
C’est un livre discret, mais d’une profondeur rare. Dans Mon devoir de servir – Mémoires, préfacé par l’ambassadeur Ahmedou Ould Abdallah et publié aux éditions L’Harmattan–Sénégal dans la collection «Mémoires -Biographies», l’ancien ministre Ousmane Mamadou Kane livre un récit de vie pudique et pénétrant, rédigé dans une langue sobre, habitée par l’émotion contenue et la rigueur du souvenir. Le lecteur y découvre un témoignage sincère, porté par une conscience exigeante du devoir et de l’Histoire.
Loin des récits d’autocélébration ou des règlements de comptes, ces mémoires prennent la forme d’une méditation intérieure. Une réflexion sur le sens de l’engagement, l’éthique de l’action publique et la responsabilité de la mémoire. Page après page, Kane retrace son parcours d’étudiant assidu dans la vallée du fleuve jusqu’aux plus hautes fonctions administratives et politiques, sans jamais céder à la vanité du pouvoir.
On y découvre un homme façonné par le doute plus que par l’ambition, par le travail discret plus que par les postures publiques. Ni ses douleurs physiques, ni son combat contre le bégaiement, ni les humiliations subies — comme ce refus d’embauche au Sénégal, assorti d’une injonction à solliciter une autre nationalité — n’ont entamé sa droiture. Ces épisodes, racontés sans pathos, résonnent avec une justesse d’autant plus émouvante qu’elle reste contenue.
L’ouvrage n’élude pas les heures sombres de l’histoire mauritanienne récente. Avec courage et nuance, l’auteur évoque les dérives sécuritaires des années de tension intercommunautaire, tout en saluant les gestes d’humanité : l’engagement d’un imam, les attentions d’un officier venu rassurer sa mère. Il s’émeut également d’une décision injustifiable : la destruction de son école primaire, symbole d’un passé que certains préfèrent effacer au lieu de le préserver.
Tout au long du récit, le ton demeure mesuré. Même lorsqu’il revient sur des désaccords avec des figures de l’État, Kane garde une posture digne, évitant l’amertume comme l’accusation facile. Ce choix éthique confère au texte une hauteur de vue rare dans l’univers des mémoires politiques.
Dense et élégant, traversé d’anecdotes, de souvenirs, de réflexions sur la gouvernance ou la modestie de l’action juste, ce livre rend hommage à ceux qui ont servi leur pays sans tapage, mais avec intégrité. Il donne à entendre une voix précieuse : celle d’un homme d’État lucide, fidèle à ses principes, profondément attaché à son pays.
Une lecture salutaire pour quiconque s’intéresse à la trajectoire mauritanienne, aux subtilités du service public, ou tout simplement à l’intelligence d’un regard porté sur le passé — non pas pour s’y enfermer, mais pour en éclairer le présent et inspirer l’avenir.