D’Ould Abdel Aziz à Samuel Doe : En mémoire de feu Sidioca/par Mohamed Chighali

9 March, 2022 - 23:46

Ces derniers mois, nous avons assisté à des coups d'État très près de chez  nous. Au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Ces pays très instables comptent parmi les plus pauvres du continent. Certains d’entre eux étaient en faillite de légitimité, tout simplement parce que leur gouvernement respectif était corrompu. Avec tous un même dénominateur commun : une crise économique accentuée par le mécontentement des populations abandonnées à elles-mêmes, exposées au terrorisme ou au crime organisé.

Les renversements des régimes démocratiques dans certains pays d'Afrique – notamment en Afrique de l'Ouest – deviennent de plus en plus fréquents et sont même parfois « légitimés » par les populations dénonçant ainsi l’incapacité de leurs dirigeants à répondre à leurs attentes. La logique  et le bon sens des citoyens considèrent maintenant qu’un État perd sa légitimité lorsque son gouvernement  se trouve dans l’incapacité de servir son peuple, surtout lorsque ce gouvernement  met en avant ses propres intérêts et ceux de ses membres, généralement issus des groupes traditionnels de soutiens indispensables aux partis politiques majoritaires dans ces pays.

 

Des coups d’État « acceptables » et d’autres« tolérables » ?

Depuis celui du  13 Janvier 1963 mené par des vétérans togolais de l'armée française, avec à leur tête  Gnassingbé Eyadéma, rébellion qui entraîna la mort de Sylvanus Olympio, beaucoup de changements de régime ont eu lieu en Afrique. Ce n’est évidemment pas démocratique de le dire mais, en définitive, après le dernier coup au Burkina Faso le 24 Janvier 2022 – le 8ème en ce pays depuis son indépendance… – on peut arriver à la conclusion qu’il y a de « bons »et de « mauvais » coups d’État. À tout le moins et au constat des faits, des coups d’État présentant plus d’intérêts pour le peuple que le maintien d’un pouvoir légitime.

Les raisons des putschs sont variées. Certains sont le « fruit » de petits arrangements et manigances entre militaires de pays africains et ceux de gouvernements étrangers, souvent d’anciens colonisateurs. Ce fut le cas au Zaïre où les Belges se débarrassèrent, le 24 Novembre 1965, de Joseph Kasavubu pour pouvoir éliminer le symbole de la renaissance africaine Patrice Lumumba, perturbés qu’ils étaient par la puissance révolutionnaire de ce dernier. Ce fut aussi le cas de la Centrafrique où Jean Bedel Bokassa renversa David Dacko en Janvier 1966 pour les beaux yeux de la France.

D’autres coups d’État ne sont que l’expression du ras-le-bol de militaires locaux exposés à mourir pour des causes qui ne leur semblent pas justifiées et sans moyens véritables pour combattre. Tel fut  le cas chez nous, en 1978, quand les militaires se débarrassèrent d’Ould Daddah : ils n’étaient pas préparés à la guerre contre le Polisario et n’avaient ni les moyens logistiques ni les moyens humains de la mener.

Au cas de la Mauritanie peut être assimilé celui du Burkina Faso. Le 24 Janvier 2022, les militaires burkinabés n’ont plus voulu plus mourir au combat contre les djihadistes alors que leurs dirigeants se remplissaient les poches en suivant distraitement la guerre dans les salons climatisés. Et les guerriers de claquer la porte derrière le président Kaboré si peu soucieux des conditions dans lesquelles ils luttaient au front, parfois sans armes ni munitions, très souvent sans approvisionnement ni logistique.

 

La jalousie à l’origine d’un coup d’État

Entre le 23 Juillet 1952 qui vit le mouvement des officiers libres conduit par Gamal Nasser destituer le roi Farouk 1er et le 24 Janvier 2022, date du renversement du régime burkinabé, c’est par centaines que se comptent les coups d’État. Mais deux d’entre eux restent atypiques dans les annales de l’Histoire : les putschs contre William Richard Tolbert au Libéria et contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi en Mauritanie. Au Libéria, cela commença par une sorte de blague… avant de tourner à la catastrophe. Il faisait beau à Monrovia, en ce samedi 12 Avril 1980. Tout était calme en ce pays anglophone dont la première Constitution remonte à 1847. Sergent-chef depuis le 11 Octobre 1979 et administrateur au 3èmebataillon de la capitale, Samuel Doe est ce jour-là de faction au Palais présidentiel. Accompagné d’un ami, militaire lui aussi mais attaché au corps de la sécurité présidentielle, il marche le long de la plage sablonneuse aux abords du palace…

De là, ils aperçoivent le président William Tolbert debout au balcon de sa résidence, contemplant, bras dessus-dessous avec son épouse, l’océan Atlantique. Qu’ils ont l’air heureux et joyeux, ces maîtres d’un pays si riche en diamants, devenu colonie Commonwealth en 1838 et république indépendante en 1847 – après une déclaration en ce sens rédigée par Hilary Teague, un membre de l'American Colonisation Society venu des États-Unis spécialement pour l’événement – et d’où avaient été embarqués, naguère, quelque mille deux cents esclaves par mois pour un voyage sans retour !

