Contribution au débat sur le dernier rapport de la Cour des Comptes : Un mal pour un bien/Par Abdel Majid Kamil

23 October, 2025 - 10:15

Le dernier rapport de la Cour des Comptes suscite, fort légitimement, un vaste débat. Je voudrais commencer par saluer la Cour pour la qualité de son travail et rendre hommage aux Autorités qui n’ont mis aucun obstacle à la publication du document (comme on a pu le voir dans d’autres pays).

Ma contribution se situera principalement sur le terrain ‘’technique’’. Poser un diagnostic, afin d’esquisser des pistes de solutions. Pour cela, il est nécessaire de se demander pourquoi de telles manquements ont pu exister ? Et surtout, comment faire pour les réduire significativement à l’avenir ?

Une réponse objective au « pourquoi » est plus compliqué qu’il n’y parait. Toute la chaine de décisions est concernée. Les Assemblées générales ; les Conseils d’administration ; les Conseils de surveillance ; les commissaires aux comptes ; voire les tutelles qui délivrent les autorisations. Sans parler de la direction générale.

Le « comment » est évidemment le plus important. Comment éradiquer ce genre de situations ? Quelle réponse pérenne apporter à des comportements laxistes qui, il faut le rappeler, ne sont pas nouveaux ? Le temps est venu de (re)donner toute sa noblesse à la gouvernance. Diriger une entreprise, c’est être à la fois un acteur économique, financier, politique, géopolitique. Il faut être conscient de l’importance sociale d’une telle position et de la responsabilité qu’elle implique

La Mauritanie dispose d’un vaste corpus juridique permettant un encadrement précis de sa vie administrative, économique et sociale. J’aime à mentionner qu’il existe même une loi sur la gestion des déchets et une sur les normes et la qualité. C’est dire que tous les textes pour une bonne gestion sont disponibles.

Le rapport de la Cour des comptes pointe un manquement par Tasiast et par MCM aux règles environnementales. Arrêtons-nous à ce premier exemple.

Tout d’abord, ces deux sociétés sont censées répondre à des obligations internationales, résumées dans deux documents majeurs :

1. Les « principes directeurs à l’attention des entreprises multinationales » de l’OCDE. Ces principes « ont vocation à promouvoir une contribution positive des entreprises au progrès économique, environnemental et social, partout dans le monde » (c’est moi qui souligne).

 

2. Les huit « Normes et Performances en matière de Durabilité environnementale et sociale » de la SFI, dont l’objectif est un « engagement stratégique (…….) pour gérer les risques ».

Soulignons que toute société qui fait appel à des capitaux internationaux doit respecter les recommandations de ces deux documents. C’est le cas de ces deux entreprises.

De plus, nul n’étant censé ignorer la loi, surtout à ce niveau, les actions de ces deux entreprises s’inscrivent dans le cadre de la loi mauritanienne (sauf dérogation écrite des Autorités compétentes). A savoir (liste non exhaustive) :

* Le code de l’environnement et le Décret relatif à l’étude d’impact sur l’environnement ; la loi sur la gestion des déchets, le code du travail, la politique nationale de la santé, etc.

Chacune de ces entreprises (et toute autre ayant une activité polluante) doit disposer d’un certificat de conformité environnemental et social (code de l’environnement et décret sur l’étude d’impact environnemental, notamment). Rappelons les points suivants :

* Le certificat est délivré annuellement, après une enquête de terrain rigoureuse, considérant la pollution des sols, de l’air, de l’eau, etc. L’enquête repose sur l’étude d’impact environnemental et social.

* L’enquête est élargie aux populations potentiellement « impactables », qui doivent recevoir une « compensation ». D’où l’intitulé « étude environnementale et sociale »

* Chaque société doit avoir un responsable de la gestion environnementale et sociale. Celui-ci transmet un rapport trimestriel au ministère de l’environnement.

* La société fait réaliser par un cabinet spécialisé un audit environnemental annuel dont copie est transmise au ministère de l’environnement.

* Un responsable des liaisons communautaires, professionnel, suit les relations entre les communautés impactées et le projet notamment (réponse aux risques de pollution ; « compensation ; etc.)

