Le Calame : On assiste à une montée fulgurante des cas de COVID et l’apparition du variant Omicron chez nous. Qu’est-ce qui justifie cette flambée ?
-Dr Aounen Béchir : Oui effectivement à partir de la 50ème semaine épidémiologique, soit vers la fin du mois de décembre, nous avons assisté à une montée fulgurante des cas de Covid-19 et sans précèdent mais fort heureusement, cette quatrième vague est arrivée très vite à son pic et se trouve déjà en descente avec 213 cas, ce 23 janvier 2022, contre plus de 1200 cas au pic, il y a moins de deux semaines. Il faut dire que cette montée spectaculaire mais brève n’est pas une surprise car on savait que Omicron, sujet de cette vague, se propage bien plus rapidement que les variants précédents et on savait également que son apparition chez nous est juste une question de temps dès lors qu’il a été notifié dans le monde et la sous-région.
-En quoi OMICRON diffère-t-il de Delta ? Peut-on s’attendre à une autre vague et peut-être un autre variant ? Qu’est-ce qui explique ces mutations du virus
-Il faut d’abord reconnaître que le SARS-CoV-2 ne cesse de nous surprendre et défier les moyens de lutte pourtant efficaces contre les virus en général. Aucune des étapes du processus de reconnaissance et diagnostic du virus ni de mise en place de moyens pour y faire face n’a été menée dans les délais usuels. La panique qui a accompagné l’apparition de ce virus au niveau mondial, la pression exercée sur la communauté scientifique et les chercheurs en particulier due à la forte médiatisation de la pandémie et ses conséquences en terme de mortalité, ont conduit au recours à de nouvelles approches permettant de rentrer très vite en possession de moyens de lutte efficaces, bénéficiant des avancées technologiques importantes. Ceci a conduit à des résultats probants certes, mais insuffisants pour venir à bout de cette pandémie. Donc pour répondre à votre question, je dirai que Omicron, comparé à Delta se propage bien plus vite comme en témoigne cette dernière vague chez nous et qu’il est moins virulent. Toutefois, rien ne permet de confirmer que nous ne connaîtrons plus de nouvelles vagues de cette pandémie ni qu’Omicron sera le dernier variant malgré que plusieurs chercheurs laissent croire qu’en raison de la propagation spectaculaire du variant Omicron, il pourra remplacer définitivement les variants précédents, à l’image de ce qui s’est passé avec la grippe.
S’agissant alors des mutations, elles se produisent en général lors des réplications du virus par de petites modifications, souvent pour mieux s’adapter à l’environnement du virus lui-même, mais entraînant parfois des changements des caractéristiques du virus initial comme sa virulence ou la rapidité de propagation. Il s’agit d’un sujet suivi de très près par l’OMS pour adapter les moyens de lutte si nécessaire.
-Les malades hospitalisés dans nos structures de santé sont-ils infectés par Delta ou Omicron? Sont-ils vaccinés ou non ?
Très bonne question. Je sais que la plupart des cas dépistés ces deux dernières semaines sont dus au variant Omicron. Malgré le nombre spectaculaire de cas ses dernières semaines, le nombre de décès est resté faible comparé à la létalité pendant les vagues dominées par le variant Delta. Nous pouvons déduire vraisemblablement que les cas graves et les décès sont plus importants durant les vagues avec le variant Delta qu’avec Omicron. Il y a aussi une évidence scientifique prouvée ailleurs et en exploration chez nous actuellement par l’INRSP à savoir que les cas graves et les décès sont souvent notifiés chez les sujets non vaccines Toutefois, nous devons ne pas perdre de vue les facteurs aggravants et à la comorbidité qui, associés au variant Omicron, peuvent rendre les conséquences fatales.
-Quels sont les séquelles que Delta et Omicron laissent-ils sur les patients guéris ?
-Les plus répandus sont d’ordre respiratoire, car le virus infecte les poumons. Une toux persistante est assez fréquente chez les patients avec des formes modérées ou graves ayant nécessité une réanimation. D’autres séquelles sont plus rares comme celles liés à l’exacerbation de la réponse immunitaire pouvant provoquer des troubles cardiaques ou des troubles vasculaires cérébraux entrainant des AVC, entre autres. Le variant Omicron étant apparu récemment, il faut attendre encore quelque temps avant de parler de séquelles qui lui seront attribuables.
