La trahison silencieuse : Quand la Mauritanie abandonne ses soldats

29 October, 2025 - 14:36

Le système des retraites militaires en Mauritanie est une machine à broyer les héros qui pousse à la marginalisation, à la paupérisation et à la corruption et met en péril la sécurité nationale.

Ils ont porté l'uniforme avec fierté et ont passé leur vie au garde-à-vous, mais c'est aujourd'hui le dos courbé par le besoin qu'ils affrontent leur plus dure bataille. Dans les rues de Nouakchott et à l'ombre des casernes provinciales, une tragédie silencieuse se joue : celle des anciens militaires mauritaniens, abandonnés par l'État qu'ils ont servi, condamnés à une retraite indigne. Ce phénomène, bien plus qu'un drame social, est devenu une faille béante dans le contrat moral qui lie la nation à ses protecteurs.

La carrière militaire est un pacte unique. Elle exige, dès le plus jeune âge, le don total de sa jeunesse, de sa vigueur et parfois de sa vie. Pendant trente, parfois quarante ans, ces hommes et ces femmes vivent une existence rythmée par la discipline, l'éloignement familial et le risque. Leur identité se fond dans l'institution. Mais ce pacte est rompu à un moment crucial : celui de la retraite.

Contraints de quitter l'uniforme précocement, souvent entre 45 et 60 ans pour maintenir une armée jeune, ils se retrouvent brutalement projetés dans une vie civile pour laquelle rien ne les a préparés. Leur statut, leur raison d'être et leur sécurité financière s'effondrent d'un coup. La "retraite", présentée comme un droit à la quiétude, se transforme en une plongée anxiogène dans l'inconnu.

Le premier choc est financier. Le calcul des pensions, souvent basé sur les derniers salaires et les années de service, délivre une somme fixe et généralement misérable. Dans un contexte inflationniste, cette pension, qui peut avoisiner les 50 000 à 100 000 ouguiyas anciennes (environ 130 à 260 euros) pour tous les militaires tous grades confondus, est une insulte à des décennies de service. Elle ne suffit même pas à couvrir les besoins alimentaires de base, sans parler du loyer, des soins de santé ou de l'éducation des enfants.

 

Chute vertigineuse

 

Cette précarité programmée a un effet pervers immédiat sur les fonctionnaires et militaires encore en activité. Témoins de la déchéance que subissent leurs aînés, la peur devient leur quotidien. Cette angoisse existentielle est un terreau fertile pour la petite et grande corruption. "Un fonctionnaire en activité aura besoin d'avoir de quoi vivre une fois dans la rue", dit l'adage. La constitution d'une "cagnotte" de précaution, par des moyens détournés, apparaît alors comme une sinistre stratégie de survie anticipée. L'inefficacité du système des retraites devient ainsi, paradoxalement, un des moteurs de la corruption au sein de l'État.

Sans filet de sécurité, la chute est vertigineuse. Les compétences acquises dans l'armée – commandement, logistique, maintien de l'ordre – sont précieuses mais rarement transposables telles quelles dans la vie civile, sans un solide réseau ou une formation complémentaire.

Une minorité trouve refuge dans le secteur de la sécurité privée. Mais leur expertise y est largement sous-évaluée. Beaucoup se retrouvent avec des contrats précaires et des salaires de misère, souvent inférieurs à 100 000 ouguiyas anciennes (environ 250 euros), D'autres, moins lotis, n'ont d'autre choix que de se convertir en chauffeurs de taxi, gardiens de nuit ou manœuvres sur des chantiers. Ces métiers, honorables en soi, représentent un déclassement social insupportable pour d'anciens soldats habitués au respect et à la structure.

Enfin, il y a ceux que le système a purement et simplement broyés. On les voit, hagards, aux abords des marchés ou des mosquées. D'anciens soldats, parfois marqués physiquement ou psychologiquement par leur service, réduits à la mendicité. Leur silhouette est le symbole le plus criant de l'échec de la nation.

Au-delà du drame humain, cette situation constitue une menace stratégique.

Effritement du moral des Armées : Comment maintenir la discipline, la loyauté et l'esprit de sacrifice chez un jeune soldat qui voit son aîné finir mendiant ? Le ressentiment ronge l'institution de l'intérieur.

Risque d'instabilité : Une armée dont les anciens sont mécontents, appauvris et désillusionnés est une proie facile pour les discours subversifs et les tentations de rébellion ou d’insurrection. Un homme qui n'a plus rien à perdre est un danger pour l'ordre public.

Perte d'un capital humain inestimable : La nation gaspille l'expérience, la discipline et le patriotisme de milliers d'hommes dans la force de l'âge, qui pourraient contribuer au développement national dans d'autres secteurs.

Quelles solutions ? Pour une réforme urgente et globale

Il est impératif de rompre avec cette logique d'abandon. Une réforme courageuse s'impose, articulée autour de plusieurs axes :

-Revalorisation des pensions : Indexer les pensions sur le coût de la vie et revoir leur mode de calcul pour garantir une retraite digne, et non une simple survie.

-Création d'un institut de reconversion : Mettre en place, au moins cinq ans avant le départ, un programme obligatoire de formation aux métiers civils porteurs (sécurité, logistique, gestion, BTP) et un accompagnement personnalisé vers l'emploi ou l'entrepreneuriat.

-Partenariats public-privé : Inciter les entreprises, par des avantages fiscaux, à embaucher des anciens militaires, valorisant ainsi leur profil unique.

-Renforcement des associations d'anciens combattants : En faire de véritables leviers d'entraide, de défense des droits et de réinsertion sociale.

La dignité des soldats après leur service est le baromètre de la reconnaissance d'une nation. En laissant ses héros tomber dans l'oubli et la misère, la Mauritanie ne fait pas que briser des vies ; elle sape les fondements mêmes de sa sécurité et de son honneur. Il est temps de récupérer nos soldats là où le système les a laissés tomber. Leur combat pour une retraite digne est le combat pour l'âme et l'avenir du pays.

A bon entendeur salut !

 

Seyid Mohamed Beibakar, colonel à la retraite