Le Calame : Dans une conférence de presse commune avec le FNDU, les deux pôles de l’opposition qualifiée de « radicale » ont décidé de boycotter le référendum prévu dans le cadre de l’accord politique scellé par le pouvoir et une partie de l’opposition normale, dirait l’autre. Mais concrètement comment ce boycott va-t-il se matérialiser sur le terrain ?
Me Mohamed Mahmoud Ould Ematt : Je tiens tout d’abord à vous remercier et remercier tous nos frères au Calame pour l’occasion que vous m’offrez ainsi. A propos de votre question, vous savez qu’il y a un boycott politique stricto sensu et un boycott actif. L’un et l’autre donneront immanquablement leur fruit en vidant l’événement de toute quintessence et crédibilité ; c’est ce qui fait qu’à l’issue de chaque parodie qu’il entreprend, le régime commence à chercher une nouvelle porte de sortie… de la crise dont il nie, pourtant, l’existence ! C’est le cas pour les dernières élections et le récent « dialogue ». Le RFD et le FNDU comptent bien faire échouer l’action du régime en l’empêchant de mener le pays vers le chaos. Cette volonté commune a été annoncée lors de la conférence de presse conjointe. Le meeting de Nouadhibou s’inscrit dans cette même logique de boycott.
Beaucoup estiment aujourd’hui qu’à la place d’une consultation populaire, le pouvoir aurait recours à la tenue d’un congrès du parlement. Qu’en pense l’avocat que vous êtes ?
Le terme recourir dénote de l’échec de la première variante, lequel échec avait eu pour cause la forme de boycott qu’avait adoptée l’opposition contre la mascarade du soi-disant dialogue et qu’elle adoptera, également, contre celle du référendum et ses résultats. Force est de constater ici une chose qui n’échappe plus à personne : toutes les décisions politiques du régime en place sont improvisées et inopportunes. A cela, il n’y a que deux explications plausibles. Soit le régime méprise le peuple et les forces politiques et préfère plutôt leur mentir et les tromper. Se faisant, il doit savoir qu’il ne fait que se mépriser et s’humilier lui-même. La deuxième explication suppose qu’il y a une force occulte qui détient les rênes du pouvoir et qui laisse le chef de l’Etat se charger de promouvoir la gabegie, colporter le mensonge et entretenir la duperie politique. Dans les deux cas, il doit se ressaisir car le verdict de l’histoire est impitoyable et les récents exemples, à ce titre, ne manquent pas.
Au cours d’une conférence de presse tenue récemment au siège de votre parti, le président Ahmed Ould Daddah, après avoir indiqué que la souveraineté est une ligne rouge, a estimé qu’après les réactions de désapprobation par l’Istiqlal des propos de son secrétaire général et la réaction du Palais Royal, les deux pays doivent regarder de l’avant et œuvrer pour une coopération apaisée parce qu’ils sont frères et voisins. A votre avis, la hache de guerre est-elle enterrée avec la visite à Zouerate du premier ministre désigné du Maroc ?
Je ne pense pas qu’il y eût des signes avant-coureurs de guerre. Seulement, il y avait, hélas, des bravades exercées par le régime en place contre notre voisin marocain, lesquelles bravades se sont traduites par l’alignement aux côtés d’un tel au détriment d’un autre, ce que le RFD juge inacceptable car susceptible de nuire aux intérêts suprêmes de notre pays. Ces intérêts doivent être la boussole qui oriente notre politique étrangère et conduit nos relations aussi avec nos voisins qu’avec le reste du monde. La Mauritanie et le Maroc sont deux Etats frères liés par un passé, un présent et un avenir communs et constituent une charnière incontournable dans la région. Ils doivent, à cet effet, se consacrer à jouer leur rôle central dans l’édification du grand Maghreb arabe auquel aspire le peuple Maghrébin. C’est là l’objectif de notre parti dans son orientation politique vis à vis des Etats du Maghreb arabe.
Au cours d’une rencontre avec des sénateurs de sa majorité, le président Aziz aurait laissé entendre qu’il est victime de tentatives de discrédit de la part de certains pays voisins mais aussi de la France. Qu’en pensez-vous ?
Il doit savoir que c’est lui-même qui est à l’origine de tout ce qui entache à l’heure actuelle l’image de marque de la Mauritanie. A ce titre, les scandales assourdissants à caractère politique, financier, moral ou lié à la sécurité qui se succèdent au sommet de l’Etat en sont des illustrations vivantes. Puisque vous avez évoqué sa rencontre avec des sénateurs de sa majorité, il importe de mentionner qu’il leur a révélé qu’un l’homme d’affaires français lui a déposé un montant de dix millions d’Euro sur son bureau présidentiel comme corruption... Ne s’agit-il pas là d’un fait qui discrédite, en soi, l’image du pays ?
Toujours au cours de sa conférence le président Daddah a prévu une situation économique et sociale catastrophique pour les populations et leur cheptel dans la majorité du pays alors que la pluviométrie a été jugée satisfaisante. Sur quoi reposent son pessimisme et ses craintes ?
