M. Moctar Sidi Maouloud, président du parti El Moustaqbel : ‘’Nous sommes pour un dialogue sérieux et inclusif, non des concertations dont les résultats sont connus d’avance’’

23 December, 2021 - 01:15

Le Calame : La majorité et l’opposition tentent depuis quelques mois de nouer un dialogue politique inclusif. Après une première réunion pour mettre en place une commission de préparation/organisation, les choses semblent traîner. Sur quoi achoppe-t-on ?

Moctar Sidi Maouloud : Je pense qu’il ne faut pas poser le problème en ces termes. En fait, l’échec de l’opposition à trouver une candidature interne et unique en son sein lors de la dernière présidentielle a conduit à sa division. Elle n’a pas réussi à s’en relever, malgré les dernières tentatives du président Messaoud et de Tawassoul à recoller les morceaux. Mais on a quand même mis en place une coordination et une conférence de presse commune de huit partis politiques et autres mouvements. Comme vous l’avez certainement noté, celle-ci a suscité l’ire du président Ghazwani qui a cependant poursuivi des contacts avec divers leaders de l’opposition afin de les convaincre à rallier les « concertations » qu’il a décidé d’engager. Du coup, le parti RAG et les coalitions Vivre Ensemble se sont décidées à participer, « satisfaits », disaient-ils, de leur audience avec le président de la République. La Coordination s’est dite alors prête àces « concertations »en place du « dialogue », pour préserver son unité.

Quelques jours plus tard, une convocation émise par le président de l’UPR pour une première rencontre préparatoire était adressée aux différents partis de l’opposition, excepté le nôtre, El Moustaqbel. Tawassoul, APP et El Moustaqbel jugaient la démarche « anormale » et appelaient au boycott. Hélas, Vivre Ensemble s’y refusait et El Moustaqbel acta son retrait de la Coordination pour avoir été marginalisé par ses propres amis. Je pense que des concertations excluant une partie de l’opposition et des groupes indépendants ne peuvent être inclusives. Et El Moustaqbel est convaincu qu’un dialogue ou des concertations non-inclusives, avec une opposition divisée – et donc affaiblie – ne peuvent aboutir à des résultats probants. Dans ces conditions, elle ne pourra pas imposer un rapport de force en sa faveur ni donc obtenir des concessions importantes de la part du gouvernement qui pourrait, lui, mobiliser toutes ses troupes pour imposer sa volonté.

Le pouvoir ne voulait pas de ce dialogue et Ghazwani aura réussi son coup. Plusieurs partis de cette opposition ont depuis longtemps cédé aux sirènes de son pouvoir ; pis, ils s’évertuent même à le défendre, tandis que d’autres voient les choses autrement : rien n’a changé, à leurs yeux, par rapport au régime précédent et il faut par conséquent continuer la lutte pour un dialogue véritablement sérieux et inclusif. Le pays en a vraiment besoin pour sortir de la crise dont il souffre et que le pouvoir s’obstine à nier.

 

- Sous Ould Abdel Aziz, il y eut deux dialogues boycottés par une grande partie de l’opposition. Des résolutions furent adoptées, certaines mises en œuvre, d’autres jetées aux oubliettes. Ne pensez-vous pas que ce dialogue pourrait être différent des précédents, dans la mesure où le président Ghazwani s’est engagé d’abord à accompagner les parties au dialogue puis à mettre en œuvre les résolutions consensuelles auxquelles elles parviendraient ?

-D’après ce qu’on apprend de ceux qui l’ont rencontré et selon ce qu’il distille dans les différentes interviews accordées à la presse étrangère, le président Ghazwani considère que le dialogue ne concerne que les partis politiques et qu’il se situe, lui, au-dessus, ce qui prouve, une fois encore, que rien ne l’obligera à mettre en œuvre les résolutions consensuelles adoptées par les participants. Comment, dans ces conditions, accorder du crédit à ces concertations ?

