Le Calame : Au cours d’une conférence commune, le FNDU et le RFD ont déclaré leur rejet du référendum que le dialogue a décidé et le gouvernement prépare. Concrètement, comment va se matérialiser ce boycott ?
Maître Bettah : Boycotter, c’est ne pas participer, c’est à dire ne pas aller dans les bureaux de vote, avec l’objectif de mettre à nu l’impopularité et l’illégitimité. C’est le rejet, par le corps électoral, du projet soumis à l’approbation, dans le cas du référendum. Le boycott actif du FNDU visera à donc à atteindre cet objectif. Il s’agira de convaincre nos patriotes électeurs – je pense, d’ailleurs, qu’ils le sont déjà – de s’abstenir de participer à la mascarade, voulue par le pouvoir, de mettre en cause les symboles de l’Etat que sont le drapeau et l’hymne nationaux. Nous porterons notre discours partout en Mauritanie et nous sommes sûrs de pouvoir facilement atteindre l’objectif qu’on s’est fixé.
- En dépit des déclarations du président de la République au sujet du troisième mandat, certains mauritaniens continuent à le réclamer, lors de ses visites à l’intérieur du pays. Ces personnes n’auraient-elles pas compris qu’Ould Abdel Aziz a clos le débat, le 20 Octobre dernier, en déclarant qu’il n’a jamais été question, pour lui, de modifier la Constitution en vue de s’octroyer un troisième mandat ?
- Comme vous le dites, certains pans du pouvoir continuent, par l’entremise de quelques citoyens, à réclamer un troisième mandat pour l’actuel chef de l’Etat. Certains soutiennent, même, que l’actuel Premier ministre orchestrerait ces manœuvres, remettant ainsi en cause ou doutant, tout simplement, de la sincérité du message du 20 Octobre dernier de leur mentor. Le Premier ministre aurait, même, convoqué des cadres et notables des régions visitées par le chef de l’Etat, pour leur dire de demander, publiquement, à celui-ci, de demeurer au pouvoir, en dépit des dispositions constitutionnelles et au serment qu’il a prêté. Ceux qui réclament un troisième mandat pour Mohamed ould Abdel Aziz sont, apparemment, incrédules, quand ils l’entendent dire qu’il est hors de question, pour lui, de modifier la Constitution, notamment en ces dispositions relatives au nombre de mandats.
Sont-ils vraiment en train de douter de la sincérité de la parole de Mohamed ould Abdel Aziz ? En tout cas, tout porte à croire qu’ils pensent que l’actuel Président peut se dédire et, donc, « parjurer » aussi facilement. Il s’agit là d’une sauce interne au pouvoir et il lui appartient de la régler en dehors de la sphère publique, évitant ainsi la confusion qu’il a contribué à entretenir sur l’avenir du pays.
- Dans un entretien au journal « Le Monde », le président de la République a réaffirmé qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. Vous le croyez ?
- C’est effectivement vrai que l’actuel chef de l’Etat a réaffirmé, au journal « Le Monde », qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. Cette déclaration me semble bien à propos, pour les raisons que je viens d’évoquer dans ma réponse à la question précédente. On espère qu’elle va contribuer à éclairer ceux qui, dans son camp, s’obstinent à réclamer qu’il reste éternellement au pouvoir, oubliant que l’enseignement de notre sainte religion dit que seul Dieu est éternel. Il y a donc lieu, pour Mohamed ould Abdel Aziz, de convaincre son propre camp qu’il est sincère en ce qu’il dit.
Pour notre part, au FNDU, nous avons pris acte de la déclaration faite, le 20 Octobre dernier, devant l’opinion nationale et internationale, et nous nous y tenons. Nous espérons que les voix discordantes, au sein du pouvoir, finiront par n’engager que ceux les clament. Mohamed ould Abdel Aziz a dit, au cours de cette déclaration, qu’un troisième mandat n’est pas dans l’intérêt du pays. Sur ce point, nous partageons le même avis et nous pensons que cela renforcera la crédibilité de ses propos, étant donné que c’est lui qui détient les rênes du pouvoir et décide donc du destin du pays. Il est, par conséquent, le premier responsable de tout ce qui pourrait remettre en cause sa cohésion et sa stabilité. En tout état de cause, le FNDU s’opposera, avec la dernière énergie, à toute remise en cause des dispositions de la Constitution relatives à la durée et au nombre de mandats. Sur ce point, aucune concession ne peut être envisagée.
- Après le référendum, il est prévu des élections municipales et législatives anticipées. Le rejet du référendum, par le forum, signifierait-il, de facto, le boycott de ces élections ? Sinon qu’est-ce qui pourrait amener le forum à y prendre part ? Ne craignez-vous pas de voir certains de vos partis perdre du terrain, d’autres tentés par la participation ?
