Quand les oulémas vendent la Constitution

25 December, 2025 - 05:24

Ils étaient attendus comme les jardiniers de l'âme collective, les gardiens sereins de la Loi. Les voici désormais marchands du sacré, jonglant avec les versets pour trafiquer le pacte fondateur de la nation mauritanienne. Leur trahison atteint aujourd'hui un sommet d'audace : au nom d'un islam instrumentalisé, ils incitent le Président à piétiner l'article 28 de la Constitution, qui limite clairement le nombre de mandats à deux. Leur chant, sirénien et pervers, ne souille plus seulement la mosquée ; il corrode les piliers de l'État de droit.

Le récitatif de la trahison : Une mélopée bien rodée

Ce n'est pas une nouveauté mais une rengaine sinistre. Leur nouveau chant résonne dans l'antichambre du pouvoir, s'appuyant sur une érudition de façade pour un seul objectif : légitimer l'illégitime. On se souvient qu'en 2018, à la veille d'une échéance présidentielle, le président de l'Association des oulémas de Mauritanie lançait un pavé dans la mare en déclarant publiquement avoir demandé au chef de l'État de l'époque, Mohamed Ould Abdel Aziz, de « poursuivre la marche » pour un troisième mandat. L'argument ? Une prétendue « nécessité » et un travail « au profit du peuple ». Cette sortie, qualifiée de «potentiellement polémique » dès l'époque, suscita une réprobation cinglante, un opposant rappelant que cette incitation équivalait à encourager un parjure, le président ayant prêté serment sur le Coran de respecter la Loi fondamentale. Cette histoire démontre que la tentation de transgression, une fois enrobée du miel religieux, cherche toujours sa voix.

 L'unité factice des soutiens intéressés

Ils tentent de faire chorus, ces faux oulémas, pour donner du volume à leur mélodie empoisonnée. Ils s'activent en coulisses, suscitant des voix sur les réseaux sociaux ou parmi les courtisans pour préparer l'opinion à l'idée d'une prolongation anticonstitutionnelle. Pourtant, cette polyphonie est fausse. Elle s'élève tandis que les gardiens constitutionnels et les vraies consciences rappellent l'impérieux respect du texte suprême. En août 2024, lors de l'investiture du président Ghazouani pour son second – et donc dernier – mandat, le président du Conseil constitutionnel a fermement mis en garde contre les débats « inutiles » et « inappropriés » sur un troisième mandat, soulignant les dégâts que de telles entreprises ont causés ailleurs en Afrique. Il a appelé au seul combat qui vaille : «respecter notre Constitution ». Face à ce contre-chant solennel et légal, la mélopée des flatteurs révèle sa vraie nature : un simple bruit de fond intéressé.

La résolution manquée : L'alternance, cette cadence salutaire
Leur composition est fondamentalement viciée car elle refuse la seule résolution harmonieuse pour une démocratie: l'alternance pacifique. Ils présentent la longévité personnelle du pouvoir comme un synonyme de stabilité, alors que l'histoire de la région montre l'inverse. La Mauritanie elle-même a connu des ruptures de légitimité et a fait de l'alternance, bien que récente, un acquis précieux à préserver. Ces marchands du sacré veulent faire croire que la maslaha (l'intérêt général) se confond avec les intérêts d'un homme, allant jusqu'à faire du troisième mandat une « forme d'adoration » selon les termes acerbes d'un éditorial sur ces médias. En vérité, ils confondent l'adoration de Dieu avec la flatterie du Prince. La vraie maslaha du peuple mauritanien réside dans le respect scrupuleux des institutions, garantes contre les dérives autocratiques. Ouvrir cette brèche, ce serait créer un précédent funeste où plus aucune règle ne serait intangible.

 Pour un silence réparateur

Aussi, que justice soit faite. Non par vengeance, mais par pédagogie. Que ces faux docteurs, qui ont troqué le poids de la responsabilité éthique contre le mirage de l'influence, méditent loin des micros. Ils doivent comprendre, une fois pour toutes, que l'on ne protège ni la religion en la vendant, ni l'État en violant sa Constitution. Le peuple mauritanien mérite mieux que ces chants de sirènes qui promettent la continuité pour mieux asseoir la servitude. Il mérite le silence respectueux des vrais savants, et la musique apaisante d'institutions fortes et respectées, seules capables de conduire la symphonie durable de la nation.

Eléya Mohamed
 Notes d'un vieux professeur