Modeste contribution au débat national sur l’éducation : Et si on essayait une autre langue !Par Ba Alpha Seydi

3 November, 2021 - 22:58

D’emblée, je précise : je ne suis expert en rien du tout, surtout pas de l’éducation. Mais je pense qu’il est des moments où tous les fils d’une Nation doivent, individuellement et collectivement, contribuer à faire avancer les choses. Personne n’a la science infuse, la vérité révélée… la certitude – “ilmoulYakiin” appartenant à Allah (SWT).

Depuis quelques jours, jusque sur mon tapis de prière, je ne peux m’empêcher de me poser ces questions : Pourquoi, diable n’arrivons-nous pas à vivre ensemble dans ce pays ? Pourquoi les uns pensent que les autres sont des menaces? Jusqu’à  quand allons continuer à nous  regarder en  chiens de faïence, chacun prêt à bondir et saisir l’autre au cou? Jusqu’à quand allons-nous continuer à vivre dans un semblant de « Maslaha » hypocrite ? Et par quelle variable toute l’équation a été faussée ?

En Mauritanie, on n’est jamais d’accord sur rien. Mais,  on est, exceptionnellement,  bien d’accord que notre éducation est malade. Elle est malade car elle n’a jamais réussi à fédérer les fils de la Nation autour d’un projet éducatif inclusif. Un projet au travers duquel on nivelle les inégalités socio-économiques pour donner la chance à chacun de servir sa patrie comme tout bon citoyen. Une Ecole Nation. C’est surtout par elle que se construit le sentiment profond d’appartenir à quelque chose de plus grand, de plus noble, de plus juste : la Nation. Celle que l’on doit préserver contre vents et marées.

Bernard Kouchner disait que pour conduire un pays à une guerre civile, il suffit tout simplement de détruire son système éducatif, le reste se fera tout seul. Avec une éducation médiocre, on crée, en effet, une classe de gouvernants médiocres. S’en suivra, immanquablement, mauvaise gouvernance, fragilité des institutions, népotisme, exclusion et implosion de la coexistence sociale.

 

“Maslaha” consensuelle….

Hélas, depuis 1958, parce que nous avons continuellement reporté les questions qui fâchent au lendemain, se complaisant dans une “Maslaha” consensuelle qui, en réalité, n’a fait que multiplier les problèmes du vivre ensemble de façon exponentielle d’une génération à une autre.

Mon papa Ibrahima Mokhtar Sarr – pour qui j’ai une immense considération et un profond respect- a bien résumé la situation dans son interview à la TVM en disant que « c’est par l’éducation que tout a été faussé dans ce pays ». Il a aussi rappelé qu’en fait les problèmes ont commencé depuis 1966, soit seulement six années après l’indépendance. J’en sais quelque chose car mon feu père, qui était enseignant à l’époque, faisait partie des 19 arrêtés par le président Mokhtar Ould Daddah et jetés en prison. Et j’ai bien envie de dire : Dommage ! Car, c’est là où la Mauritanie a pris le mauvais virage. 55 ans d’errance au gré des réformes de forme !

Changer les paradigmes

Assez pour l’intro. Venons-en au fond de ma réflexion, candide du reste ! Concevoir et conduire une réforme – de fond – implique assurément un changement de paradigmes pour aboutir à un changement voulu, efficace et efficient. Ceci n’est pas une incantation ni une prophétie, c’est de la science.

Le premier paradigme qu’il faut changer, c’est celui qui consiste à penser que la Mauritanie ne peut exister qu’au travers d’une idéologie ou d’un courant nationaliste venu de contrées lointaines Je veux particulièrement citer le Nassérisme et Baathisme. Je n’ai rien contre ceux-là car je suis convaincu qu’ils portent certainement des valeurs propres à des peuples et à des époques données. Or,  la Mauritanie n’est ni Egypte, ni Irak. Et ce, à tous les points de vue. Ce complexe d’infériorité ou cette volonté têtue de vouloir imposer au Mauritanien un Être qu’il ne peut et ne  veut être, a nui. Ce, parce qu’on a voulu taire ce que nous avons de plus beau à offrir au Monde. Notre “Mauritanité” plurielle. Celle-là qui se nourrit d’une interculturalité entre les groupes socioculturels qui la composent et la portent.