-Vous venez de rejoindre l’équipe du ministère de la Santé pour appuyer la riposte contre la COVID-19. Quelle stratégie ce ministère a-t-il mis en place pour faire face à cette vague fulgurante ? Vous paraît-elle efficace pour endiguer cette vague ?
-La lutte contre la COVID 19, ici comme ailleurs, se fait à travers trois piliers à savoir : (1) la promotion des gestes barrières, (2) la vaccination, (3) la prise en charge des cas. Oui le ministère de la Santé dispose d’une stratégie actualisée en décembre 2021. Cette stratégie repose entre autres, sur les trois piliers précités. Des avancées importantes ont été obtenues depuis le début de la pandémie en termes de capacité de prise en charge et en termes de vaccination.
Il faut toutefois reconnaitre que les mesures barrières dans notre société sont loin d’être respectées et que la vaccination « piétine », malgré que nous sommes à notre cinquième campagne de vaccination C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, il a été décidé d’empêcher l’accès aux lieux publiques, aux transports publics... aux personnes ne disposant pas de preuves comme quoi elles sont vaccinées. La prise de conscience individuelle et collective, les mesures incitatives à la vaccination et la limitation des rassemblements non protégés contribuent largement à la limitation de la circulation du virus et c’est ce que définit la stratégie anti-covid19.
-On parle d’immunité collective. Est-elle possible chez nous ? Quelles sont les conditions pour y arriver ?
-Notre niveau de connaissance du virus aujourd’hui nous permet de dire que l’immunité collective pourra être la solution finale pour mettre fin à cette pandémie. Une couverture de plus 70% permet d’arrêter la circulation de certains virus, d’autres nécessitent une couverture plus élevée. C’est le cas de la COVID19, car des pays ayant approché déjà les 90% de taux de couverture vaccinale continuent tout de même à connaitre de nouvelles vagues. Pour ce qui nous concerne, nous sommes encore loin de ces taux et nous devons tout faire pour y arriver. L’immunité collective peut être obtenue par la vaccination de routine ou en campagnes et nous sommes à notre cinquième campagne, mais également en développant son immunité après exposition au virus, en étant guéri de la maladie ou en ayant contracté le virus sans être symptomatique. Donc, la réponse est oui, nous pouvons arriver à cette immunité collective en exigeant un PASS vaccinal très rapidement ; maintenant, la question que je me pose et pour laquelle je n’ai pas de réponse est combien de temps va rester efficace cette immunité collective.
-Les campagnes de vaccination continuent, elles se passent parfois dans les rues. Cela ne pose pas de problème de conservation et donc d’efficacité ?
-Le suivi de la qualité du vaccin et notamment en terme de conservation se passe sans difficultés depuis la fabrication du vaccin jusqu’à son administration au bénéficiaire. Les vaccins que nous utilisons le plus souvent sont maintenus dans la température indiquée par le fabricant et les indications sont en général, bien respectées. En sortant les vaccins des chambres froides, ils sont conservés dans des glacières et peuvent être utilisés sans risque d’interruption de la température exemplaire.
-Le taux de vaccination contre la COVID est-il satisfaisant chez nous ? Que faire pour le booster davantage ?
Comparé aux pays de la sous-région, oui, nous avons l’un des taux de couverture le plus élevé. Cependant, comme je l’avais précisé, nous sommes encore loin de la couverture qui mettra fin à la propagation du virus.
-Depuis que la COVID s’est installée chez nous, quelles leçons ou profit notre système de santé et donc ses structures en ont-elles tirées ?
-Une chose me semble-il est très important à signaler, à savoir notre capacité désormais à faire face aux épidémies de cette nature et de cette envergure. Nos services de réanimation quasi inexistants avant COVID- 19 sont maintenant disponibles, y compris dans nos hôpitaux régionaux. Nos personnels de santé sont désormais bien formés et outillés pour parer à toutes les éventualités. Une autre dimension non moins importante est le caractère pluridisciplinaire de la Santé Publique qui désormais est une évidence pour tous.
On sait aujourd’hui que pour lutter contre la maladie, le ministère de la Santé n’est qu’un département parmi tant d’autres qui ont chacun un rôle à jouer et dont la coordination est essentielle pour réussir les programmes de sante publique.
Propos recueillis par Dalay Lam