M. Sarr Mamadou, Secrétaire exécutif du Forum des Organisations Nationales de Droits Humains (FONADH) : ‘’Les arguments avancées pour justifier le report du dialogue me semblent légers’’

6 July, 2022 - 17:56

Le Calame : Comment avez-vous accueilli la suspension du processus des concertations politiques entre la majorité et le l’opposition ? Les arguments avancés vous paraissent-ils convaincants?
Sarr Mamadou :
C’est vraiment regrettable dans la mesure où l’opinion s’attendait à la tenue de cette rencontre qui devrait permettre un dialogue inclusif afin  d’arriver à un consensus par rapport aux questions fondamentales qui divisent les composantes nationales du pays.
Les arguments  avancées pour justifier le report me semblent légers, je pense sincèrement  que certaines personnes ne souhaitent pas la tenue de ce dialogue pour la simple et bonne raison qu’elles  sont hostiles au règlement des problèmes cruciaux qui divisent le pays.
 
-Comprenez-vous la non implication de la société civile dans les préparatifs de ce rendez-vous manqué ?
-Nous ne pouvons pas comprendre la non implication de la société civile dans les préparatifs de la concertation, c’est pourquoi, le FONADH a réagi  par la publication d’une déclaration, en date du 28 avril 2022. En effet, la  société civile assiste à l’organisation d’une rencontre, dénommée « concertation », à laquelle ne sont conviés que des représentants de partis politiques. Or, il est question de problèmes cruciaux de la Mauritanie, de problèmes de la survie même de ce pays multinational en butte à des problèmes de vivre ensemble de ses composantes. Les politiques ne sont pas seuls à devoir en débattre. En effet, qui mieux que les représentants de la société civile pour discuter des problèmes liés à l’unité nationale, à la cohésion sociale, au mieux-être des populations du pays ?
 Il faut noter que depuis des années, des femmes et des hommes ont usé de tous les moyens en leur possession, pour fustiger les pratiques rétrogrades d’esclavage, de racisme d’Etat et d’exclusion éhontée de toute sorte. Et, ces femmes et ces hommes ne demandent qu’à trouver des solutions idoines à ces questions, dans le cadre d’un dialogue réel et sincère. Les organisations de droits humains, les associations culturelles, les syndicats des travailleurs et les diverses organisations professionnelles ne cesseront d’œuvrer en vue de solutions justes et durables à ces questions fondamentales »

-Qu’espérait le FONADH d’un tel conclave ?
-Le FONADH qui a toujours souhaité un dialogue inclusif, espérait que cette fois ci, après plusieurs échecs, il y aurait une véritable volonté politique de trouver une solution définitive à la situation qui gangrène le pays à cause de la discrimination sur tous les plans que vivent les composantes négro-africaines et qui perdurent malheureusement.
 

 -Comment le FONADH a réagi à l’adoption, par le gouvernement de la loi de protection des symboles de l’Etat, le 9 novembre 2021, celle sur la publication de fausses informations sur les  réseaux sociaux ? S’agirait-il d’un recul des libertés comme le pensent certains acteurs politiques et des activistes des droits humains ?
 -Le FONADH est préoccupé par cette loi qui constitue un véritable recul et  une restriction de l’espace civique contraire à toutes  les conventions ratifiées  par la Mauritanie. Elle n’a pour but que de réprimer les différents acteurs qui dénoncent les violations des droits de l’homme, les défenseurs des droits humains, les journalistes et autres acteurs afin de les empêcher des d’évoquer et de dénoncer  les violations massives qui se déroulent dans le pays.
 

-Votre organisation s’était beaucoup battue pour le dossier dit « passif humanitaire » dont la résolution suscite de gros débats et de polémique. Après la tentative de l’ancien président Aziz  en 2009, son successeur, Ould Ghazwani  tente de trouver une solution avec les intéressés (veuves, orphelins et rescapés). Le dossier a été confié  au ministre  Kane Ousmane et une commission restreinte a été constituée. Que pensez-vous de cette nouvelle approche ? Avez-vous été sollicité pour votre expertise en la matière ?
-Le passif humanitaire se rapporte à des violences graves et massives des droits de l’homme, survenues en Mauritanie, au cours de la période allant de 1986 à 1992. Il concerne  deux composantes : civile et militaire.
Le dossier est confié à M. Yahya Ould Ahmed El Waghf, ministre Secrétaire Général de la Présidence   et M. Ousmane Kane, Ministre de l’Economie et des secteurs productifs
L’approche adoptée est correcte à mon avis, car elle permet aux représentants du gouvernement et des victimes de discuter ensemble pour arriver à un consensus. Il faut reconnaître que la tâche n’est pas facile. Mais s’il y a la volonté des deux côtés de trouver une solution définitive c’est possible.
 
-Depuis quelque temps, les organisations représentatives  des collectifs des victimes peinent à s’entendre sur une «feuille de route » mise en place à cet effet. Si vous devriez donner un conseil, aux uns et aux autres, que leur direz-vous ?
 -Les différents collectifs des victimes des événements 1986 /1992 sont déjà d’accord sur une feuille de route qu’ils sont entrain de finaliser. La question du passif humanitaire demande un consensus, il y a des avancées, j’espère que le travail en cours sera achevé prochainement Les commissions en charge de finaliser le travail sont à pied d’œuvre.
Etant moi-même impliqué dans le dossier, j’ai apporté ma modeste contribution dans la discussion.
Le conseil que je peux donner c’est de dépasser  les contradictions personnelles afin de s’entendre sur l’essentiel et d’aboutir aux résultats recherchés dans l’intérêt  des victimes et de la communauté.
 
- L’ancien président Aziz et 11 de ses anciens collaborateurs et proches seront traduits devant un tribunal pour fait de «corruption », d’enrichissement illicite...Que vous inspire cette décision de la justice mauritanienne ?
 -La justice doit jouer son rôle, il est tout à fait normal que l’ancien président et ses proches  soient traduits devant les tribunaux  pour répondre à ce qu’on leur reproche. Mais la justice doit également poursuivre tous ceux qui se sont enrichis illégalement ces dernières années.

 

Propos recueillis par Dalay Lam