Le deuxième paradigme ayant montré ses limites se résume dans la fameuse phrase : « La Mauritanie est un trait d’union entre l’Afrique noire et le monde Arabe ». C’est bien dit. C’est très beau. Mais la réalité que l’on constate,  c’est que  le trait d’union pour nous a été le grand écart. Car nous avons compris qu’il faut être soit l’un soit l’autre ou encore les deux à la fois. Ce déterminisme forcé et clivant a participé à pousser les uns et les autres vers les extrêmes. La Mauritanie est Mauritanie tout court. Elle peut très bien entretenir des relations fraternelles et économiques avec les pays de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb sans renier ses singularités culturelles internes. Car, la réalité est têtue : un Soninké n’est et ne sera jamais Arabe. Il rejettera jusqu’à sa mort cette arabisation culturelle.

Le troisième paradigme qui a vécu, c’est le fait de penser que toutes les langues doivent être à la fois des langues enseignées, apprises à l’école, et des langues d’enseignement – véhicule de connaissances. Ce qui a rendu presque impossible une éducation de qualité conçue pour remplir des objectifs spécifiques par rapport au “Nouveau Type de Mauritanien”. Il aurait été judicieux d’opérer un discernement entre quelles langues doivent être enseignées, quelles autres doivent être véhicules de savoirs (d’enseignement) et encore lesquelles doivent, dans une certaine mesure, jouer les deux.  En Mauritanie, notre erreur a été de croire que toute langue enseignée doit être forcément une langue d’enseignement.

En plus de ce manque de clarté dans les fonctions et les statuts des langues à l’école, s’ajoute l’impertinence du problème que l’on essaye de résoudre. L’équation que l’on devrait résoudre ce n’est pas tant «quelle langue doit parler le Mauritanien de demain ? », mais plutôt «quels sont les connaissances et les comportements qu’il doit avoir pour être un bon citoyen ? ».

La vocation première de l’école, c’est aussi – et j’ai envie de dire surtout – de former le citoyen de demain. Citoyen de son pays mais aussi citoyen du monde.

D’un côté,  certains pensent qu’il faut forcer tous les mauritaniens à apprendre l’Arabe et un peu de Français en passant. D’autres pensent qu’il faut que nos enfants apprennent à la fois l’Arabe et le Français. Les deux positions reposent sur le fait que toutes les deux langues seront à la fois des langues enseignées et des langues d’enseignement. Le moins que l’on puisse dire c’est que cela ne marche pas. En tout cas pas chez nous. Car, le résultat est celui que nous connaissant aujourd’hui : un des taux de réussite au bac les plus faibles au monde.

Ce système hydride fait de « Maslaha » s’avère donc inefficace, même s’il a le mérite de taire, pour un moment, les querelles entre partisans du tout Français et ceux du tout Arabe.

Certaines voix s’élèvent pour dire qu’il faut retourner au système où les langues nationales étaient à la fois des langues enseignées et des langues d’enseignement. Je ne suis pas contre l’enseignement des langues nationales. Mais, je pense qu’i faut simplement lui donner un cadre et lui assigner des objectifs. J’y reviendrai.

Le dernier paradigme, le plus clivant au demeurant, qu’il faut dépasser, c’est celui qui consiste à croire que la Mauritanie doit être soit arabophone, soit francophone. Une Mauritanie arabophone ne serait pas juste par rapport aux afro-mauritaniens dont les enfants, à côté de leurs frères arabes, partiraient avec une longueur de retard. Une Mauritanie Francophone ne le serait pas pour autant pour les arabes qui ne voient pas– à juste titre – pourquoi leurs enfants doivent apprendre dans une autre langue en lieu et place de l’Arabe qui est leur langue et dans laquelle il est bien possible d’acquérir le savoir. Le souci d’équité se pose donc avec acuité.