 

- Dans une récente sortie, le président du Conseil national de votre parti, Samory ould Bèye pour ne pas le citer, déclare qu’au vu des préparatifs, on s’acheminerait vers un cirque. Est-ce à dire que vous n’attendez rien des concertations à venir ? Allez-vous tout de même y participer ?

-Je n’ai pas entendu ces propos de Samory Bèye. Ce dont je suis sûr, c’est que notre groupe (El Hor, El Moustaqbel dissous à tort par Ould Abdel Aziz, la CLTM, le président du Manifeste des Haratines, secrétaire à l’organisation de notre parti), sommes convaincus que le pouvoir ne cherche qu’à gagner du temps ; autrement dit : à nous en faire perdre. Nous sommes pour un dialogue sérieux, inclusif, non des concertations dont les résultats sont connus d’avance.

 

- Que pensez-vous de la feuille de route concoctée par la majorité et l’opposition ? Quels sont les problèmes du pays qui vous paraissent urgents à régler ?

-La feuille de route à laquelle vous faites allusion n’engage que ceux qui l’ont concoctée, c’est-à dire les partis politiques de la majorité et de l’opposition représentés au Parlement. El Moustaqbel et ses partenaires sont, eux, attachés à la résolution rapide et définitive des problématiques de l’unité nationale, de l’esclavage, du passif humanitaire, du retour des déportés du Sénégal et du Mali, de la réforme agraire, de la séparation des pouvoirs, de l’éducation, de la santé et de la justice…

 

- Contrairement aux autres leaders politiques de la majorité et de l’opposition, votre leader, Samory ould Bèye n’a pas été reçu par le président de la République Mohamed Cheikh El Ghazwani. Savez-vous pourquoi ?

-Notre leader Samory n’a pas été reçu par le président de la République en dépit de sa demande. Et pour cause, le président exige, selon l’émissaire venu voir Samory à son domicile, qu’il ne lui expose pas la question haratine.

 

- Justement dans la sortie précitée, Samory réclame que la spécificité haratine soit explicitée dans la Constitution. Pouvez-vous nous expliquer cette position qu’ElHor défend depuis des années ?

-C’est une vieille revendication d’El Hor que nous maintenons : la communauté haratine se distingue par ses spécificités propres qui méritent d’être reconnues dans la Constitution.

 

- Comment El Moustaqbel a-t-il accueilli le rapport des journées nationales de concertation sur la réforme de notre système éducatif ? Y avez-vous décelé des germes d’une école républicaine pouvant renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale ?

-Les journées de concertations sur la réforme de l’éducation ne sont qu’une autre variante de la gabegie. Les problèmes de l’éducation sont connus de tous et il faut plus que des conclaves pour les résoudre. Le diagnostic est clair, il suffit d’oser administrer un remède de cheval en confiant la tâche à des hommes ou femmes qui ont les compétences, l’audace et la témérité pour ce faire. Il y en a dans ce pays. Et disponibles, pour peu qu’il y ait une volonté politique et une feuille de route consensuelle et claire. Il faut enfin leur donner carte blanche opérer les changements nécessaires.

 

- El Moustabel est-il surpris par la hausse effrénée des prix des produits de première nécessité ? Que pensez-vous des mesures prises pour endiguer cette spirale ?

-Nous ne sommes pas surpris dans la mesure où nous avions tiré la sonnette d’alarme dans une déclaration quelques temps avant l’arrivée de la pandémie COVID au pays. Nous avions demandé au pouvoir de libérer les terres cultivables et mettre en œuvre la loi sur la réforme agraire, ce qui devait permettre à la Mauritanie de parvenir à l’autosuffisance alimentaire et éviter, partant, la situation chaotique que nous vivons actuellement. Les mesures prises par le gouvernement n’ont pas, en tout cas jusqu’ici, endigué le phénomène et ce sont les populations qui en pâtissent, surtout les plus démunies.

 Propos recueillis par Dalay Lam