Le sergent-chef Samuel Doe regarde le couple présidentiel avec une certaine jalousie. Car Samuel est pauvre et vit avec son épouse dans une seule pièce, dans de difficiles conditions d’existence. Son regard fixé sur le couple, il laisse ses pensées se bousculer dans sa tête. Et l’infortuné sous-officier formé commando formé par les bérets verts américains se met à rêvasser de  gloire, avant de lancer soudain à son ami, comme réveillé en sursaut : « Et si l’on prenait le pouvoir ? – Et comment ? », lui répond celui-ci amusé de ce qu’il prend pour une boutade. «Facile ! Viens et tu vas voir ! »Et Samuel de remonter au Palais et d’ouvrir le feu avec son fusil d’assaut à bout portant sur le président et son épouse !

Totalement inattendu et d’une violence inouïe, le putsch réussit. Dans les heures qui suivent, le sergent-chef ordonne qu’une grande partie de la direction du True Whig Party – treize fonctionnaires de l'administration de Tolbert et tous les membres du gouvernement – soient exécutés en public, attachés à des poteaux plantés sur la plage, à l’endroit même où il avait décidé de mettre salubie à exécution. Puis il met en place un « People's Redemption Council » – une sorte de « Mouvement de rectification » ou UPR avant l’heure… – forme un gouvernement provisoire qu'il préside et s’élève au grade de général.

Samuel Kanyon Doe est né le 6 Mai 1951 à Tuzon, un petit village dans les profondeurs de la région  de Grand Gedeh. Enfant d’une famille très pauvre, il appartenait au groupe ethnique Krahn, une communauté  autochtone minoritaire. En 1990, dix ans après sa prise de pouvoir sanguinaire, le Liberia bascule dans la guerre civile. Prince Johnson, du Front indépendant, et Charles Taylor, du NPLF, allient leurs deux groupes rebelles pour foncer sur Monrovia. Les populations les y acclament en libérateurs contre le régime qui ne survivait que par la terreur et les crimes de masse perpétrés par ses troupes.

Le petit sergent-chef, qui avait pris le pouvoir faute d’arriver à donner deux repas par jour à sa femme et s’était imposé par une criminelle dictature, est capturé par les troupes de Prince Johnson dans le bureau du chef de l'ECOMOG qui venait d’être déployée à peine un mois auparavant. Exhibé au public ligoté sur une chaise en bois, il est exécuté d'une balle en pleine tête, après de cruels supplices et tortures : jambes mitraillées, oreilles et doigts tranchés…Puis son corps nu fut exposé dans les rues de Monrovia jusqu’à décomposition  avancée.

 

Quand la publication d’un décret aveugle de colère un général

Le 6 Août 2008, Mohamed ould Abdel Aziz, Général, commandant en chef du Bataillon de la Sécurité Présidentielle (BASEP) renverse le président Sidi ould Cheikh Abdallahi élu tout-à-fait légalement. Motif de cette « catastrophe antidémocratique », la plus grave de toute l’histoire de la Mauritanie, le  limogeage dudit général par le Président pour « entrave à l’action du gouvernement, activités politiques subversives et encombrement des couloirs du palais présidentiel » par son omniprésence. Ce que le putschiste Ould Abdel Aziz appela « Mouvement de Rectification » n’était, en fait, qu’un acte réfléchi commis dans son intérêt personnel, même s’il fit croire qu’il ne l’avait accompli que pour « sauver l’institution militaire » d’une  décapitation.

Ce que l’Histoire retiendra de cet événement qui n’était pas un coup d’État militaire dans sa forme classique, c’est qu’il était celui de « la supercherie ». Les plus puissants officiers de l’armée mauritanienne – les plus responsables, les plus crédibles… – avaient été mis devant un fait accompli par un des leurs, véritable « aventurier » qui allait, par la suite, démontrer que ce qu’il avait pompeusement appelé  « Mouvement de Rectification » n’était ni plus ni moins qu’un piège politiquement, économiquement et financièrement mortel où tout le pays, ses institutions militaires, ses formations politiques, ses rouages administratifs et même ses partenaires, allaient tomber les uns après les autres.