Mais on est tous bien d’accord que cette inextricable problématique ne se pose qu’au  citoyen ordinaire qui n’a pas les moyens d’envoyer ses enfants dans le privé. Car, aussi bien les défenseurs du tout Arabe, que ceux du tout Français, sans oublier même ceux-là qui prônent  l’enseignement des et dans les langues nationales, qui le peuvent, envoient leurs enfants dans des écoles privées pour apprendre le programme français, américain ou même turc. Et pourtant, pendant qu’ils sont à attiser les feux, leurs enfants font copain-copain dans de grandes universités aux USA ou au Canada. Même s’ils ont mis leurs enfants dans des cursus différents au primaire et secondaire (Arabe ou Français), ils savent bien qu’ils finiront tous à l’Anglais pour obtenir de grands diplômes et reviendront coiffer « l’enfant du pauvre ». Il est alors temps d’essayer une autre approche qui doit être équitable et efficiente.

Nouveaux paradigmes

Premièrement, la Mauritanie ne se définit pas par rapport aux idéologies et aux courants nationalistes extérieurs. Elle est unique, singulière, plurielle et inclusive. Elle est Islamique, Démocratique, Souveraine, Conquérante et Ouverte. Elle est Mauritanie, et j’ai  envie de rajouter : Point, à la ligne !

Deuxièmement, l’enseignement des langues nationales doit avoir comme objectif de favoriser et de porter l’interculturalité, condition sine qua none d’un vivre ensemble apaisé. Il serait judicieux de ne pas perdre du temps et des ressources à enseigner dans ces langues. Car les apprenants finiront tôt ou tard par traduire leurs acquis dans une autre langue : Arabe, Français ou Anglais. Mais il faut nécessairement les enseigner à travers un système volontariste qui obligerait les enfants mauritaniens de s’ouvrir à la langue, donc à la culture de l’autre. Ceci doit se faire non seulement tout au long du cursus scolaire mais aussi selon la zone géolinguistique. Ainsi un enfant de Aïn Bintelli pourra tout au long de sa scolarité apprendre au moins les basiques en Poular, Soninké et Wolof. Et franchement, est-ce que cela l’empêche en quoi que ce soit d’être un Maure ? Le petit Halpoular ne cessera pas d’être Halpoular s’il apprend et parle Hassaniya/Arabe. Tous les deux seront assurément de meilleurs citoyens. Car ils seront plus tolérants l’un envers l’autre. Comme disait l’autre « parle à quelqu’un dans une langue qu’il comprend, tu parleras à sa raison et parle-lui dans sa langue tu t’adresseras à son cœur. »  C’est surtout à ce niveau – dans les cœurs – que le vivre ensemble commence.

Troisièmement, la Mauritanie est une République Islamique. Personne n’a envie que cela change. Heureusement. Ainsi, l’Arabe doit être une langue d’enseignement du Coran tout le long du cursus éducatif : primaire, élémentaire, secondaire et même universitaire. Ce, avec des objectifs par palier dans la maitrise de la langue adossée à un degré de maitrise du Coran et de la culture islamique : Lire, écrire, comprendre et mémoriser le Coran. Par exemple on peut bien se fixer comme objectif suivant : “Avant d’arriver à l’université,  l’apprenant doit savoir lire le Coran, comprendre dans une certaine mesure ce qu’il lit et surtout mémoriser un certain nombre de Hizbs. Il doit pouvoir écrire et s’exprimer en Arabe”.

Bien entendu ceci doit être distillé de façon intelligente dans le quantum horaire pour que tout reste faisable. La place et l’importance de l’Arabe sont ainsi réglées.

Ceci nécessitera peut-être que nos enfants commencent leur scolarité à partir de 4 ans, dans des “Medersa de la République”, où pendant deux ans ils apprendront le Coran et s’initieront à l’Arabe. Par Medersa j’entends écoles modernes avec toutes conditions d’hygiène, de sécurité et de confort qui n’ont rien à envier aux crèches les plus modernes. Il en existe déjà dans le pays.

L’enfant y apprendra également l’hygiène, le respect de l’autre, la protection de l’environnement et l’amour de la patrie. Il y apprendra que « l’autre c’est moi ».

En fin, la seule langue d’enseignement, source de savoir, sera l’Anglais. Devant elle, tous les mauritaniens partent égaux. Elle mettra tous les chevaux sur la même ligne de départ. Elle ouvrira à nos enfants le monde. Car, les outils technologiques les plus aboutis et les sources de savoir les plus prolifiques sont en Anglais. De plus, quel que soit le degré d’instruction d’une personne, elle reste incomplète si cette dernière ne parle pas l’Anglais. Ceci est un fait.

