Le jugement de Mohamed Ould Abdel Aziz : fin d’un homme ou naissance d’une nation ? Par Ahmed Jibril Abdallah

21 May, 2025 - 12:13

Dans un geste qualifié à la fois d’historique et de controversé, la Cour d’appel de Nouakchott a condamné l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz à 15 ans de prison ferme, au terme d’un procès de plusieurs mois, considéré comme le plus important de l’histoire du pays en raison des personnalités impliquées et des accusations portées, notamment «enrichissement illicite, blanchiment d’argent et abus de pouvoir ».
Mais au-delà du verdict, se posent de grandes questions politiques et éthiques sur le futur visage de la Mauritanie.
Le pouvoir judiciaire affirme avoir agi conformément aux lois, réitérant que nul n’est au-dessus de la reddition des comptes, pas même un ancien président. Les partisans de Mohamed Ould Abdel Aziz, quant à eux, y voient une farce politique visant à écarter l’homme de la scène de manière forcée, tout en affaiblissant son influence au sein de l’armée et des tribus qui lui restent fidèles dans certaines régions.
Cette divergence d’interprétation reflète la fragilité de l’équilibre entre droit et politique dans un pays encore en transition, entre un héritage de gouvernance militaire civilisée et les aspirations d’un courant civil ambitieux.
Si le jugement n’a pas, pour l’instant, suscité de réaction populaire majeure, ses répercussions pourraient être différées et souterraines. L’homme, qui a dirigé le pays pendant dix ans, conserve un réseau d’alliés profondément ancré dans l’État. Son incarcération devient ainsi un événement où s’entrecroisent enjeux tribaux, sécuritaires, voire internationaux, notamment s’il décide de saisir des instances de défense des droits humains à l’étranger.
Si la Cour suprême confirme la sentence, cela pourrait créer un précédent utilisé à l’avenir pour éliminer des adversaires politiques sous couvert de « lutte contre la corruption ». À l’inverse, l’opposition pourrait exiger la mise en accusation d’autres figures liées au pouvoir actuel avec la même rigueur.
La question centrale demeure : ce verdict marque-t-il un véritable tournant vers un État de droit en Mauritanie, ou s’agit-il simplement d’un geste sélectif pour redorer l’image du pouvoir sur les plans intérieur et international ? La réponse dépendra des prochaines mesures prises par l’État face aux dossiers de corruption endémique, et de la capacité de ce procès à ouvrir la voie à une réforme profonde des institutions, ou à n’être qu’un simple sacrifice d’une figure majeure pour préserver le système.
Le procès de Mohamed Ould Abdel Aziz, quelles qu’en soient les intentions ou les arrière-pensées, constitue un moment décisif dans la conscience politique mauritanienne. Il pourrait soit inaugurer une ère nouvelle de transparence et de responsabilité, soit rejoindre les archives des manœuvres politiques où la justice est instrumentalisée par les plus puissants.
Seul l’avenir nous dira quelle voie empruntera la Mauritanie.