 

Une opportunité

Autre exemple. Le rapport parle de Mauritania Airlines et de certains établissements publics, SOMELEC, SNDE, Projet Education. Je me répète volontiers. Toutes les lois et tous les règlements organisant l’activité des entreprises, quelle que soit leur forme sont disponibles : par exemple, l’ordonnance de 1990 sur les établissements publics, abrogée et remplacée récemment par la loi de 2025 ; les Codes du commerce, des impôts, du travail, de l’environnement, etc.

Est-il utile de mentionner que l’organisation des sociétés commerciales et établissements publics, quelle que soit leur forme, est clairement décrite par la loi ? A savoir, une assemblée générale, un conseil d’administration ou un conseil de surveillance, un exécutif, des organes internes et externes de contrôle. Tout cela étant organisé suivant les objectifs de l’entreprise tels que décrits dans le business plan initial, document indispensable pour obtenir une autorisation d’exercer.

Le lecteur pourrait penser que ce que je raconte n’est pas le sujet. Il peut estimer que la réponse au rapport réside dans la fermeté, dans le jugement, voire plus. Comme je l’ai dit, je me place sur le terrain « technique ». Prenons un peu de recul. Une fois qu’on a sanctionné, c’est quoi la suite ? Je ne dis ni qu’il faut sanctionner ni qu’il ne faut pas le faire. Cela dépasse largement mon propos. Je demande plutôt que nous réfléchissions à la suite, que nous utilisions le rapport comme une opportunité pour définir les conditions d’application des règles de bonne gouvernance des entreprises.

Le monde a changé depuis la révolution des nouvelles technologies, d’abord aux Etats-Unis, avec Bill Gates, Jeff Bezos, Peter Thiel, Mark Zuckerberg et surtout Elon Musk, puis en Chine, via Huawei, Baidu, Xiaomi, etc. La stratégie du Président Trump en Alaska et au Canada, s’inscrit dans cette course à la révolution technologique, par la recherche de métaux rares.

 

 

Corriger les manquements

La Mauritanie a une carte à jouer. Gardons bien cela à l’esprit en lisant le rapport de la Cour des comptes. Corrigeons les manquements qu’il pointe, également dans cette perspective,

Le pays dispose d’une Autorité de Régulation Multisectorielle. Son article 3 rappelle qu’elle « est chargée de la régulation des activités exercées sur le territoire de la République Islamique de Mauritanie dans les secteurs de l’eau, de l’électricité, des télécommunications, de la poste, et de tout autre secteur dont elle aura la charge » (souligné par moi).

Voici un instrument approprié pour accompagner les différents départements, les entreprises, et s’assurer qu’ils opèrent selon les règles de l’art. Il ne s’agira ni de missions de contrôle, ni de démarches de répression, mais bien d’un accompagnement, de conseils, d’assistance. Accompagnement / Conseil/Suivi.

Dans cette mission, l’Autorité pourra s’appuyer sur les règles de la compliance. Un mot sur cette discipline importante, qui s’impose de plus en plus pour une saine gestion. La compliance (qu’on traduit parfois en français par ‘’conformité’’) est une démarche globale et préventive, permettant de s’assurer qu’une entité a bien mis en place les structures et pris les dispositions pour respecter les règles, pour un bon fonctionnement. La Compliance permet de corriger un problème lorsqu’il survient et d’améliorer en permanence la qualité de son activité. La compliance n’est ni invasive ni bureaucratique, bien au contraire. Et l’avantage, c’est que la Mauritanie dispose de l’essentiel des textes relatifs à cette discipline. Y compris la règlementation sur les normes et la qualité. De la même façon que nous avons été pionniers dans la sous-région avec Houwiyati, véritable prouesse technologique, nous pouvons l’être avec la Compliance.

Le monde est entré dans une nouvelle dimension. Notre pays ne fait pas exception. A nous d’en tirer le meilleur parti. Par une bonne gouvernance de nos entreprises, sur la base de règles claires (encore une fois, elles existent déjà). C’est en mettant en avant notre règlementation, sa qualité, en présentant des entreprises gérées selon les règles de l’art, que nous serons plus attractifs.

L’entreprise a un rôle économique et social, donc une rôle politique. Elle a aussi un rôle géopolitique. C’est pourquoi nous devons lire le rapport de la Cour des comptes avec exigence, mais aussi en nous disant que d’un mal doit sortir un bien.