
Le malheur supposé de la Libye fait le bonheur de la Tunisie
Notre séjour au Maghreb correspondait au summum de la prospérité du régime du président Zeine El Abidine Ben Ali. A l’époque, avec une situation de plein emploi, les citoyens tunisiens ne se plaignaient pas beaucoup de ses apparitions quotidiennes et répétées à la télévision tunisienne. En Tunisie, nous passions une quinzaine de jours.
Quand le tourisme handicape notre retour
Nous avons loué un appartement dans une maison privée. A cause de la grande pression touristique, les chambres d’hôtels nous étaient inaccessibles. Depuis notre retour de Libye, la rue tunisienne fut envahie par les touristes étrangers, notamment les européens. Les Allemands à eux seuls comptaient 4 millions annuellement. Dans les principales rues de Tunis presque trois passants sur quatre étaient des étrangers. Les hôtels et les restaurants furent pris d’assaut par un déferlement grandissant de touristes. On s’inquiétait pour notre retour. On risquait de ne pas avoir d’avion. Le ciel fut aussi occupé.
Notre appartement était équipé complet. En plus du mobilier entier d’une chambre d’hôte, il comportait une grande cuisine. On s’approvisionnait au marché en viande eten légumes ainsi qu’en fruits divers. Je me chargeais de la cuisine des différents repas. La cuisine n’était pas le fort de mon ami Etfagha.
Une opposition à notre opposition
En Tunisie, la colonie mauritanienne était composée presque exclusivement d’étudiants. On les rencontrait tous les soirs dans des réunions. On discutait à bâtons rompus avec eux de la situation en Mauritanie. Presque tous affichaient leur opposition au régime mauritanien. Notre problème fut qu’ils n’étaient pas aussi très satisfaits de la plupart des dirigeants de l’opposition.
Ils leur reprochaient ce qu’ils appelaient leur conduite dans le passé avec les régimes précédents. Dans ma polémique avec eux, je leur répondais parfois ainsi: « Malheureusement on ne peut pas forcer la main de Dieu pour nous recruter des prophètes et des anges! ». « Nous sommes dans l’obligation de composer avec ce qui existe, c'est-à-dire des humains comportant inévitablement des défauts », ajoutais-je souvent.
Une fois à cause d’une menace de grippe, j’étais dans l’obligation de rater un rendez-vous avec eux. Je n’avais pas cédé à mon ami Etfagha qui insistait pour qu’on respecte notre parole. Lui aussi fut menacé par la grippe. Je lui expliquai qu’on n’avait aucun intérêt à tomber malades dans un pays étranger.
Ma mutation en docteur pour soigner Etfagha
Il était parti seul. A une heure tardive, il retourna dans une situation lamentable. La grippe le terrassa toute la nuit. Je me mis à le soulager en lui prodiguant des médicaments contre la grippe. Du café et un repas chaud feront le reste. Il remercia Dieu pour mon refus de l’accompagner à la réunion. Il m’informa que les étudiants avaient beaucoup regretté mon absence. Ils seraient, selon lui, séduits pour mon sens de la polémique. En Tunisie, on s’était limité à la formation d’une représentation locale de l’UFD-Ere Nouvelle. A sa tête on avait placé un jeune Yassaa, fils du célèbre fonctionnaire Ethmane Sid Ahmed Elyassaa, en première année préparatoire.
Passage risqué à Alger
On se mit à préparer notre retour via le Maroc. On tapa à la porte de toutes les agences de voyages. Impossible de trouver place dans un avion pour le Maroc. Comme solution, il a fallu changer notre itinéraire pour passer par l’Algérie. L’Algérie en pleine guerre civile était peu fréquentée par le trafic aérien. En survolant Alger la capitale algérienne suspendue aux flancs des montagnes nous avions remarqué des dizaines d’avions cloués au sol faute de passagers. Un climat de désolation et d’abandon régnait sur le gigantesque aéroport d’Alger.
On y avait passé quelques deux heures de temps. A peine trois avions l’avaient survolé. Des étudiants mauritaniens, en début de vacances, avaient emprunté le même vol que nous en direction de Casa. On voulait qu’ils nous informent sur les échos en Algérie des nombreuses actions terroristes rapportées fréquemment par les medias internationaux. Ils nous avaient répondu que, comme nous, ils apprennent les mêmes actions des medias internationaux et qu’ils n’avaient jamais remarqué de pareils événements en Algérie.
Séjour des plus agréables au Maroc
Au Maroc, notre séjour fut facilité par deux bonhommes à l’altruisme sans bornes: Chérif Ould Bah qui nous a hébergés chez lui. Il représentait l’Organisation Islamique au Maroc. Quant à l’autre: un monsieur d’une générosité exceptionnelle. Je l’ai perdu de vue depuis. J’ai compris tout récemment qu’il serait Abdessalam Ould Hourma, l’actuel chef du parti Sawab.
Tous les deux sont des parents de mon ami Ethfagha. Abdessalam qui représentait à l’époque l’Action pour le Changement (AC) de Messaoud Ould Boulkheir, n’avait pas hésité à nous accompagner dans notre tâche, nous servant de guide, durant tout notre séjour au Maroc. Chérif Ould Bah appartient à la famille spirituelle de mes parents.
Le génie d’un Chérif
Chérif m’avait profondément marqué par son intelligence. Chérif, à propos de la situation politique en Mauritanie, ne cessait de nous bombarder avec cette remarque: « Je comprends que tel opposant historique tient un discours d’opposition. Mais ce que je ne peux absolument comprendre est que quelqu’un, comme « tel », connu pour son passé de docilité au système installé depuis 1960 dans notre pays, se permette de nous donner aujourd’hui des leçons d’opposition ! ». « Je me suis toujours demandé si ce dernier croit vraiment à ce qu’il dit et depuis quand il avait appris à parler ainsi! », conclut Chérif. La remarque de Chérif ne plaisait pas du tout à mon ami Etfagha. Depuis lors cette remarque de Chérif me tapa constamment sur les tympans à chaque fois que j’entends un novice en matière d’opposition s’en prendre à un régime qui n’a rien de différent avec un précédent régime qu’il a déjà servi.
(À suivre)