
Par Moussa Hormat-Allah, professeur d'université, lauréat du Prix Chinguitt
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Pour essayer de sortir Israël de son aveuglement et, qui sait, l’amener à reconsidérer sa position sur la question palestinienne, dans l’intérêt même de la pérennité de l’entité sioniste, un bref rappel historique s’impose pour les lecteurs qui ne sont pas familiers avec les arcanes du conflit israélo-palestinien.
La greffe d’Israël en Palestine : un fait colonial scandaleux
En 1917, le ministre britannique des affaires étrangères, Arthur Balfour en réponse à une lettre-requête du puissant banquier et homme d'affaires juif Edmond de Rothschild, promet au peuple juif la création d’un foyer national sur la terre de Palestine. La conjoncture internationale se prêtait bien à cette promesse.
Après la première guerre mondiale, c’est l’Angleterre qui occupa la Palestine, jusque-là partie intégrante de l'Empire ottoman. Balfour qualifie la Palestine de ‘’terre sans peuple pour un peuple sans terre’’. La Palestine était alors peuplée d’un million de Palestiniens.
Evoquant cet engagement de Balfour, Arthur Koestler écrira : ‘’Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième’’. Un dernier ‘’fait’’ colonial né du partage des empires. Les puissances occidentales ont été réceptives à la propagande sioniste. Le dirigeant sioniste Herzl répétait à qui voulait l’entendre que l’Etat (juif) qu’il allait créer sera : ‘’une base avancée de la civilisation dans l’Orient barbare’’.
Plus tard, vers la fin de la décennie 50, le partage de la Palestine fut opéré par l’ONU et la création de l’Etat juif actée.
A l'époque, les pays occidentaux et leurs alliés disposaient de la majorité à l’Assemblée générale de l’ONU. La plupart des pays arabes n’avaient pas encore recouvré leur indépendance et leur voix n’avait pas d’écho dans le palais de verre à New-York.
Par ailleurs, l’opinion internationale en était à ses premiers balbutiements. C’est dire que sur la scène internationale d’alors, il n’y avait aucun contrepoids face à l’Occident.
Une nouvelle donne au plan international
Toutefois, avec la fin de l'européocentrisme qu’incarnaient la France et la Grande Bretagne, avec l’émergence des deux super-puissances, à savoir l’URSS et les Etats-Unis, avec les vagues d’indépendance, notamment, des pays arabes, avec la multiplication des ONG et autres relais de l’opinion internationale, avec la guerre des six jours, tout cela a induit une nouvelle redistribution des cartes et a radicalement changé la donne au plan mondial. Désormais, les regards accusateurs sont tournés vers Israël.
Malgré ses protecteurs occidentaux, l’entité sioniste devient la cible des défenseurs des droits de l’homme, un peu partout dans le monde.
Ajoutez à cela l’émergence des puissances du Sud global : Chine, Russie, Inde, Brésil, Afrique du Sud… dont le soutien à la cause palestinienne est clairement affiché.
Un autre fait important est à mettre en exergue. La forte pression des opinions publiques, arabe, européenne, américaine et mondiale en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien. L’Etat palestinien est déjà reconnu par plus de cent cinquante Etats dont plusieurs pays européens. Et la tendance ne fait que s’amplifier.
La perspective pour une totale reconnaissance des droits du peuple palestinien poursuit, inexorablement, son chemin. Pourtant, Israël fait comme si rien ne s'était passé et continue à défier la communauté internationale avec, au premier chef, l’ONU et ses multiples résolutions.
Une attitude qui tranche avec le bon sens. En effet, une analyse prospective sur la base des paramètres disponibles, devrait, en toute bonne logique, amener l’Etat hébreu à intégrer dans l’équation les multiples et graves dangers qui, au-delà du confort du moment, se profilent à l’horizon.
Lesquels dangers pourraient, à terme, menacer son existence.
Israël face à des menaces existentielles
Israël devra bien comprendre que la politique de l'autruche et la fuite en avant meurtrière ne mènent nulle part. Les dangers qui l’assaillent sont réels. Qu’on en juge :
* A coup de milliards de dollars, les pays arabes qui entourent Israël s’arment massivement. Cet armement est en grande partie acheté aux Etats-Unis : Radars, missiles guidés, batteries anti-missiles Patriot ou équivalent, avions de chasse…
Un armement de dernière génération pour beaucoup similaire à celui fourni par les américains à l’Etat hébreu. Ces armes dites intelligentes ont un pouvoir de destruction énorme. De plus, elles sont automatisées avec des logiciels très performants qui simplifient grandement leur mise en action. En effet, avec ces bijoux de technologie, le savoir-faire de leurs serveurs devient presque secondaire. Les pays arabes ont acheté en un an pour plus de deux cent milliards de dollars en armes, en grande partie auprès des Etats-Unis. Cf. LCI (France) du 24/7/2025.
Ces pays arabes, au gré des changements des régimes politiques pourront, le moment venu, prendre Israël pour cible avec ces armes. Les israéliens connaissent, pour les avoir souvent utilisé, leur efficacité et les terribles destructions qu’elles peuvent provoquer.
* Dans nombre de pays arabes, le feu couve sous la cendre. Les analystes avertis n'excluent pas un remake du printemps arabe sous une forme beaucoup plus radicale. Un soulèvement populaire qui, comme naguère, fera tâche d’huile.
Un soulèvement populaire qui sera sous-tendu par le mal-être, les inégalités sociales et la corruption mais aussi par les frustrations inhérentes aux graves atteintes à la dignité et à l'honneur de la nation arabe qu’Israël et les Etats-Unis ont gravement mis à mal.
Dans cette optique, la rue arabe puis, probablement, l’armée, prendront le pouvoir. L’Etat hébreu se retrouvera dans la ligne de mire des révolutionnaires avec, comme première mesure, l’annulation du processus de normalisation avec Israël.
Tel Aviv sera d’autant plus isolée avec le départ de Trump ou si celui-ci venait à perdre la majorité au Congrès. D’autant que l’Administration américaine aura les yeux tournés en priorité vers l’Indo-pacifique avec une obsession : La rivalité avec la Chine.
Par ailleurs, Israël aura perdu beaucoup de son influence en Europe en raison notamment du génocide qui se déroule à Gaza.
* La montée des violences des colons en Cisjordanie et les menaces de démantèlement ou d’affaiblissement de l’Autorité palestinienne nourrissent un risque réel de délitement sécuritaire et l’embrasement local, indépendant de Gaza.
* A armes égales avec ses voisins, les chances d’Israël de conserver sa suprématie militaire s’amenuisent au fil du temps.
* La haine et l’esprit de vengeance à l’endroit de l’Etat hébreu ne cessent de grandir dans la rue arabe.
Par ailleurs, l’image de l’entité sioniste est, de plus en plus, ternie dans le monde. La cruauté et l’inhumanité des gouvernants israéliens dans la guerre de Gaza est une tache indélébile que plus rien ne pourra effacer.
Certains vont même jusqu’à comparer les massacres effroyables exécutés, de sang-froid, par Tsahal aux traitements particulièrement barbares que les nazis ont infligés aux juifs lors de la deuxième guerre mondiale.
* La bombe démographique est une menace existentielle pour Israël. L’Etat hébreu compte quelque sept millions de juifs alors que les palestiniens sont au nombre de huit millions, sans compter les six millions de réfugiés palestiniens notamment, en Jordanie, au Liban et en Syrie.
En Israël et en Palestine, le taux de natalité n’est pas le même. Dans un cas la progression est arithmétique, dans l’autre, elle est géométrique. Cette évolution démographique défavorable en Israël même menace le caractère juif et ‘’démocratique’’ de l’Etat sioniste.
* La ferveur religieuse gagne, de plus en plus, de terrain dans le monde musulman. Les musulmans ne supportent plus qu’Al Qods, la mosquée sacrée soit occupée par les sionistes. Chaque fidèle, en fonction de ses moyens, est tenu, religieusement à faire tout son possible pour que cette occupation prenne fin.
On ne doit jamais perdre de vue qu’Al Qods fut la première Kibla des musulmans et reste le troisième lieu saint de l’Islam. Elle fut aussi le lieu du Voyage nocturne du Prophète Mohammed (PSL) et son ascension vers les sept cieux.
* Un isolement international croissant d’Israël qui se traduit sur le terrain par des condamnations, voire la menace d’un embargo. Sans oublier la perte en cascade des soutiens de pays occidentaux alliés avec la reconnaissance de l’Etat palestinien.
* Renforcement des groupes extrémistes et intensification des violences avec, notamment, les attentats contre les juifs à l'intérieur d’Israël et à l’étranger.
* Polarisation politique, perte de cohésion sociale et affaiblissement de l’unité nationale. En un mot, dégradation interne de la société israélienne.
* Accroissement des tensions entre Israël, l’ONU, la CIJ, la CPJ, les agences spécialisées du système onusien, les ONG qui militent pour le respect des droits de l’homme et tous les forums qui œuvrent pour la liberté et la justice dans le monde.
* En Israël, l’absence d’horizon politique clair nourrit radicalisation, crises institutionnelles et glissement autoritaire, minant la cohésion nationale, indispensable à la sécurité nationale. Voir à ce sujet le bras de fer entre Netanyahou et la justice israélienne et les nombreuses altercations entre le premier ministre israélien et de nombreux responsables politiques et militaires sur l’opportunité ou la légalité de certaines de ses décisions.
Une fois de plus, la multiplication et la superposition des problèmes qui précèdent pourraient compromettre sérieusement la pérennité même de l’Etat israélien tel qu’il existe actuellement.
C’est dire que sans un règlement pacifique sur la base des deux Etats, Israël fait face à une combinaison de menaces potentielles : perte de majorité démographique juive, isolement global, conflits perpétuels et effritement démocratique. L'État hébreu est-il prêt à payer ce prix?