Autour d’un thé : Commissions

5 February, 2020 - 23:25

Nous sommes un peuple rieur. Qui rit de tout. Et qui va à ce point loin dans son hilarité que rien ne lui échappe. Même pas Allah ni Son prophète (PBL). Quoique « la mécréance soit « nombreuse », même sans laisser tomber la prière » ou que « la parole s’arrête quand elle atteint Allah » et autres sentences variablement confuses, dans une gymnastique langagière aux formes, couleurs et saveurs typiques de leur origine : wilaya, communauté, caste, ethnie ou je ne sais quoi encore de nos impénétrables clivages socio-culturo-ethnico-régiono-imbécilo-n’importe-quoi-ho ! Un peuple assoiffé. Un peuple malade. Un peuple ignorant. Un peuple pauvre. Un peuple con. Un peuple souffrant. Un peuple sourd. Un peuple muet. Un peuple mouton. Un peuple paresseux. Un peuple peu entreprenant. Un peuple colonisé. Et, je sais ce que je dis, je  dis ce que je sais, un peu prostitué. Je pèse mes mots. Un peu sauvage, je n’ai pas d’autre mot. Un peuple hypocrite, excusez du peu. Un peuple pitoyable, je n’ai encore pas d’autre mot pour qualifier cette misère. Un peuple mesquin. Pas tout le peuple, hein : il ne faut jamais généraliser. Même les ânes ne sont pas aussi bêtes que vous le pensez. Il y a une hiérarchie dans leur ânerie. C’est exactement comme nous, les Mauritaniens. Il existe bel et bien une hiérarchie dans nos conneries, nos stupidités, nos incongruités déplacées. Si tant est qu’une incongruité peut ne pas être déplacée. Mais l’on rit de toutes. Simplement. Comme si de rien n’était. Le peuple a besoin de manger. Le peuple a besoin de se soigner. Le peuple a besoin de s’éduquer. Le peuple a besoin de respirer. Le peuple a besoin de se sécuriser. Le peuple a besoin de se protéger. Le peuple a besoin de ne plus mourir sur des routes complètement délabrées. Le peuple a besoin de ne plus quémander misérablement dans les bureaux administratifs ou à tous les carrefours. Le peuple a besoin de sentir l’odeur de l’argent généré par son fer, son or, son poisson, son cuivre, son phosphate, son fisc, les conventions signées en son nom, sur son dos, à son insu. Le peuple a besoin de savoir où sont allés les deux cent vingt-cinq milliards d’anciennes ouguiyas rassemblés par la douane. Concrètement, combien de cet argent lui est-il revenu ? Pour une fois, s’il vous plaît, pas de  chiffres, le peuple n’en a pas besoin : on l’en a tellement gavé qu’il ne saurait qu’en vomir ! Non, offrons-lui plutôt une commission d’enquête sur quelques dossiers de la désormais « fameuse dernière décennie » ! Hdadett el halma ella ch’ratta. Allez savoir ce que c’est. Du coup, il en faudrait beaucoup, de commissions d’enquête ! Pour établir qui a soutenu les coups d’État militaires successifs qui nous tiennent encore dans la quadrature du cercle ; qui a saboté l’éducation et la santé ; qui est derrière leur déliquescence… Pour situer les responsabilités des tragiques événements des années de braise qui engendrèrent tant d’assassinats organisés et tant de déportations systématiques de citoyens mauritaniens ; élucider les accords entre le peloton des députés qui autorisèrent le renversement d’un président démocratiquement élu et l’avènement d’une junte militaire à qui l’on demande maintenant de rendre gorge ; identifier ceux qui ont profité, durant la dernière décennie subitement devenue « satanique », des quotas de poulpes, de grands domaines à Nouakchott et à Nouadhibou,  évalués à des centaines de millions, des juteux marchés de gré à gré et des licences de pêche… Et encore une commission, pour apprendre qui a prostitué l’administration des grosses entreprises (BCM, Directions générales des douanes, des impôts, du Budget, du Trésor…) pour y placer, sans aucune référence qui vaille, ses fils, filles, épouses, cousins, cousines, proches parents, deuxième, troisième et même quatrième bureau… Et une autre pour savoir qui entretient l’esclavage chez lui, via ses chauffeurs, ses bonnes et domestiques ! Une commission d’enquête pour savoir qui est qui ; qui est quoi ;  qui a fait et/ou pris quoi ? C’est après, seulement après toutes ces commissions, qu’on verra !   Salut.

Sneiba El Kory