Pourquoi l’Anglais, non pas le chinois ou le Russe ?

D’abord, nous partons du postulat que l’objectif fondamental de notre système éducatif, c’est de préparer le “Nouveau Type de Mauritanien” aux défis présents et futurs, en le dotant de meilleures pratiques et savoirs à l’échelle mondiale. Bien entendu, tout en s’assurant que ceux-ci restent compatibles avec nos valeurs islamiques et républicaines.

Cela étant dit, si l’on regarde les 100 meilleures universités dans le monde en 2021, les 98% sont anglophones (USA, Canada, Grande Bretagne, Australie). La Suisse prend la 52ème place et la Chine à la 60ème place. Aucune université Française. La première université française arrive à la 107ème place. Aucune université d’un pays Arabe sur les 100. En Afrique les 50 meilleures universités sont également presque toutes anglophones (Afrique du Sud, Kenya, Nigeria, Ghana). Les quelques universités égyptiennes présentes sont des universités où l’Anglais est la langue d’enseignement. Inutile de dire qu’il n’y figure aucune université francophone. L’université de Cheikh Anta Diop du Sénégal arrive à la 59ème place.

Ce constat devrait nous interpeller. Est-ce un hasard que les établissements qui dispensent les meilleures éducations sont celles dont l’Anglais est la langue d’enseignement ? Je ne crois pas.

Je pense que si la Mauritanie veut se donner toutes les chances pour marcher à côtés des meilleures nations en tout, elle doit non seulement adopter l’Anglais comme langue d’enseignement mais aussi revoir le contenu de l’enseignement.

Et le Français ? Et ceux qui ont fait tous leurs parcours en Français ou Arabe jusque-là, que deviendront-ils ? Doit-on les mettre hors-jeu ?  Est-ce que le pays a les moyens d’adopter l’Anglais du jour au lendemain avec tout ce que cela implique ?

Ce sont là, toutes, des questions pertinentes et légitimes. Car, un tel virage se négocie intelligemment et de façon planifiée.

D’abord,  dans le temps, il faut se donner 12 ans pour que les premiers élèves préparés à l’Anglais arrivent à l’université. Cela laisse suffisamment de temps pour préparer les universités et l’administration à se muer. 7 ans me semblent plus que raisonnables. L’expérience du Rwanda a démontré qu’il est même possible de le faire dans un horizon plus court. Il faut « simplement » une volonté politique ferme et un consensus résolu. Le Rwanda n’est certes pas la Mauritanie à bien des égards, mais s’il est possible de réussir cette transformation pour plus près de 6 millions de Rwandais (en 1994), il est bien possible de le faire pour 4 millions de Mauritaniens en 2021.  Sachant qu’à l’époque le Rwanda venait de sortir d’un génocide avec une quasi-totale dépendance de l’aide humanitaire.  Il faut le vouloir. Paul Kagame l’a voulu et il l’a fait.

Ensuite, au niveau de l’intensité des efforts. Il faudrait que l’Etat adopte une politique volontariste en investissant considérablement dans la formation des cadres en Anglais. Il prend à un adulte 18 à 24 mois pour lire, écrire, comprendre et travailler en Anglais. Tout ne sera pas parfait durant les 5 premières années, mais je reste convaincu que c’est le prix à payer pour dépasser tous les problèmes qui minent notre vivre ensemble et plombe notre développement.

Dans un horizon de 15 ans – et ça passe très vite-, on aura fait naitre un “Nouveau Type de Mauritanien” : Fier de ce qu’il est, sensible à son compatriote, bon musulman, ouvert au monde et compétitif sur tous les marchés de travail. Il portera le développement de son pays en s’affirmant dans ce qu’il est et prenant ce qu’il y a de meilleur chez les autres.

Ceci ne veut aucunement dire que nous cesserons toute coopération avec les pays francophones. La Mauritanie gardera sa place de choix dans la francophonie au même titre que les autres pays. Le français sera toujours enseigné comme c’est le cas dans les systèmes anglophones.

Et le ciel ne tombera pas sur nos têtes !

Ba Alpha Seydi