- Etes-vous sûr que nous sommes dans une perspective de référendum ? Il me semble que les ardeurs du pouvoir, sur cette question, se sont refroidies. Cela dit, nous considérons, au FNDU, que le référendum dont vous parlez n’est aucunement justifié, même si certains des dialoguistes y ont consenti, malgré eux. Cela ne donne aucune légitimité ou opportunité aux amendements constitutionnels que le pouvoir veut opérer. Toute modification constitutionnelle ne doit être envisagée que dans une situation politique normalisée, un consensus de toute la classe politique. Et, comme le dit le FNDU dans son communiqué commun avec le RFD, le 29 Novembre 2016, dans une situation normalisée pour résoudre les problèmes qui entravent le progrès de la Nation. Or, le référendum projeté va porter sur des questions controversées, en l’absence de tout consensus et se tenir sans aucune garantie de neutralité de l’administration, avec des institutions dont certaines sont devenues caduques, d’autres élues dans des conditions non consensuelles. Il est donc inconcevable d’organiser des élections dans les conditions actuelles, sans de réelles garanties de transparence ni institutions de supervisions dont la compétence et la crédibilité soient incontestables.
Concernant les futures élections anticipées, je pense qu’a priori, les conditions d’une participation de l’opposition sont loin d’être réunies. Les questions de la neutralité de l’administration, de l’armée, de la justice ; de la supervision politique ; de la crédibilité des institutions chargée de les piloter ; demeurent posées. Seules des réponses satisfaisantes à ces questions pourraient justifier la participation du FNDU à ces élections. Cela dit, l’évaluation de la situation générale, pour répondre à la question de savoir si le forum va y prendre part ou non, n’a pas encore été discutée au sein des instances du forum. Cela dépendra, comme je l’ai dit tantôt, de l’évolution des choses d’ici là. Le processus décisionnel du forum, sur cette question, va s’engager dans un proche avenir. Mais j’ai de bonnes raisons de croire que le forum maintiendra sa cohésion, quant à sa position sur la participation ou non aux élections.
La crainte de voir certains partis perdre du terrain ne me semble pas justifiée, si des garanties d’une élection crédible sont réunies : les citoyens exprimeront leur choix librement, c’est sûr que le FNDU engrangera les dividendes que lui confère sa crédibilité et qu’individuellement, les partis qui le composent s’en sortiront renforcés.
- Au cours la dernière conférence commune, le président Ahmed Daddah a déclaré que l'opposition est suffisamment responsable pour refuser ou accepter le dialogue. S’agirait-il là d'un appel à un autre dialogue entre le FNDU, le RFD et le pouvoir ?
- Le président Ahmed ould Daddah est le seul à même d’éclairer la portée de ses propres propos, je ne peux pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit ou voulu dire. Ce que je sais, par contre, c’est que les forces de l’opposition ont réclamé et continuent à réclamer, avec insistance, un dialogue sérieux et inclusif. Je sais, également, que le FNDU a donné toutes leurs chances aux tentatives de dialogue qui ont eu lieu en 2013, 2014 et 2016, mais, chaque fois qu’on a mis à l’épreuve sa volonté d’y participer, le pouvoir s’est rétracté, essayant de faire porter la responsabilité de l’échec à l’opposition. Il a prétendu, assez souvent, qu’il était disposé à satisfaire 90% des doléances de l’opposition, alors qu’il n’est même pas disposé à donner une réponse écrite ou à faire constater notre accord, même partiel, dans un document contradictoire.
Le sentiment qui se dégage de toutes ces tentatives, c’est que le pouvoir ne cherche qu’un dialogue au rabais, c'est-à-dire un dialogue dont lui seul fixe les règles du jeu, qu’il encadre totalement, du point de vue du format, des questions à débattre, des objectifs… Cela, évidemment, nous le rejetons et continuons à le rejeter. Mais nous continuons, en même temps, à réclamer un dialogue sérieux et inclusif, pour sortir le pays de la crise politique où il se débat depuis 2008, préparer les conditions d’une alternance pacifique au pouvoir, assurer des garanties de crédibilité et de transparence, lors d’éventuelles élections anticipées ou à terme.
- Le FNDU demande-t-il le retour du RFD en son sein ? Les divergences apparues entre les deux parties, il y a quelques temps, se sont-elles aplanies ?
- A priori, toute initiative tendant à rassembler l’ensemble des forces de l’opposition est la bienvenue. Cependant, le RFD est le seul juge de l’opportunité de réintégrer le forum ou de rester un pôle politique en dehors de celui-ci, comme c’est le cas actuellement. Concernant les divergences dont vous faites cas, je ne contredis pas la vérité en disant qu’elles n’ont jamais porté sur des questions essentielles. Je pense que les deux parties sont arrivées à la conclusion que les objectifs sont les mêmes et que les divergences d’approche sont tout à fait surmontables, comme ils viennent de le prouver, à l’occasion de la dernière marche et de la conférence commune du 29 Novembre passé.
- Toujours au cours de ladite conférence de presse commune, les deux parties sont justement revenues à la charge sur la gabegie en Mauritanie. La fondation, par le gouvernement, d’instruments juridiques consacrées à la lutte contre ce fléau ne suffit-elle pas, à vos yeux, pour l’éradiquer ?
- Bien sûr que non. Les nombreux textes adoptés par le gouvernement n’ont jamais rien changé, parce qu’ils ne sont jamais appliqués ; il s’agit de simples velléités du pouvoir qui ne trompent plus personne. Qui se soucie de l’application ou du respect des textes ? En tout cas, pas ceux qui nous gouvernent aujourd’hui. Les grands principes consacrés par notre Constitution sont foulés au pied. Ceux de la séparation des pouvoirs, de la liberté de la presse, du respect des droits de l’homme, de l’égalité des citoyens devant la loi, du droit à une vie décente sont-ils aujourd’hui respectés en Mauritanie ? Non, ils sont tous bafoués.
Le pays était suffisamment outillé, sur le plan législatif, pour combattre la gabegie et toute autre forme de prévarication. Le Code pénal comportait, en particulier, suffisamment de dispositions incriminant et punissant, sévèrement, toutes les formes de corruption et détournement de deniers publics. On n’avait donc pas besoin de nouvelles lois, il suffisait, tout simplement, d’appliquer celles déjà en vigueur. La lutte contre la gabegie requiert une réelle volonté politique, elle suppose, aussi, l’application juridique des textes, de façon générale et impersonnelle, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
- Au cours de sa tournée au Tagant, le Président a exprimé son intention de lancer la réécriture de l’histoire de la résistance contre la colonisation française en Mauritanie, jugeant qu’elle a été « travestie » par les colons et par certains mauritaniens. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
- Je commencerai par dire qu’il est inconvenant d’instrumentaliser, à des fins purement politiciennes, la résistance à la colonisation. Venant de l’actuel pouvoir, il s’agit d’une manœuvre démagogique visant à distraire les Mauritaniens des problèmes de survie auxquelles ils sont confrontés : chômage, pauvreté, flambée des prix, insécurité, injustice… ; qu’ils vivent, durement, et que le pouvoir reproduit, systématiquement, par l’échec de ses politiques dans tous les domaines.
Je dirai, ensuite, que la résistance du peuple mauritanien doit, certes, être célébrée, magnifiée même, parce qu’elle fut héroïque, mais elle ne doit pas être, pour autant, l’occasion de diviser les Mauritaniens, en laissant croire qu’une partie de ceux-ci a participé à la lutte contre la pénétration coloniale quand l’autre a pactisé avec elle. C’est inadmissible. On est suffisamment divisé pour ne pas en rajouter encore. La résistance est une vertu suprême, parce qu’elle induit le sacrifice de soi, de sa propre vie et conduit, a fortiori, au renoncement des intérêts personnels et égoïstes. On est, dès lors, légitimement fondé à se poser la question de savoir si le pouvoir qui la célèbre aujourd’hui est à la hauteur de ce renoncement.
De notre point de vue au FNDU, il s’agit, comme nous l’avons affirmé, lors de notre conférence commune, d’une nouvelle trouvaille du pouvoir, d’un nouveau slogan qui ne tardera certainement pas à connaître le sort des autres slogans démagogiques et populistes que l’actuel chef de l’Etat n’a cessé de nous servir, depuis qu’il s’est emparé du pouvoir par la force, en 2008. Rappelez-vous à quelle vitesse se sont essoufflés les fameux « président des pauvres » et autre « lutte contre la gabegie »...
- La sixième édition du Festival des villes anciennes a démarré, le lundi 12 Décembre à Ouadane, point de mire de l’actualité nationale. Que pensez-vous de tels évènements ? Peuvent-ils sortir ces cités anciennes de l’ornière ?
- Il est incontestable qu’organiser un festival des villes anciennes a suscité, au sein de la population et, en particulier, à celui de la clientèle politique du pouvoir, un réel engouement pour ces vieilles cités inscrites au patrimoine de l’Humanité et qui ont beaucoup souffert de l’exode de leur population, suite à la sécheresse, à l’enclavement et au manque criant d’infrastructures de base. Mais il faut également constater que ces événements sont éphémères et espacés, de sorte qu’une ville reste trois ans sans susciter un quelconque intérêt de la part des pouvoirs publics.
Quant au second volet de votre question, la réponse est, évidemment, non. L’expérience a prouvé que malgré le renouvellement de ces festivals, la plupart de ces cités sont retombées, chaque fois, dans l’oubli, après la manifestation. Il faut ajouter qu’à un moment donné, certaines ont connu, à l’instar de Chinguitti ou Ouadane, une vitalité certaine, grâce au tourisme, et que, malheureusement, ce facteur qui devrait contribuer à leur épanouissement a été freiné par le terrorisme qui sévit dans la sous-région, convaincant les pays pourvoyeurs de « cette industrie » à placer la Mauritanie sur la liste des pays « peu sûrs ». Apparemment, la politique de sécurité dont se vante le pouvoir en place n’a pas réussi à convaincre ces nations de revoir leur jugement, ni leurs citoyens de revenir en Mauritanie.
Propos recueillis par Dalay Lam