée n’enseigne pas l’art de la guerre ni ses stratégies mais elle permet la maîtrise de la stratégie tout court. L'opposition l'apprit à ses dépens lors des dialogues politiques, avec, face à elle, des adversaires non seulement militaires mais aussi fins politiciens,  rompus aux arcanes de la stratégie. Nos intellectuels et politiciens doivent y méditer.

La troisième vague réunit des défenseurs de causes nationales : séquelles de l'esclavage, évènements de 1989... Certes légitimes en divers aspects, elles furent malheureusement abordées de manière trop frontale, risquant de diviser encore plus les populations dont une bonne partie, analphabète, ne comprend pas toutes les nuances et subtilités des situations. Il faudra travailler de manière patiente et constructive à réparer ces fractures sociales. Diverses composantes de l’opposition doivent œuvrer avec patience et flexibilité à un consensus national, en veillant à ne jamais servir, involontairement ou maladroitement, à encore plus de divisions, par radicalisme religieux ou ethnique. Pour être définitivement colmatées, ces fissures sociales doivent être réellement prises au sérieux, de façon réfléchie, par tous les acteurs politiques.  L’urgence commande de poser les fondements d’une réconciliation nationale durable et une démocratie apaisée.

 

Trente ans de ratés pour assurer une opposition républicaine

Dans leurs discours, certains leaders de l’opposition critiquent ou mettent en doute, depuis au moins trois décennies, la démocratie, les élections, la Commission nationale électorale indépendante (CENI), le développement du pays… Trente ans d’élections officiellement pluralistes et des évidences toujours obstinées : pratiquement aucun leader d’opposition élu à la présidence de son parti lors d’une élection interne ou par assemblée constituante. Les statuts et/ou la pratique ne définissent jamais le mandat du chef ni le nombre de mandats auxquels il a droit. Excepté au parti Tawassoul qui a effectivement procédé au renouvellement de sa direction en 2017, pratiquement aucun leader n’a mis au moins une fois son mandat en jeu ou préparé sa succession de manière démocratique. Les échecs ou toute autre situation exceptionnelle n’ont jamais été l’occasion, pour un chef de parti d’opposition, de mettre son mandat en jeu, démissionner ou définir une période de transition. Le constat général, à de rares exceptions près, est que son mandat est indéterminé, sans limitation ni période prédéfinie. Même si les statuts du parti prévoient des structures en charge de procéder aux élections en interne, à l’instar de la CENI, elles n’ont jamais été vu à l’œuvre en telle consultation. En trente ans, aucun parti, hormis Tawassoul, n’a changé de chef.

Parlons des défis du développement. Ces leaders n’ont certes pas des moyens comparables à ceux du pouvoir, mais on apprécierait qu'ils puissent toujours présenter leur bilan en termes d'actions initiées, soutenues et/ou financées. Au cours des trente dernières années, combien d’écoles, de structures de santé, de réseaux d’adduction d’eau ont-ils ainsi construits ou réhabilités avec leurs propres ressources ? Il serait d’autant plus souhaitable qu'ils en informent les populations qu'ils ont bénéficié de plusieurs financements pour leurs campagnes. En ont-ils affecté une quelconque part  à des actions de développement au vu des besoins et des manquements constatés ? On peut avancer sans se tromper que cette éventuelle partie de leur bilan fut très limitée, voire carrément inexistante pour certains partis. Il aurait été aussi souhaitable qu’ils fassent preuve d'union à l’occasion des actions pertinentes entreprises par le gouvernement en faveur des gens. S'y impliquer plus fortement pour améliorer les conception et exécution de celles-ci serait également fort bienvenu. Bref, en ce qui concerne les fractures sociales, la réconciliation, la démocratie et/ou la citoyenneté, nous attendons et espérons plus d’investissements et d’engagements constructifs de leur part.

 

Pourquoi une opposition républicaine ?

Résolument républicaine – c’est à dire attachée au développement de la « chose publique » –  l’opposition se doit ainsi de soutenir le gouvernement dans les actions d’intérêt général et faire front,  en cas de besoin, à toute menace externe. Dans le cadre de l’affirmation de l’unité nationale, ils se doivent de discuter, entre eux et avec le gouvernement, sur tous les problèmes et enjeux majeurs. Dans les cas critiques, le consensus est obligatoire et le soutien au gouvernement inconditionnel, après avoir contribué à la recherche de solutions ou aux prises de décision.

Enfin et après trente ans sans accession au pouvoir, une remise en cause en interne s’impose : encourager l’alternance aux directions des partis, organiser des élections internes pour le renouvellement des cadres, préparer la relève ; travailler également à la consolidation de la gouvernance dans tous les domaines : démocratique, économique, financier, environnemental ou social.

Après la récente élection présidentielle, des signes d’ouverture ont été notés. L’opposition ne doit pas rater sa seconde rencontre avec l’histoire. Ce sera l’affirmation d’une opposition républicaine forte, soutenant l’émergence de la Mauritanie nouvelle à laquelle nous aspirons, l’affirmation d’une démocratie apaisée et une réconciliation nationale durable et acceptable pour tous. Ils peuvent apporter également une valeur ajoutée, car défenseurs de nobles causes, valeurs et principes universels.

 

Ethmane BA