Sur le plan moral, sur le plan politique et sur le plan sécuritaire, ce qui s’était passé en cette maudite journée du 6 Août était pourtant aussi inconcevable qu’inadmissible. Conséquence d’une saute d’humeur d’un général gravement atteint d’un complexe d’infériorité. Des informations révélèrent plus tard que, fou furieux de n’avoir pu –même sous la menace – obliger feu Sidi ould Cheikh Abdallahi à revenir sur la décision le limogeant – avec deux autres officiers supérieurs entraînés malgré eux dans la mésaventure – Ould Abdel Aziz avait, ce jour-là, ordonné à des soldats de « sa » garde personnelle  de ramener de force le président Sidi ould Cheikh Abdallahi au BASEP – son « repaire »… – pour l’intimider par des menaces. Vrai ou faux ? Ce qui est certain, c’est que le président démocratiquement élu avait été contraint par la force de « répondre» à la convocation d’un officier supérieur qui n’était plus dans l’exercice de ses fonctions depuis les premières heures de la matinée.

Une sorte de remake d’un film sur la mafia sicilienne. Pour l’Histoire et la postérité, les soldats de la garde rapprochée du président Sidi ould Cheikh Abdallahi de l’époque ne resteront que des gorilles de papier. Payés – et bien payés… – pour défendre – par le  sang s’il le fallait, le président de la République, ces « gorilles de la honte » avaient brillé par leur indifférence face à une situation  inédite :un président démocratiquement élu kidnappé par des petits voyous en tenue à la solde d’un général limogé. Ainsi le « Mouvement de rectification », ce renversement de régime qui fit basculer la Mauritanie dans l’horreur antidémocratique, anéantit-il l’espoir de voir notre pays réconcilié avec lui-même et  hissé au haut du mât de la gestion moralisée de la chose publique.

 

El ab’d, ma yihmid ni-émit’ rabou mahou ineïne…..

Ould Abdel Aziz et Samuel Doe sont deux militaires parvenus au pouvoir à des époques différentes, dans des pays différents et pour des raisons différentes. Ould Abdel Aziz  avait commis un crime contre la démocratie de son pays, pour son intérêt personnel, croyant ainsi sauver son honneur. Il savait parfaitement bien que si le décret le limogeant avait été appliqué, il serait passé du statut d’homme très puissant et respecté à celui d’un ex-responsable condamné à errer dans l’arrière-cour du garage « administratif » où sont parquées les « huiles frelatées » dont les régimes veulent se débarrasser définitivement.

Il pouvait donc penser avoir fait le bon choix. Celui de prendre tout le monde de court et de s’imposer comme le « sauveur » de la  Grande Muette menacée d’une « grave » décapitation. Après dix ans de règne sans partage et sans consultation avec qui que ce soit – militaire, civil ou politique – sur les questions d’intérêt national, il est maintenant poursuivi pour crimes  contre l’économie et les finances de son pays par une enquête judiciaire qu’il considère, lui, comme le prolongement d’un véritable complot politique ourdi contre sa personne. Il vit «isolé » ou presque, neutralisé judiciairement et anéanti politiquement par une détention préventive sécuritaire extrême – et d’ailleurs injustifiée… – abandonné par ceux-là mêmes qui l’avaient accepté au lendemain du 6 Août 2008 sans mesurer les conséquences de leur engagement.

Quant à Samuel Do, petit délinquant des faubourgs de Monrovia, il avait pris le pouvoir en trahissant la confiance d’un chef d’État qui le prenait pour son propre fils. Une fois bien calé dans un fauteuil  trop grand pour sa petite taille de fumeur de joints, Samuel commit des crimes abominables qui dressèrent contre lui toute l’Humanité. Mais la cruauté se fit elle-même justice, en lui faisant payer le prix de la sienne par des souffrances tout aussi innommables. Torturé publiquement devant les caméras de télévision du monde entier avant d’être exécuté et son cadavre exposé aux curieux des bidonvilles, jeté à la merci des chiens errants sur le pavé d’une rue très fréquentée de la capitale…

 

Des leçons de morale ?

Ce fut peut-être pour éviter l’une ou l’autre de ces tragiques fins que quelques  jours après son renversement, Roch Marc Kaboré s’empressa d’écrire une lettre à Paul Henri Sandaogo Damiba, son tombeur, pour l’informer qu’il démissionnait, sans pression aucune, de son poste de président de la République du Faso élu démocratiquement.

Kaboré, le président voleur et pilleur qui cachait sous le lit de sa chambre l’argent que Macron l’impopulaire destinait au renforcement des capacités opérationnelles de l’armée du « pays des hommes intègres » pour lutter contre le terrorisme, eut tellement peur pour sa peau, qu’il confondit dans l’adresse de sa lettre manuscrite, le Comité militaire et le Conseil constitutionnel de son pays.