Au cœur de la vie rurale/ Moussa Ely Samba Ndiaye

6 October, 2021 - 18:18

Ancien fonctionnaire aujourd’hui  à la retraite, membre de la Société civile, c’est après s’être en vain essayé dans l’agriculture que Moussa Ely Samba Ndiaye s’est retiré dans son village natal. Il y tente de s’exprimer sur  les questions de l’heure, sans pour autant prétendre peser significativement sur le déroulement des évènements…

Après une élection plutôt paisible, même si des doutes persistent quant à  son aboutissement, un nouveau président de la République, militaire de carrière mais aussi marabout, est élu. Son attitude jugée correcte par les acteurs politiques, son discours apaisant, le ralliement de quelques figures  de l’opposition : autant de facteurs qui l’associent à une certaine civilité, tranchant singulièrement avec le caractère revêche de son prédécesseur.   Et de convaincre les plus retors, avec,  dès le début de son mandat, la constitution des dossiers de corruption mettant au banc des accusés le redoutable  ex-Président, son parrain et quelques proches de celui-ci, soupçonnés de diverses malversations. Ce « Dossier de la Décennie » est suivi avec intérêt en milieu rural où l’on tient l’incriminé principal pour un imposteur dangereux à la sécurité du pays.

Après deux ans d’exercice   du  pouvoir et un délai de grâce écoulé depuis longtemps, que dire de l’évolution de la vie rurale ? Les quelques facettes qui suivent ne sont que la partie visible de l’iceberg : ça ne va pas fort...Les activités agricoles battent de l’aile. Le périmètre de Beyllane constitué de vingt-trois coopératives de village est un lointain souvenir. Il n’est plus exploitable, faute d’un aménagement approprié et d’une structure de gestion efficace. Ses exploitants sont au chômage avec un manque à gagner de plusieurs milliers de tonnes  de paddy pour les ménages concernés. Endettés jusqu’au cou envers le Crédit agricole, d’autres plus petits périmètres sont carrément interdits de campagne rizicole. Le seul horizon, pour la production du riz, demeure l’extension du périmètre de Boghé. Mais l’omnipotence du GIE qui l’exploite et  les prétentions communautaristes sur les terres empêchent l’accès  d’une partie des paysans aux parcelles qui  leur sont régulièrement attribuées par l’État. Avec, devant eux, une administration hésitante qui ne cesse de tergiverser  à ce propos.

La campagne de l’agriculture traditionnelle s’est achevée cet été cahin-caha. La production a souffert  du retard dans la fourniture des semences, livrées deux mois et quelques après le démarrage effectif de la campagne. Leur quantité négligeable et ce stupéfiant décalage signalent un grave manque de sérieux. La campagne a également souffert, entre autres, des oiseaux granivores devenus, cette année, un véritable péril. Les efforts à cet égard du ministère chargé de l’agriculture sont restés vains. Et l’on notera enfin que les cuvettes agricoles ne sont exploitées  qu’à un faible pourcentage…quand elles  ne sont pas complètement abandonnées.

 Après une période de soudure éprouvante, marquée par quelques ventes de fourrage peu concluantes, la pluie est tombée  début-Août, nourrissant l’espoir d’un bon hivernage. Une autre campagne agricole commence. Comme il y a moins de contrainte qu’en Chamama, les paysans choisissent plus librement les parcelles à cultiver. Les principales  espèces cultivées sont les pastèques et le niébé. Là encore les paysans sont entravés par l’absence d’engins de labour et de matériel de protection (grillages et barbelés).

Quant au cheptel, il est décimé, après quelques années  de politique indécise, tandis que la nouvelle  tarde à donner des résultats probants. Au final, l’appauvrissement sensible des communautés riveraines du fleuve, dont certaines sont  déplacées sans qu’on leur reconnaisse cet état de fait, est devenu sensible. Sacrifiant leur terroir en choisissant les terres sablonneuses et la route bitumée,  certaines communautés ont découvert,   après coup, que  leur capacité de survie et de production  se retrouvait sensiblement  réduite dans leur nouvel emplacement.  Ailleurs, on aurait fait grand cas de ces déplacés.

Quant à la présence de l’État, elle se signale peu. Les autorités administratives  ont cessé de fréquenter les communautés. Le déficit d’échanges et de communication entre celui-là et les citoyens est devenu patent. Les services déconcentrés ont réduit leurs missions au minimum, pour ne pas dire à la portion (in)congrue. À tous les niveaux,  c’est un secret de polichinelle, la corruption bat son plein. Il est  rare d’obtenir  gratuitement le moindre service. En versant de l’argent, on est couvert et l’on peut se permettre tous les abus, même ceux infligeant des torts à la communauté nationale.

