
A/ Instruire pour servir :
En 1986, j'étais le commandant de la brigade 12, formée d'élèves officiers de 1ère année à l'Emia d'Atar. La brigade était composée de jeunes mauritaniens, très motivés, venus de tous les horizons du pays. Pour cela le chef doit avoir une stature horizontale, se mettre au niveau de tous ses élèves, les respecter, les accompagner et surtout rester juste avec chacun d'eux, quelles que soient son origine, couleur de peau, ou condition sociale. D'après ces mêmes élèves, dont la majorité baigne aujourd'hui dans de grandes responsabilités opérationnelles, administratives ou financières au sein de notre Armée, cela n'a été possible qu'à travers le tremplin de justice et d'éthique que je leur ai inculqué, dès les premiers jours de leur formation. Ce comportement du savoir-être, transmis à ces stagiaires, tout au début de leur carrière militaire, s'est finalisé, quelques décennies plus tard par une exceptionnelle réussite professionnelle. En effet, mes élèves constituent actuellement l'ossature de notre Armée Nationale. C'est une fierté que de voir parmi la brigade 12, un général Chef des forces spéciales, un colonel directeur des transmissions, un colonel directeur du matériel, un colonel chef des Opérations (Cpco) à l'Etat-Major, un colonel trésorier de l'Armée, un colonel SG du ministre de la Défense, un colonel commandant de la 3ème région militaire, un colonel commandant le centre d'instruction d'Akjoujt; et d'autres colonels attachés de défense, accrédités dans différentes chancelleries etc...,servir leur patrie. Ceux de la promotion qui ont quitté l'Armée très tôt, comme moi d'ailleurs, ont réussi dans d'autres domaines de la vie, car il n'y a pas que la carrière militaire. Cependant, le service militaire est un passage indispensable pour tout homme qui a l’intention surtout de faire de la politique ou de parfaire une profession libérale, tels le judiciaire, la médecine etc., pour cause de déontologie. Enfin pour la petite histoire, la meilleure note d'aptitude de la brigade 12, je l'avais attribuée à un élève officier Peulh, Sy Sada; il est actuellement colonel, trésorier payeur de son Armée. Comme quoi, jusqu'en 1987, il n'y avait pas de considération de couleur de peau, encore moins d'origine dans l'institution militaire. Tous ces discours haineux et qui sont à l'origine de la cassure entre les composantes socio-culturelles de notre pays, ont été importés du Sénégal voisin.
Deux évènements majeurs
Au mois de septembre 1987, je suis envoyé en France afin de suivre un stage d'officier d'Artillerie sol-sol classique, qui a duré 11 longs mois, car les conditions matérielles en ces temps étaient précaires, donc difficiles. Cette année-là, deux événements ont perturbé mon sommeil, cependant que je me demande s'ils étaient vraiment liés, ou que l'un a précipité l'avènement de l'autre. La mort de Thomas Sankara, président du Faso, le 15 octobre et la tentative de coup d'Etat en Mauritanie, perpétrée par des officiers tous Peulh ou Halpoular. Puisque je connaissais l'un des principaux instigateurs et qui fut d'ailleurs mon premier commandant d'unité en novembre 1980 à Kaédi, feu le lieutenant Sarr Amadou, un sentiment de compassion à l'égard de sa femme et de ses enfants m'a habité très longtemps, j'avoue. Je n'avais jamais imaginé que la rupture allait être consommée entre les habitants de la vallée et le pouvoir de Maawiya Ould Sid'Ahmed Taya, et dont le pic va engendrer un différend entre la Mauritanie et le Sénégal, deux années plus tard... A la fin de l'année 1988, j'ai regagné Nouakchott, pour être muté à la direction de l'Artillerie, une nouvelle création avec à sa tête le lieutenant Ely Ould Kléib, secondé, du feu lieutenant sol-air, Mohamed Ould Mouhamedou, qui finira par en être le directeur, au début des années "2000". Un officier juste, sans problème, comme le légendaire commandant Diaby Camara. A la fin de l'année 1988, il fallait former des servants sur la batterie d'artillerie composée de 6 canons de 100 mm Mt12 au centre d'instruction de l'Armée Nationale (CIAN) d'Akjoujt. La Direction m'a envoyé comme chef de cours, aidé de 2 lieutenants, feu Mahfoud Ould Navaa et Abdeljelil spécialisés dans cet armement russe, puisque sortants d'Algérie. Le commandant du centre était le capitaine Ould Maazouz, un officier au caractère particulier, voire jusqu'au-boutiste. Il était secondé du très modéré capitaine Bourour, et ayant comme officier de sécurité, le lieutenant Hacen Ould Bamba Meguett. Un matin, sans doute pour avoir l'alibi de me sanctionner, parce que j'avais dit un jour devant certains cadres que les hommes mangeaient mal, Ould Maazouz se présenta très tôt un matin devant les portiques du centre, en tenue de sport. On l’a probablement informé que je ne faisais pas le sport matinal avec la brigade MT12, et voilà l'occasion dorée pour me mettre aux arrêts... En me voyant venir, il fît semblant de faire des moulinets, et arrivé à son niveau, il m’interpella :
- Mon lieutenant pourquoi tu n'as pas assisté à la séance de sport matinal avec tes hommes ?
