Sidi Ould Tah à la tête de la BAD : Une victoire pour la Mauritanie, mais que ferons-nous maintenant ?

5 June, 2025 - 01:11

Après des semaines d’attente, d’espoirs suspendus et de discussions en coulisses, l’annonce est enfin tombée : Sidi Ould Tah a été élu à la tête de la Banque africaine de développement (BAD). L’économiste mauritanien, déjà reconnu pour son parcours remarquable, accède ainsi à la présidence de l’une des institutions financières les plus puissantes et stratégiques du continent africain. Cette élection a suscité une fierté légitime en Mauritanie, où elle est perçue comme une victoire nationale.

Un moment d’unité nationale

Il faut reconnaître la charge symbolique d’un tel événement. En un instant, les clivages politiques s’effacent, les différences sociales s’estompent, et tout un peuple se retrouve rassemblé autour d’un même sentiment : la reconnaissance internationale d’un des siens. L’image d’un Mauritanien, issu d’un pays modeste en poids économique mais riche en ressources humaines, à la tête d’une banque panafricaine de premier plan, redonne foi en notre potentiel collectif.
Oui, cette nomination nous a fait vibrer. Une vibration à la mauritanienne, mêlant fierté patriotique, émotions spontanées, et rêves d’un avenir où notre pays compterait davantage dans les dynamiques continentales. Pendant quelques heures, nous avons regardé au-delà de nos frontières avec confiance, portés par l’idée que la compétence peut triompher, même lorsqu’elle vient d’un pays périphérique.

Une victoire symbolique, mais pas un passe-droit

Cependant, au-delà de l’émotion, une question s’impose avec acuité : et maintenant, que ferons-nous ?
Car il faut le rappeler avec clarté : la BAD n’est pas une institution nationale, et encore moins une entité au service d’un seul pays. Sidi Ould Tah ne devient pas président pour la Mauritanie seule, mais pour l’Afrique entière. La Banque africaine de développement est un organisme multilatéral, gouverné par des règles strictes, des procédures rigoureuses, et des décisions concertées entre tous ses États membres — africains comme non-africains.
Autrement dit : la Mauritanie ne bénéficiera d’aucun traitement de faveur. Aucun projet ne sera financé sur la base de la nationalité du président. Les logiques d’allocation de ressources resteront objectives, fondées sur la qualité des projets, leur impact, leur viabilité. Le mérite primera sur l’identité.
Il serait donc illusoire — voire dangereux — de croire que l’accession d’un Mauritanien à ce poste puisse ouvrir une porte dérobée aux financements. Les vieilles habitudes de clientélisme, de favoritisme discret ou de lobbying informel, si elles existent encore dans certaines mentalités, trouveront ici une limite claire.

L’honneur d’un homme, la responsabilité d’un pays

Ce que la Mauritanie gagne réellement dans cette élection, ce n’est pas un avantage matériel immédiat. C’est bien plus profond : une reconnaissance du sérieux, de la compétence et de la rigueur que peut incarner un Mauritanien sur la scène internationale. Et cela, il nous appartient désormais d’en être dignes.
Il serait incohérent de nous réjouir de cette victoire si, dans le même temps, nous continuons à présenter des projets faibles, mal conçus, sans vision claire, ou entachés de pratiques douteuses. Ce serait trahir l’exemple que représente Sidi Ould Tah : celui d’un homme de dossiers, d’efficacité, de discrétion et de constance.
Nous devons voir cette nomination comme un appel à nous surpasser. À hausser notre niveau d’exigence. À construire des politiques publiques crédibles, à investir dans les compétences locales, à renforcer nos institutions, à assainir nos circuits financiers.

La Mauritanie symbolique et la Mauritanie réelle

Car au fond, cette victoire est symbolique : c’est la Mauritanie que l’on célèbre. Mais demain, ce sera la Mauritanie réelle qui devra se montrer à la hauteur. Pas celle de l’euphorie du jour, mais celle du travail de fond. Pas celle des communiqués, mais celle des réformes. Pas celle de la chance, mais celle du mérite soutenu et de la vision stratégique.
Alors oui, la Mauritanie gagne aujourd’hui. Elle gagne en image, en fierté, en confiance. Mais cette victoire appelle à une responsabilité nouvelle : celle d’agir, de se transformer, de produire enfin ce que nous avons longtemps seulement espéré.
Le reste ne dépendra pas de la BAD. Il dépendra de nous.

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