Les administrations publiques au temps de Ghazwani : L’inspiration d’un leadership fin et attentif

20 May, 2021 - 01:53

« Le gouvernement a hérité d’un lourd héritage où l’administration a été détruite et la dignité du simple fonctionnaire bafouée, de sorte qu’il est devenu frustré d’attendre des instructions, perdant ainsi son esprit d’initiative et sa créativité », dixit l’ingénieur Mohamed ould  Bilal, actuel Premier ministre du gouvernement de la République Islamique de Mauritanie.

 

Une situation complexe

Je ne veux pas être aveuglément critique de nos tribus mais le fait est que quelques-unes d’entre elles en sont venues à représenter plus de la moitié des cadres du secteur public. Cette poignée de personnes tournent autour de l'État, asservissent son appareil pour leurs intérêts personnels, gaspillent ses ressources, puis trompent le public par un semblant de politique sociale en temps de crise. Comme le dit si bien Lô Gourmo, la tribu est ici réduite à « un lobby, un groupe de pression, une force de frappe qui dérègle le fonctionnement normal de l'État et alimente les mécanismes des exclusions (des autres « tribus », ethnies et races) autant que ceux des usurpations (d'argent, de compétences, de titres, etc.) ».

Non seulement l’État ne fait rien pour arrêter ce phénomène « en marche » mais aussi il garde les bras croisés vis-à-vis de ceux qui œuvrent à sa normalisation. Si les uns et les autres restent en cette position, ils risquent de provoquer l'effondrement du pays. La présence de tels mini-corps est un danger mortel pour la cohésion et une faille dans le système. Elle doit être corrigée rapidement après un éventuel dialogue national. Il n'y aura pas de peuple, si la situation perdure.

En attendant, c’est aux ministres de redécouvrir leur portée, traiter en profondeur les défis qui sont les leurs et ne pas se contenter uniquement de gros titres, comme la discrimination positive, pour justifier leurs échecs. En fait, il n y a rien de bien dans la discrimination, peu importe le sens qu’on lui donne, elle ne mène nulle part. Vu le faible taux d’avancement du programme prioritaire élargi lancé par le président de la République et bien que ce ne soit pas exclusivement de la faute des ministres, c’est devenu plus que nécessaire de se débarrasser d’idées imaginaires sans aucune relation avec la réalité.

 

Un risque toujours présent

Quand il s’agit de gérer la chose publique, il est toujours question d’opérer des choix entre les politiciens, les technocrates et les détenteurs de l'argent. Malheureusement, la plupart de nos politiciens appelés à telle fonction n'ont jamais servi ou grimpé les échelons des administrations publiques et s’y sentent dépaysés, surtout quand on leur confie soudain des responsabilités lourdes de l’espoir d’un peuple assoiffé. Ajoutons à ce triste constat la pénurie en personnalités politiques compétentes, la révocation du peu existant de la gestion et l’incitation à des fonctions strictement honorifiques.

Voués à adopter la théorie des systèmes fermés qui ne prend pas en compte l'influence des facteurs environnants et les enjeux liés à l’éthique et les conflits culturels, nous persévérons dans l’erreur à confier aux technocrates la gestion sensible de plusieurs départements d’État. Quant aux détenteurs de l'argent, ils tendent à favoriser la tactique d'un accord rapide, dont la source est un crédit bancaire ou un projet public. Chez eux, l’intérêt public se dissout dans le profit privé, ils ne sont pas en capacité d'équilibrer bénéfice individuel et service de la Nation. Poussons plus loin notre analyse : ils ne sont même pas intéressés par la préservation de leur héritage politique. Pour eux, l’ultime objectif est la multiplication de leurs richesses, négligeant ainsi les objectifs escomptés en termes de développement du pays.

La faible structuration de notre économie et l'accumulation de plusieurs décennies de mauvaises politiques, notamment celles concernant la gestion des ressources humaines, ont aujourd’hui quasiment normalisé la corruption  et enfermé le développement du pays dans une énigme entourée de mystères.

 

 

 

Les signes avant-coureurs de la corruption

Les locaux dégradés, les équipements usés, les technologies obsolètes, les bureaux au design caduc, le faible esprit d’équipe, l’absentéisme, les services inefficaces et conditionnels, le manque de motivation et de respect envers la hiérarchie, déficit de confiance en cette dernière à la clé,  mettent en évidence la présence d’un phénomène de corruption sous une ou plusieurs de ses formes : gabegie, détournement de fonds publics, clientélisme, népotisme et favoritisme.

Pour fonctionner efficacement, les administrations publiques ont besoin de personnels de qualité et très motivés. Mais la grande autonomie dont disposent les gestionnaires pour louer, maintenir, acheter, recruter et licencier est un des principaux risques de corruption. Il est donc capital, pour jouir de la confiance de la population et combattre les abus de pouvoir, de mettre en place de solides pratiques de gestion de l’intégrité, afin d’évincer tous les fronts souterrains au service d’intérêts particularistes.

Une fois tombé dans le piège de la corruption, rouage décidément incontournable du pouvoir, il est difficile de s’en sortir parce qu’elle engendre une très forte pression à se reproduire, formant un fameux cercle vicieux à la démarche infernale.

 

Gestion de l’intégrité

Il faut mettre en place sans plus tarder des mécanismes d’alerte, signalant tout cas de favoritisme ou conflit d’intérêts, lors de la sélection ou de la promotion du personnel administratif, par le biais de structures de gestion de l’intégrité chargées d’enquêter sur les cas présumés de tels comportements répréhensibles. Le Haut Conseil des Jeunes est le mieux placé pour jouer ce rôle, tout en assurant des activités éducatives dans les institutions publiques, telles que des séminaires, ateliers, formations continues, pour sensibiliser aux risques de népotisme ou de toute autre forme de corruption.

Notre pays dispose d’une mine d’expérience couplée à l’expertise qui n’est plus dans une démarche de déroulement de carrière. Elle peut s’avérer d’une très grande utilité. Il s’agit des « grands commis de l’État », intègres et patriotiques, dont la mission sera de définir la marge de manœuvre permettant une prise en compte de tous les faisceaux d’intérêts nationaux.

En conclusion, une culture d’égalité des chances et de transparence dans les administrations publiques ne s’invente pas au hasard. Elle est le résultat d’une politique clairvoyante et d’un travail continu. Le pouvoir est addictif ; exercé à petite, moyenne ou grande échelle, il nous affecte profondément. Je le sais, je l’ai vécu dans ma carrière professionnelle au privé : j’ai vu parfois des hauts fonctionnaires changer, se métamorphoser en quelque chose de guère plaisant. Je donnerai ici à méditer deux citations. Tirée de « L’éthique » de Spinoza, la première nous renseigne sur l’origine de l’incitation : « Personne, par haine de soi, ne pense de soi moins de bien qu’il ne faut ». Quant à la seconde, inspirée de l’œuvre de Sartre, « le mal est entouré par les bonnes intentions ». Il est donc impératif de prendre maintenant des dispositions capables de démasquer et sanctionner les corrompus, parce qu’il y en aura toujours, des gens qui assument sans rougeur leur volonté de conquérir à tout prix le pouvoir, l’argent et le succès personnel. 

Habib Hamedy

Ingénieur d’État