M. Dia Alassane, président de Touche Pas à Ma Nationalité (TPMN) et Président en exercice de la CVE/VR : ‘’Les rares ministres qui se débattaient pour sortir du lot en essayant de faire bouger leurs secteurs ont été débarqués’’

6 April, 2022 - 19:08

Le Calame : Le président Ghazwani vient de former son 3ème gouvernement. Que vous inspire cette dernière équipe ?

M. Dia Alassane : Pour moi, c’est un peu comme le fameux slogan du sinistre Ould Taya lors de la présidentielle de1992 : le changement dans la continuité. Si ce remaniement a un intérêt, c’est bien celui de mettre à nu l’incohérence du Président Ghazouani et de sa politique. Il dénonce l’incompétence de son gouvernement et de son administration, il réunit les gouverneurs pour leur faire comprendre qu’ils ne mettent pas en œuvre sa politique, qu’il n’y a pas assez de proximité avec les populations, comme s’il découvrait subitement toutes ces tares structurelles par enchantement, tares qui plombent l’autorité de l’Etat dont il est aujourd’hui le premier responsable, si tant est qu’il y ait un Etat digne de ce nom dans notre pays. Il s’ensuit la démission théâtrale du gouvernent. La logique aurait voulu que le changement soit radical, si les griefs avancés étaient réellement pris en considération. Au lieu de cela, on nous sert du réchauffé en reconduisant le même premier ministre et la moitié du gouvernement prétendument démissionnaire. Le comble de tout cela, c’est que quelques-uns des rares ministres qui se débattaient pour sortir du lot en essayant de faire bouger leurs secteurs ont été débarqués.

La vérité, c’est que pour masquer son impuissance et l’incompétence de son gouvernement le Président Ghazouani cherche à tout prix à endormir les Mauritaniens. A mi-mandat, il n’a encore aucune réalisation à son actif. Le seul apport qui lui est attribué est celui d’avoir apaisé la scène politique. Mais l’apaisement en question n’a aucune espèce d’incidence sur le panier de la ménagère et donc sur la lutte pour la survie à laquelle est confronté le Mauritanien lambda. D’ailleurs en fait d’apaisement, c’est un puissant anesthésiant qu’il a inoculé à la classe politique et notamment à l’opposition qu’il tient en laisse en lui promettant des assises nationales toujours repoussées aux calendes bédouines.

 

Il y a quelques semaines, le ministère de l'éducation nationale et de la réforme a rendu publique la loi d'orientation sur la réforme de l'éducation qui a inquiété les associations culturelles nationales. Elles ont noté des reculs pour ne pas dire des contradictions entre ce texte et les recommandations des assises nationales. A votre avis leurs craintes sont-elles justifiées ?

Les associations se sentent flouées, trahies. On leur avait fait miroiter la possibilité de réintroduire les langues nationales en tant que discipline et véhicule d’enseignement. Au final, le projet de loi d’orientation les confine au rang folklorique de simples disciplines enseignées dit-on pour les besoins de communication entre Mauritaniens. Encore une incohérence notoire du Président Ghazouani et de son gouvernement puisque la loi vante l’expérimentation réussie de l’enseignement dans les langues nationales pulaar, soninké et wolof et déplore l’arrêt injustifié de cette expérimentation et sa non généralisation.

La vérité est que cette orientation est un aboutissement logique d’une politique de négation de la diversité ethnique culturelle et linguistique qui fait la richesse de la Mauritanie, politique tracée et entamée par Mokhtar Ould Daddah et son PPM (Parti du Peuple Mauritanien, parti unique à l’époque) au lendemain de l’indépendance. On parlait alors « d’indépendance culturelle fondée sur la réhabilitation de la langue arabe qui est la langue de culture et de religion de notre peuple » selon les termes du Président Daddah faisant comme si les autres composantes nationales ne comptaient pas. L’arabisation de la société mauritanienne en profondeur telle qu’en parlait le premier Président du pays à la faveur de la réforme de 1973 est en passe de devenir une réalité que la nouvelle loi d’orientation sur la réforme de l’éducation a pour ambition de parachever. Cette loi tend en effet à faire de la Mauritanie et des Mauritaniens un Etat et un peuple exclusivement arabe. Mais bien entendu, tous ceux qui tiennent à l’égalité, à l’équité et à la justice pour tous se mettront vent debout pour que cette loi ne passe telle quelle. Il y va de la survie de notre diversité et de l’existence même des communautés négro-africaines du pays. Cela coûtera ce que cela coûtera mais nous nous y opposerons de toutes nos forces.

 

Le mois béni du Ramadan a démarré il y a quelques jours déjà dans un contexte social délicat, les prix n'arrêtent de monter. Pensez-vous que les quelques 12 boutiques ouvertes dans les différents quartiers de Nouakchott et des capitales régionales suffisent à soulager les citoyens, surtout les démunis ?

C’est l’occasion pour moi de souhaiter un excellent Ramadan à l’ensemble de nos compatriotes mais également à tous les musulmans du monde. Pour en revenir à la question, rares sont les ménages mauritaniens capables d’assurer deux repas quotidiens. Les Mauritaniens ploient sous le poids de l’inflation : les prix des denrées de première nécessité augmentent à un rythme exponentiel depuis des mois, voire des années. La guerre en Ukraine vient s’y ajouter pour étrangler encore un peu plus le citoyen lambda qui ne sait plus où donner de la tête. Evidemment, ce ne sont pas des mesurettes comme l’ouverture de ces boutiques qui soulageront nos populations, surtout les plus démunies. Il faut agir sur le pouvoir d’achat en revalorisant les salaires pour les fonctionnaires (les moins bien payés des sous-régions ouest-africaine et maghrébine) tout en veillant à la stabilisation des prix. Pour ce dernier volet, il faut que l’Etat joue pleinement son rôle et qu’il finisse de subir le diktat des commerçants. Il faut plus largement pour l’écrasante majorité des Mauritaniens qui ne travaillent pas et qui vivent de l’informel une véritable politique sociale de participation citoyenne en lieu et place des politiques d’assistance qui confinent bon nombre de nos compatriotes au rang d’éternels assistés.

                                                                  Propos recueillis par Dalay Lam