La Chine se réveille et le leader du monde tremble (V) /Par Ahmedou Ould Moustapha

16 July, 2020 - 01:33

Monsieur Ahmedou Ould  Moustapha décline ici une analyse percutante qui remet en question beaucoup de certitudes et de croyances fortement établies.

Des lois immuables de l’Histoire aux pertinents indicateurs comparatifs de l’économie, en passant par les inflexions de la géopolitique, il met en évidence quelques tendances lourdes pour cerner les véritables enjeux de cette vive tension qui se déroule sous nos yeux entre les Etats-Unis et l’Empire du Milieu.

Il nous explique surtout la sérieuse menace qui se profile sur le destin des Etats-Unis au niveau de l’échiquier international ainsi que  les vraies raisons des déclarations à la fois erratiques et oscillatoires du président Trump à l’encontre de la Chine.

 

Une autre étape de la Longue Marche

Y a-t-il besoin de longs développements pour cadrer le contexte qui a vu naître  la république populaire de Chine en tant que nation unifiée sous la direction de Mao Tsé-toung ?

Si ce n’est point nécessaire ici, il y a cependant lieu d’ébaucher à petits traits un  rappel historique succinct pour mesurer la ‘’ longue marche’’ qui a conduit à la Chine d’aujourd’hui.

On peut commencer par le 19 ème siècle  avec ses interminables guerres plus connues sous le nom ‘’des guerres de l’opium ‘’  qui débutèrent en 1840 et qui ravagèrent le pays pour finir par emporter la dernière dynastie Qing des Mandchous, vieillissante et épuisée par ses contradictions internes ; lesquelles avaient été aggravées par l’impérialisme européen : britannique, français et allemand  dont les immixtions directes et multiformes n’avaient que le seul but de diviser la Chine pour se la  partager ; une carte de délimitation géographique fut même dressée à cet effet. Mais ces guerres engendrèrent surtout beaucoup de souffrances humaines, si tragiques qu’on pourrait en esquisser l’histoire rien qu’en invoquant ce chaos de misère humaine  et d’humiliation nationale...

Vint ensuite le 20 ème  siècle, en trainant ce chaos du siècle précédent, lui aussi ne pouvait qu’engendrer une autre guerre, la dernière et non moins tragique humainement car elle provoqua une misère si massive et si dramatique qu’elle fit entrer le pays dans une désolation encore plus inconsolable (…). Mais la révolution chinoise, conduite par Mao, remporta cette guerre contre ses adversaires, libéra alors le pays en l’unifiant et déclara la naissance de la République Populaire de Chine en octobre 1949.

 

Odyssée extraordinaire

Puis le pays entra dans une autre étape de sa ‘’ longue marche’’, aussi critique que les précédentes, celle de la construction d’un nouvel Etat avec ce qu’elle comportait en difficultés pour sortir du sous-développement, mais les objectifs prioritaires que le pays s’était alors fixés auront été réalisés beaucoup plus vite que prévu. Cette étape se transforma même en une odyssée extraordinaire, inédite en son genre et dans sa fulgurance, par la dimension et la rapidité de ses percées économiques et sociales, culturelles et technologiques. Que l’on en juge :

Au sortir donc de cette dernière guerre civile aussi dévastatrice que fratricide, la Chine  était le plus pauvre pays au monde, avec une population comprenant 90 % de paysans et 80 % d’analphabètes, son économie représentait à peine 1% du PIB mondial en 1950.

Tel est sommairement présenté l’héritage du premier gouvernement de la république populaire de Chine. Autant dire presque rien, même s’il pouvait compter, et c’était important, sur l’aide sans réserve de l’Union Soviétique de l’époque. Une aide qui se déroula dans le cadre d’une coopération intense et qui a pu durer pendant dix ans, avant qu’elle ne soit brusquement interrompue en 1960, suite à un différend idéologique qui tourna en un véritable schisme. Mais animés de cette conviction que l’une des questions fondamentales du développement était celle de l’acquisition des technologies modernes, les chinois en ont assimilé même les plus sophistiquées au point de devenir l’élève qui a dépassé le maître.

Il est vrai que ce processus d’accès à la modernité avait été accéléré par une remise en question profonde de la révolution culturelle(1) conduisant à la décision historique de Deng Xiaoping, en 1979, (trois ans après la mort de Mao) lorsqu’il décida d’ouvrir progressivement le marché chinois aux entreprises étrangères à condition qu’elles procèdent au transfert de leur technologie en faveur de leurs partenaires chinois.

C’est ainsi que la part des industries de haute technologie chinoises représente, en fin 2018, plus de 27 % du total mondial et devrait surclasser les Etats Unis en  2021.

Aussi, l’économie chinoise représente aujourd’hui 20 % du PIB mondial contre 16 % pour les Etats-Unis (en PPA(2) et non en valeur nominale).

Cette nouvelle donne est tout simplement inacceptable pour le président Trump qui se braque sur l’excédent commercial de la Chine au niveau de la balance entre les deux pays, si bien qu’il décide d’intensifier la guerre commerciale  en imposant des droits de douane punitifs sur quelques produits chinois, de sorte que cet excédent est passé de  323 milliards $  en 2018 à 295 milliards $ en 2019.

Mais il feint d’oublier que la Chine possède une arme déterminante dans cette guerre, c’est son marché pour les plus grandes industries américaines : celles du secteur de la haute technologie numérique et du secteur de la santé (grands laboratoires pharmaceutiques ou BIGPHARMA et grandes entreprises d’équipements sanitaires).

Et c’est en grande partie grâce à ce marché chinois que ces deux secteurs représentent aujourd’hui 40 % de la valeur boursière des entreprises américaines(3).

Encore que les BIGPHARMA s’enthousiasment depuis cinq ans de leur potentiel de croissance en Chine, leurs plus hauts responsables voient dans ce marché un relais de croissance formidable à leur avenir. C’est leur deuxième plus grand marché après celui des Etats-Unis, et ils n’ont pas manqué d’ailleurs de le faire comprendre  au président Trump lors d’une réunion qu’il leur avait accordée en décembre 2019, ce qui signifie qu’il devrait donc en tenir compte – ne serait-ce que pour ses 20 millions de chômeurs (chiffre de  fin mai 2020).

Donc, il vaut mieux croire que cette surenchère n’est que pour amener les Chinois à de nouvelles négociations afin d’en tirer le maximum d’avantages.

 (A suivre)

([1])  Remise en question, parce que cette révolution culturelle de Mao avait  engendré des souffrances inutiles, même si son action pour la généralisation de l’éducation des chinois avait abouti à des résultats indéniables

(2) PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA) : schématiquement, c’est la valeur d’un panier de monnaies ou de devises qui exprime le pouvoir d’achat d’un pays ; différent du PIB par tête d’habitant qui exprime la richesse annuelle produite par les activités de l’économie d’un pays..

(3)Les autres  secteurs tels que ceux de la finance et de l’aéronautique sont en chute presque libre.