- Comme d'habitude, lui répondis-je, je me mets en tenue de sport qu'une fois arrivé au centre, et puis il y a deux officiers qui s'occupent bien de la batterie, moi je ne suis qu'un superviseur. Demandez-moi plutôt des comptes si la batterie s'était abstenue de faire le sport. ..
- Mon lieutenant faites-moi un compte-rendu avant midi, a-t-il proféré avant de retourner à son domicile, pas très loin du centre.
Il était venu uniquement pour moi, alors que lui et son staff ne faisaient aucun sport ni individuel, encore moins collectif.
Un homme compliqué
Quelle bassesse, un grand chef affirmé, ne cherche pas les poux, surtout là où il ne peut les trouver. En 1988, je revenais de stage de Draguinan dans le Var et à chaque fois que la municipalité ou l'Ecole organisaient un marathon ou un semi-marathon, j'étais partant. On peut me reprocher tout, sauf ne pas aimer faire du sport. Heureusement qu'il y avait l'officier en second, le capitaine Bourour, qui atténuait, à chaque fois qu'il pouvait les ardeurs de ce Ould Maazouz aussi compliqué qu'une équation mathématique à 2 inconnues. Chaque homme suit son destin et je n'avais peur de personne, qu'il soit cousin ou fils de président. Juste après l'altercation, j'ai quitté Akjoujt pour Nouakchott, sur ma propre initiative, je le reconnais. Arrivé à la Direction de l'Artillerie, j'ai dit au commandant El Hadi Ould Sedigh, que je ne suis plus disposé à travailler avec des chefs malhonnêtes. D'ailleurs le stage est fini, et le capitaine Maazouz ne nous retient que pour profiter de l'alimentation de nos stagiaires. En 1988, Maazouz, supposé être le cousin du président Maawiya, était, en plus, paraît-il, le gendre du fameux commissaire Deddahi, le tout puissant Directeur de la Sûreté d’Etat. Un double portefeuille népotique et matrimonial anxiogène dont il a profité et qui faisait peur à certains individus. Ironie du sort, le Maazouz qu'on croyait fort, cultivant une rigueur de fantassin ottoman, s'est aplati et a fait...pschitt..,juste après la chute de Ould Taya. N'est pas Saddam Hussein qui veut. Il y a 3 ou 4 ans, on s'est rencontré par hasard au stade de la capitale, moi, faisant mon sport et lui, tenant un enfant par la main. C'est lui qui m'a appelé, j'ai failli ne pas le connaître tellement il avait maigri :
- Ely chhalak...
- colonel Maazouz ?
- oui, comment tu vas, tu te maintiens on dirait..
- mon colonel j'espère que tu n'es pas malade, tu as beaucoup chuté?
- oui, c'est l'âge plutôt...
- on est presque de la même génération, mon colonel, je vais continuer mon sport.. bonsoir.!
La mégalomanie bénéficiant d'un parapluie aussi puissant que sont le népotisme ou le favoritisme, a une fâcheuse tendance de s'étioler un jour, surtout quand on la met au service de la perfidie ou de l'injustice. Alors où sont les Maawiya, Deddahi, Ould Maazouz? Soyons lucides, il n'y a rien d'éternel en dehors de l'ordre ontologique, gnoséologique et surtout transcendantal établi et voulu par l'Omniscient, l’Omnipotent ALLAH.
B/ Au bord de la guerre
Dans ce monde on peut supposer, prétendre sentir ce qui va arriver, de par des études sociologiques, des considérations géopolitiques, mais personne ne peut prédire l'avenir à 100%. Ainsi, c'est en 1989 que la Mauritanie va connaître ses plus tristes journées, après celles de la guerre du Sahara qui a fait des milliers de morts. En tant que militaire, je ne pouvais être que partie prenante, puisqu'il s'agit de mon pays, de notre patrie à tous protagonistes, de près ou de loin. En effet au milieu de l'année 1989 (avril-mai), des tueries vont avoir lieu de part et d'autre du fleuve Sénégal, suite à un incident entre agriculteurs et éleveurs. La tension est vive et les deux Armées voulaient en découdre. Une alerte générale est lancée. Sur instruction du CEMGAA, le colonel Mohamed Ould Lekhal, un vrai baroudeur, je dois me rendre à Akjoujt récupérer la batterie d'artillerie et faire aussitôt mouvement vers Nouakchott, en même temps que le1er BCP, venant d'Atar. /.
Ely Sid’Ahmed Krombelé
(A suivre Inchallah, 9ème épisode)