Larousse, le garant de l’authenticité et de l’exactitude du sens de quelque soixante-quatre mille mots de la langue française donne à « remaniement » trois lectures : « action de remanier ou le fait d’être remanié, (expressions le plus souvent utilisées pour parler de décisions prises dans le cadre d’un changement au sein d’un gouvernement) ; changement de structure d’un ou de plusieurs chromosomes qu’entraînent le gain, la perte ou le déplacement de segments chromosomiques ; mélange de fragments de roches ou de fossiles pour constituer un sédiment ».
Un mot donc très courant dans le lexique politique. Il est évoqué pour parler de changement opéré dans un gouvernement. Ainsi remaniement est avant tout décision. Il n’y pas de bons et de mauvais ministres, mais des ministres compétents et incompétents. Sur la base de quel critère un ministre est-il choisi ? La question n’a pas d’importance : il n’existe pas de profil académique spécifique y répondant. Sur quelle base les Premiers ministres sont-ils choisis ? Une question sans plus d’importance que la précédente. De Mai 1957 à ce jour, dix-sept personnes ont occupé ce poste dans notre pays et l’on se perdrait en conjonctures à tenter d’en tirer un profil-type. Cinq d’entre eux ont effectué deux rounds alternatifs. Et évidemment chacun est arrivé avec « son lot » de ministres.
Le choix des Premiers ministres et des ministres résulte à chaque fois d’un mécanisme ou d’une décision collégiale d’un groupe restreint de responsables le plus souvent très proches du chef de l’État. Ces « chuchoteurs dans les oreilles des présidents » ont la lourde responsabilité de proposer à ceux-ci des noms en fonction de critères d’éligibilité parfois complexes. Un portefeuille de ministre peut être confié à une personne sans aucune envergure académique, comme il peut l’être à un cadre ou un technocrate de très haut niveau. Il peut sortir d’une prestigieuse université, comme l’ex-ministre des Finances Mohamed Lemine ould Dhehby, titulaire d’un doctorat d’État en sciences économiques de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, ou encore d’une « grande famille aristocrate » maure, pulaar, soninké ou wolof. Les « Grandes Familles » sont des « références » équivalentes à des Diplômes d’Etudes Approfondies (DEA).
Issu de telles familles – les mêmes qui prélèvent un pourcentage sur les portefeuilles à distribuer dans tous les régimes qui se sont succédés depuis l’Indépendance – un ministre peut être chérif, marabout ou guerrier. Il peut être aussi descendant d’esclave et même parfois de lignée forgeronne. Mais jamais issu – comme ou le veut une tradition qui semble devoir se perpétuer – de la caste des griots : pas une fois depuis 1957, un de nos dix-sept chefs de gouvernement ne s’est hasardé à en porter un seul à la direction d’un ministère. Peut-être simplement parce que ces griots traditionnellement « collecteurs de faveurs » préfèrent les « sonnants et trébuchants » aux avantages de cette fonction très élevée ; ou peut-être encore parce que nos PM craignaient de laisser échapper en conseil de ministres des propos susceptibles de se retrouver rapportés en rengaine populaire sur fond de musique traditionnelle. Ou, plus simplement encore, pour certains du « haut de gamme » de notre aristocratie mauritanienne rétrograde, parce que le griot reste comme « l’intouchable » indien : il vaut mieux de ne pas s’en approcher… ni jamais, si possible, prier sur sa dépouille mortelle.
Quoi qu’il en soit, bardé de diplômes, référence tribale ou régionale, un ministre est avant tout un commis de l’État investi d’une mission. Point, à la ligne. Même à « usage unique », comme Haïmouda ould Ramdane, ou « rechemisable », comme Ould N’Diay tout récemment envoyé en rodage au cabinet du président de la République…
Des ministres de référence qui nous rendent nostalgiques du passé
Le 20 Juillet 2007, le Premier ministre mauritanien Zeïne ould Zeïdane (Avril 2007-Mai 2008) remit leur lettre respective de missions aux vingt-huit membres de son gouvernement et aux autres responsables assimilés. À l’époque, c’était une équipe composée de jeunes technocrates, pour la plupart, qui n’avaient jamais baigné dans les magouilles des régimes militaires précédents. Le précieux document précisait que les ministres étaient appelés à inscrire l’action de leur département respectif dans les orientations définies par la lettre de mission que le président de la République [Sidi ould Cheikh Abdallahi, à l’époque] lui avait adressée. Des directives « en droite ligne de la déclaration de politique exposée au nom du gouvernement par le Premier ministre devant le Parlement le 31 Mai 2007 » qui exigeaient « la gestion rationnelle des ressources humaines et matérielles, la rénovation et l’entretien des infrastructures ».