D’abord, le niveau des précipitations n’était pas satisfaisant cette année. On déplore, en effet, un grand déficit dans les régions pastorales où il y a une grande population et un cheptel considérable tels que les deux Hodhs, le Brakna, le Trarza et une partie de l’Assaba. Il y a aussi des régions où les pluies ne sont même pas tombées cette année comme Dakhlet-Nouadhiou, l’Inchiri et une partie de l’Adrar. Sur ce plan, cette année ressemble malheureusement à celle de 2012, au début de laquelle nous avions lancé un appel qui a été tourné en dérision par le régime. Mais à la mi-année, la sécheresse a sévi, ce qui a forcé le gouvernement à intervenir en créant ce qu’il a appelé alors le programme Emel. Voici ce qui se rapporte au déficit en précipitations et à la sécheresse qui en découle. L’autre raison réside dans la hausse vertigineuse des prix, l’accroissement du chômage, la baisse du niveau de vie, la faiblesse du pouvoir d’achat, la propagation des maladies, de l’ignorance et de l’insécurité. Tous ces facteurs augurent de dangers imminents que le pouvoir devrait rapidement et objectivement affronter.
A propos du dialogue, le président du RFD a laissé entendre que l’opposition est suffisamment responsable pour refuser le dialogue. S’agit-il d’une offre nouvelle de dialogue de la part du pouvoir ? Si les rumeurs faisant état d’un autre dialogue en 2017 se confirmaient, le RFD y prendrait-il part ?
Au RFD, notre position est claire. Je tiens à la réitérer à présent à travers votre honorable tribune. Nous sommes un parti politique démocratique qui adopte le dialogue comme ligne de conduite en interne et entre nous et les autres. Dans une lettre-réponse à la proposition de dialogue annoncé par le pouvoir depuis la ville de Chinguetti l’avant dernière année, malgré notre conviction que le régime ne prenait pas les choses au sérieux et qu’il voulait, tout simplement, faire passer son propre agenda, nous avons exprimé notre désir d’entamer un dialogue sérieux visant à sortir le pays de la crise multiforme qui n’a que trop duré. Pour prendre part à un tel dialogue, nous avons présenté des préalables clairs, simples, facilement réalisables et établis par la constitution et les lois, les coutumes démocratiques et l’exercice sain du pouvoir. Ces préalables ont pour objectifs de ramener la confiance entre les protagonistes politiques et tester le sérieux du régime. Nous avions remis ces propositions au pouvoir et attendons toujours sa réponse... Je vous confirme que si nous recevons aujourd’hui une réponse à ce sujet, nous l’évaluerons et y réagirons aussitôt.
Dernièrement le RFD et le FNDU ont mené des actions communes (marche et conférence de presse). Ces actions peuvent-elles conduire jusqu’à la réintégration de votre parti au forum ?
Comme vous l’avez dit le RFD et le FNDU ont coordonné quelques activités. Ils sont à présent en train de préparer conjointement un meeting à Nouadhibou. Je crois que nos deux entités sont convaincues que la phase actuelle requiert coordination et solidarité entre toutes les forces politiques de l’opposition, en vue de préserver la patrie d’abord et d’exercer la démocratie loin des pouvoirs militaires d’exception qui gouvernent le pays depuis 1978.
Après le référendum, il est prévu l’organisation des municipales et législatives anticipées. Le RFD y prendrait-il part ?
Le RFD a boycotté pour des raisons et lorsque ces raisons disparaîtraient, la raison du boycott disparaitrait elle aussi.
Après les amendements constitutionnels portant sur la couleur du drapeau et les paroles de l’hymne national, le président de la République a annoncé son intention de faire réécrire l’histoire de la résistance au colonisateur en Mauritanie parce qu’il estime qu’elle a été travestie aussi bien par les colons que par les mauritaniens eux-mêmes. Que vous inspire cette décision ?
C’est là un autre exemple des décisions de ce régime dont l’objectif est d’attiser davantage les tensions entre les différentes composantes de notre peuple et semer plus de discorde pour détourner les populations des sujets essentiels. Cette décision s’inscrit dans le cadre de la série de slogans mensongers que le régime a brandis depuis son arrivée au pouvoir comme « le président des pauvres », «la lutte contre la gabegie », « la maîtrise de la sécurité »…
Dans son discours à la nation, le président sénégalais Macky Sall a annoncé la baisse de 10% sur les factures de l’électricité. Comment comprenez-vous le fait que le gouvernement mauritanien refuse de faire baisser le prix du gas-oil alors que le prix du baril de pétrole était même tombé sous les 30 dollars ?
Cette question était toujours au cœur de nos préoccupations au RFD depuis la baisse conséquente des prix mondiaux du pétrole. A cet effet, nous avions publié des déclarations et avions abordé cet important sujet sur toutes les tribunes. Ce n’est pas le Sénégal seul qui a procédé à la baisse des prix des hydrocarbures. Tous les pays voisins ont fait de même. Seules les autorités mauritaniennes s’y sont refusées, prétextant avoir appuyé les prix dans le passé et voulant recouvrir ses dépenses sur le dos du citoyen comme si le mauritanien n’avait pas le droit de profiter des subventions de l’Etat par le passé et de la baisse actuelle des prix au niveau mondial, baisses indépendantes de la volonté du pouvoir et n’entrant nullement dans ses réalisations fictives. La cause réelle qui pousse le régime à maintenir à des niveaux exorbitants les prix des hydrocarbures n’est, comme chacun le comprend, que l’expression de de son insouciance de l’intérêt du citoyen qu’il œuvre à écraser et aux dépens duquel est promu l’enrichissement particulier. Les avenues de Nouakchott Ouest témoignent bien de ce triste état de fait… Je vous remercie infiniment.
Propos recueillis par Dalay Lam