Guerre du Sahara : La Bataille de Ain Bintili

4 August, 2021 - 20:07

Dans le cadre du réaménagement du dispositif général de défense, un détachement militaire de vingt-huit soldats volontaires de la 1ère Compagnie des Commandos Parachutistes (1CCP), commandé par le sous-lieutenant Abdel Jelil Ould Mabrouk nouvellement nommé préfet de Ain Bintili, a été convoyé à partir de Jreida vers Ain Bintili. Le détachement, composé de deux pelotons, l’un commandé par le sergent Mohamed Ould Sidatt et l’autre commandé par le Caporal Dié ould Mohamed, avait pour matériels majeurs, deux camions GBC 8, une Land-Rover, deux mitrailleuses AA 52, des Mas 36 et des fusils lance-grenades (FLG). Après un périple d’une semaine qui le mènera à Atar, Fderick et Bir Moghrein, le détachement arrive à Ain Bintili par une fraîche matinée d’avril 1974 et s’installe dans le fortin colonial, à peine à 700 mètres de la frontière avec l’Algérie. Deux hommes étaient accompagnés par leurs femmes, le caporal Baba Ould Khayna et le soldat de 2Cl Hamma Ould Bouzouma.

Ain Bintili est un fortin carré de quarante-cinq mètres de côté, construit sur un glacis sur trois cent soixante degrés par les français en 1934 pour préparer la conquête des confins algéro-marocains, conçu pour des détachements coloniaux faisant face à des indigènes insuffisamment armés. En fait, Ain Bintili était juste un relais pour les forces coloniales sur la route impériale.

Au nord l’Oued Bintili, qui borde le fortin en demi-cercle, constitue l’itinéraire d’approche le plus discret et le plus protégé aussi bien du côté Est que celui de l’Ouest. Le fortin, qui est beaucoup plus une infrastructure pour une administration qu’un dispositif de combat, est un piège mortel pour tout élément de combat qui s’y installe ne disposant pas d’itinéraires de dégagement aménagés, d’appuis feu extérieurs puissants et performants et d’éléments de manœuvre dynamiques pouvant mener des contre-attaques sur les flancs et les arrières d’un ennemi potentiel quelle que soit sa direction d’approche

Le 08 Décembre 1975, vers  02H00, le détachement est attaqué alors que le commandant de Base était en mission à Bir Moghrein. La sentinelle Cheikh El Arbi Ould Moustapha, surnommé Senghor, dont la faction touchait à sa fin et qui s’impatientait de voir venir la relève, voyant brusquement quatre silhouettes d’hommes s’approcher, lance une sommation au groupe qui répond en ouvrant le feu. La sentinelle se poste, approvisionne sa Mas 36 avec les cinq cartouches de sécurité dont elle disposait et riposte. Aux premiers coups de feu, les hommes du détachement rejoignent leurs emplacements et ouvrent le feu à leur tour dans la direction d’où venaient les tirs. Ayant épuisé ses munitions et blessé au bras, Senghor fait le mort. Les assaillants, des Merkez qu’utilisait le détachement comme guides, menés par un certain Ahmed Salem qui était le chauffeur du commandant de détachement, prennent l’arme du soldat et sa couverture, le laissant pour mort. Après deux heures d’échange de tirs, les assaillants se retirent.

Le 1er Escadron de Reconnaissance (1 ER), sous les ordres du Lieutenant Mohamed Vall Ould Lemrabott, secondé par le sous-lieutenant Sidi Aly Ould Jeddeine, envoyé en renfort à partir de Bir Moghrein arrive à Ain Bintili en fin de matinée de la journée de l’attaque, emmenant avec lui un complément d’effectif pour le détachement. L’après-midi, un Defender, piloté par le lieutenant Ndiaye Diack, dépose le Lieutenant Abderrahmane Ould Limam qui commandera la garnison du 7 décembre 1975 au 4 Janvier 1976.

 

Premier martyr

Le détachement de Ain Bintili, renforcé en effectifs, d’une mitrailleuse de 31 m/m, de deux mortiers de 60m/m et d’un mortier de 81m/m, prend la dénomination de 8ème Escadron de Découverte de Combat (8 EDC), désormais commandé par le sous-lieutenant Sidi Aly Ould Jeddeine. La garnison, composée maintenant du 1 ER et du 8 EDC prend la dénomination du Sous-groupement 22 avec un effectif total approchant la centaine. Le 1 ER sera basé à « Dcheira Elhamra », des habitations en banco rouge à un kilomètre à l’ouest du fortin de Ain Bintili et le 8 EDC prend possession du fortin.

Le 09 décembre 1975, vers 17H00, un ennemi venant de l’ouest par l’oued Bintili, harcèle le fort avec des armes antichars. Le 8 EDC riposte et l’accrochage dure jusqu’á la tombée de la nuit. Pendant le harcèlement, le soldat de 2Cl Aly Ould Beibou tombera en martyr.

Le 5 Janvier 1976, le capitaine Soueidatt Ould Weddad arrive à Ain Bintili, en qualité de Commandant du Sous-groupement 22 cumulativement avec sa fonction de préfet de AinBintili, à bord d’un DC 3 piloté par le Lieutenant Ndiaye Diack.  L‘avion retourne à Bir Moghrein, ramenant avec lui le lieutenant Abderrahmane Ould Limam.
Dès son arrivée, le capitaine Soueidatt s’attèle à la formation des hommes et ouvre un stage de perfectionnement de deux semaines pour les tireurs et chargeurs des armes collectives. Pendant la durée de son court séjour à Ain Bintili, le capitaine veille au fonctionnement du dispositif sécuritaire par des rondes, surtout aux heures les plus tardives de la nuit. La présence du fondateur de la 1CCP, son engagement et son souci permanent du bien-être de ses hommes et de la sécurité remontent le moral des unités.
Le 18 janvier 76, au cours de l’après-midi, un détachement composé, d’un peloton de quatre Land-Rovers et de deux GBC 8, sous les ordres du sous-lieutenant Sidi Aly Ould Jeddeine, est envoyé en reconnaissance en direction du « Borj Espagnol » à un kilomètre à l’est du fortin.
A mi-chemin, la patrouille en éclairage rend compte de la découverte sur le terrain d’une caisse à sable. A sa vue, le chef du détachement réalise qu‘il s’agit d’une représentation de la préparation d’une attaque contre le fortin. Pendant l’arrêt, un véhicule ennemi se manifeste et se dirige vers l’oued Bintili. Le détachement refuse de le suivre et fait mouvement en direction de sa base. Quelques minutes plus tard, des véhicules ennemis sortent de l’oued et se lancent sur les traces du détachement. Une escarmouche éclate entre les deux éléments. Après un bref accrochage, les véhicules ennemis s’esquivent et le détachement rentre à sa base.
Le lendemain, très tôt le matin, le même détachement de reconnaissance de la veille part pour reconnaître Oued Bintili dans la direction de Tindouf mais, cette fois sous le commandement du Capitaine Soueidatt Ould Weddad. Après un bond de quatre kilomètres, le détachement s’arrête, effectue des coups de sonde et continue son mouvement. Aux environs de 08H00, à peine le deuxième bond entamé, le détachement tombe dans une embuscade. Le capitaine Soueidatt réalise que l’ennemi auquel son détachement fait face n’est pas  n’est pas le Front Polisario, mais des unités d’une armée régulière bien structurée, bien encadrée et bien équipée. L’accrochage dure près de deux heures, l’ennemi se replie vers le nord et le détachement retourne au fort avec deux blessés, le sgt Diaw Abdoullaye au bas ventre et le soldat de 2Cl Boubacar Khalidou Youba au bras.
De retour au fort vers 09H00, le Capitaine Soueidatt réunit les cadres pour faire un point de situation et  donner son ordre de conduite pour la suite des opérations. A l’issue de la réunion des cadres, le capitaine se dirige vers le portail avec des jumelles et scrute l’horizon. Un obus tombe à côté de lui, l’atteignant mortellement et ses éclats blessent sans gravité le sergent Ba El Hadj et le Sergent Ely. La bataille, qui va durer plus de trois jours, a commencé, avec le décès du mythique commandant des unités commandos aéroportées mauritaniennes, le Capitaine Soueidatt Ould Weddad.
Le soldat Mohamed Ould Boubacar arrive en grandes foulées pour informer l’infirmier de la garnison, le sgt Daouda Ould Mbareck, que le Capitaine est décédé. L’infirmier se rend rapidement sur les lieux et constate le décès du Capitaine. Les hommes, bien que très affectés par cette terrible nouvelle, continuent le combat. Selon des témoins oculaires, avant de rendre son dernier souffle, le Capitaine Soueidatt, dans le souci de préserver la vie de ses hommes, aurait informé ses cadres que l’ennemi auquel ils font face leur est numériquement et techniquement supérieur et aurait ordonné aux unités de s’esquiver pour éviter l’anéantissement.
 

Résistance désespérée
Un Defender piloté par le Lieutenant Sidi Mohamed Ould Heyine, dépêché de Bir Moghrein pour l’évacuation du Capitaine Soueidatt atterrit sur la piste à côté du fortin alors que la bataille faisait rage. Le Capitaine étant décédé, le commandant de bord de l’avion fait embarquer la femme du caporal Baba Ould Khayna, le sergent Diaw Abdoullaye et le soldat de 2Cl Boubacar Khalidou Youba.
Malgré les présages des événements qui se profilent à l’horizon, la femme du 2 Cl Hamma Ould Bouzouma refusera de quitter son mari. Elle ne sortira d’Ain Bintili que le 24 janvier 1976, après avoir donné naissance à un enfant sous les déflagrations des roquettes, des missiles, des obus et la pluie diluvienne des munitions des armes individuelles et collectives de l’ennemi avec le dernier élément qui évacuera le fort, après que son mari ait été fait prisonnier.

Après le décès du Capitaine Soueidatt, le lieutenant Mohamed Vall Ould Lemrabott prend le commandement du Sous-groupement et continue le combat.

Dès le lendemain de la mort du Capitaine Soueidatt, le fortin et Dcheira Elhamra seront totalement encerclés et soumis pendant trois jours d’affilée aux tirs et aux bombardements d’une artillerie blindée lourde et d’armes antichars performantes. Ensuite, deux puissants régiments s’intercalent entre le 1 ER et le 8 EDC et les isolent l’un de l’autre.

Deux unités envoyées en renforts de Fdérick et de Bir Moghrein n’arriveront jamais à destination. L’une d’elles tombe dans une embuscade au niveau de Rich Enagim et ses rescapés retourneront à leur base de départ. La deuxième flottera pendant quarante-huit heures entre ordres et contre-ordres et n’arrivera aux environs de Ain Bintili que le 22 en fin de journée pour recevoir l’ordre de se rabattre sur Bir Moghrein.
Les unités du Sous-Groupement 22, fortement affaiblies par les lourdes pertes subies, sans liaisons entre elles et cloisonnées par un ennemi fortement armé, bien structuré et logistiquement bien soutenu, continuent leur résistance désespérée. Après un baroud d’honneur de  quarante-huit heures, le sous-groupement 22 perd pied et ses rescapés mettent à profit l’intervention de l’aviation marocaine, pour décrocher en éclatant dans toutes les directions.

Tard dans la journée du 24, le Lt Mohamed Vall Ould Lemrabott arrive avec un élément réduit à Bir Moghrein, alors que le S/lt Sidi Aly Ould Jeddeine et un petit élément, ayant perdu l’orientation, seront interceptés et faits prisonniers par l’ennemi.

Zeinebou, la femme du soldat Hama Ould Bouzouma, restée au fortin, accouchera sous les missiles, les roquettes, les obus et la pluie diluvienne des armes individuelles et collectives de l’ennemi. Son mari ayant été fait prisonnier, elle ne quittera le fortin qu’avec les derniers combattants.

La Land-Rover dans laquelle Zeinabou avait avait pris place tombera en panne. Elle passera trois jours à marcher pour rejoindre Bir Moghrein, accompagnée par le Soldat de 2 Cl Ethmane Ould Soueid Ahmed qui portait son enfant.

Le 24 janvier 1976, Ain Bintili tombe définitivement aux mains de l'ennemi.

Mohamed Lemine Ould Taleb Jeddou
Extrait de « La Guerre sans Histoire »