Si, en matière de santé, on ne se plaint pas trop, malgré la COVID-19 et les défauts du système de recouvrement des coûts, en matière d’enseignement, en revanche, c’est la catastrophe, en particulier au niveau primaire, tant la médiocrité ne cesse d’aller crescendo.  Après une mauvaise année scolaire, j’ai été surpris d’apprendre, de la bouche même des candidats au concours, que les examinateurs leur avaient résolu les épreuves publiquement, au tableau. Résultat : tous admis, à l’exception de quelques rares incapables même de copier correctement. Inutile d’être devin pour entendre que ces pauvres élèves sont destinés à être renvoyés tôt ou tard du collège. Un avenir délibérément compromis. Je  me demande comment rattraper  cette situation. Personne ne répond de ces manquements gravissimes : l’impunité est la règle.

 

Beaucoup d’espoir… et piètre résultat

Dans mon village, on signale quelques visites  de Taazour et des organismes partenaires. À chaque fois beaucoup d’espoir… et piètre résultat au final.  À l’issue de ces visites, quatre personnes seulement ont été cooptées pour la CNAM, tandis qu’une quarantaine d’autres bénéficiaient, à deux reprises, de cash-transfert. On note aussi le don d’une tonne de blé accompagné de quelques bidons d’huile de cuisine. Et moi-même pensionné, je ne saurais oublier l’augmentation des pensions. Il reste que l’inflation est galopante. Et l’on sent un déni certain de cette réalité par les mesures peu ou carrément prou efficaces pour contrer cette flambée. Comme dans la glorieuse épopée du prophète Youssouf (PBL), les sept vaches maigres ont dévoré les sept vaches  grasses : toutes ces augmentations et autres dons sont deux à trois fois dépassés par le coût de la vie. Les  prix des produits de première nécessité sont à un niveau qui dépasse l’entendement. En si peu de temps !

Leur contrôle fait défaut, laissant libre cours  à une spéculation sauvage. Et ce n’est certainement pas celui du citoyen lambda qui va contribuer de quelque manière à y mettre fin : le niveau des mentalités des gens ordinaires est très bas,  tant  l’obscurantisme est dominant, dans tous les domaines.  Ni l’État,  ni le moindre parti ne  se préoccupent de la prise de conscience des populations. À ma connaissance, une seule ONG – l’ASFED –  vient d’achever, dans six communes,  une campagne visant à préserver les droits de l’enfant sous le thème : « Sociétés éveillées, enfants protégés ».   L’encadrement de ces populations retardées est laissé pour compte. Mais l’éveil des populations n’est-il pas le principal levier du développement ?

L’ignorance laisse, elle,  la voie ouverte à toutes les dérives et c’est ce qui  se  matérialise par la multiplication d’activités  visant à remettre en selle la tribu. Lors d’une rencontre récente, j’ai remarqué combien cette thématique suscite l’approbation générale. Une à deux voix discordantes ont suggéré aux participants  de se tourner plutôt vers l’avenir, soulignant le caractère archaïque et inégalitaire du système tribal. Tous les vices qu’on reproche aujourd’hui à l’État mauritanien  sont hérités du tribalisme. Il va falloir plutôt  orienter cette énergie de jeunesse à plus important : une nation mauritanienne indivisible, égalitaire et prospère. On a eu du mal à expliquer qu’ils ont affaire à un mirage, des propos contrariant plus d’un dans un monde peu attaché à la vérité.

On note également un bref  passage au village de l’honorable  député  Malick ould Maham. Les dernières visites d’un tel élu datent des mandats de feu Sy Hamat, paix à son âme, et de Kébad ould Ndéya qui était, lui, de l’opposition alors stigmatisée et peu écoutée. De nombreuses doléances ont été portées à la connaissance de l’édile. Depuis plus d’une décennie, les poteaux transportant l’électricité vers les centres urbains font partie du panorama de nos agglomérations. Mais sans aucune retombée sur elles, malgré nos requêtes parfois collectives : pourtant indispensable  au moindre développement, le courant ne nous passe toujours qu’au-dessus de la tête…

Quant au poisson dont on vante l’acheminement et la distribution en tout point du Territoire, les multiples « arrangements » dont il fait l’objet le rendent pratiquement  inaccessible aux plus pauvres. Il ne parvient en zone rurale  qu’à un prix cinq fois supérieur  au 200 MRO le kilo fanfaronnées. Quel sera alors le sort du nouveau poisson dit de qualité ? Ha, cette impossibilité de neutraliser les spéculateurs et leurs complices ! Et je ne parle pas des défaillances  de nos milliardaires sociétés de télécommunications, à ce point fautives qu’on est obligé de recourir à celles du Sénégal… sans pour autant y trouver pleine satisfaction, c’est également à noter.

Je regrette vraiment d’avoir eu à dresser un tel sombre tableau. Le bémol, c’est que je  m’efforce à rester en accord intime avec ma conscience. Avec une lueur d’espoir cependant. Des concertations inclusives auront lieu prochainement, le Président  s’est engagé à en appliquer les conclusions. Seront-elles au final biaisées par une foire d’empoigne à l’issue de laquelle les classes dirigeantes se partageront le gâteau, en en concédant quelques miettes à la masse des démunis ? L’avenir nous édifiera.