Par sa compétence, son intégrité morale et professionnelle et surtout par son honnêteté, Zeïne ould Zeïdane fut l’un des Premiers ministres qui ont laissé une empreinte indélébile dans les annales de notre histoire politique. Il composa son gouvernement « pour s’assurer du respect des directives et options du président de la République à qui il revenait, aux termes de l'article 30 de la Constitution, de déterminer et conduire la politique extérieure de la Nation ». Nous étions à moment-là sous un « régime de mains propres ». Aussi bien celles du chef de l’État Sidi ould Cheikh Abdallah que de Zeïne ould Zeïdane, son Premier ministre. Depuis, c’est malheureusement l’anarchie et la débâcle totale dans la gestion des biens publics. Une débâcle banalement instaurée par des remaniements parfois curieux mais surtout modelés, dans la plupart des cas, par des intérêts politiques inavoués, sinon des intérêts économiques ou financiers personnels, ce que confirment d’ailleurs les assises en cours du tribunal des crimes économiques et financiers.
Il n’en reste pas moins que depuis l’accession du pays à l’Indépendance (1960), plusieurs remaniements ont fait appel à des compétences qui ont marqué de leur sceau l’intégrité morale intellectuelle de notre vie nationale. Avec parfois l’affiche de remarquables célébrités. Je citerai ici à titre d’exemple quelques noms immortalisés par leur conscience professionnelle et leur amour envers la patrie : Soumaré Diarramouna, un soninké poids lourd de la saine gestion. Hamdi Ould Mouknass, la compétence plurielle imprégnée d’honnêteté morale et intellectuelle. Sidi Mohamed Diagana, celui qui força l’admiration de tous les Mauritaniens, toutes communautés confondues. Ahmedou ould Abdallah (ancien conseiller du SG des Nations Unies), une compétence politique et économique ; hybride donc. Ahmed ould Mohamed Saleh, un aristocrate mais surtout un ministre extrêmement consciencieux et honnête. Ahmed Salem ould Sidi qui sacrifia sa vie pour la Mauritanie. Et, plus récemment encore, Kane Ousmane Mamadou, celui qui ouvrit, ces trois dernières années, toutes les vannes de financements pour une Mauritanie qu’il voulait émergente. Enfin Hanena ould Sidi, un homme très réservé, très discret, très bien éduqué et dont la stratégie « politique et militaire » permet à chacun de nous de dormir poings fermés dans un environnement sécurisé, loin des conflits en de voisins pays où les terroristes se comportent comme en terrains conquis.
Un mélange hétéroclite de bons et de mauvais
Si certains ministres se distinguèrent par leur compétence, leur intégrité morale et leur sens responsable du devoir, dans le ballet des remaniements ministériels qui se sont succédés, parfois plus surprenants les uns que les autres, d’autres n’y ont révélé que leur médiocrité et leur déficit prononcé de compétences. Et, comme on s’y attendait, échouèrent lamentablement dans leurs missions. Certains de ces ministres véritables « cancers financiers et économiques » ont laissé des plaies béantes et infectées dans notre système administratif très fragilisé par le tâtonnement de politiques de gestion du plus bas des « bas de gamme ».
On pourrait citer ici quelques noms de ces ministres lamentables. Mais, économie d’éclaboussures, on se contera de savoir qu’ils se reconnaîtront eux-mêmes à la seule mention de leur médiocrité imbibée d’ignorance. Économie d’autant plus pertinente qu’on a finalement compris pourquoi certains de ces tristes sirs furent appelés à gérer des portefeuilles ministériels importants. Ils viennent et repartent sans rien changer, sans rien comprendre ; « ni de la Révolution ni de la Contre-révolution », comme disait Ahmed Sékou Touré. Plus grave peut-être encore, ils repartirent sans vraiment comprendre ni comment ni pourquoi ils avaient été catapultés à telle haute fonction. Dans la logique, même la chance n’aurait pas dû leur donner cette « chance » de siéger en Conseil des ministres. Ce« mektoub » cachait tout bêtement l’intérêt de ceux qui les avaient proposés, avec des arrière-pensées visant le plus souvent le détournement ou la dilapidation des biens de l’État par ministre incompétent interposé. Des « bénisoui-oui », aujourd’hui à se balader les poches pleines de l’argent du contribuable qu’ils ont volé. (À suivre).
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant