La pensée unique arabe (1) / Par Oiga Abdoulaye

15 January, 2015 - 01:29

Cette semaine, nous avons reçu deux textes assez longs qui se répondent, étrangement, en vis-à-vis. Plutôt que de les publier l'un après l'autre, il nous a paru plus intéressant de les présenter de concert, sur plusieurs éditions, marquant, ainsi, la réalité du débat toujours en cours…

 

L'invasion arabe  est entrée en Afrique par l'Egypte, au 11ème siècle de l'ère chrétienne. Elle s'est poursuivie en Afrique du Nord au 13ème et finit  par atterrir, dans l'espace qu'on appelle, aujourd'hui, la République Islamique de Mauritanie au 14ème et 15ème. Les Béni Hassan y ont trouvé leurs devanciers berbères, les Sanhadja, et les populations autochtones Soninké de l'empire du Ghana,  les Peuls du royaume Tekrour, les Wolofs du royaume du Walo ainsi que des Sérères.  Toutes ces populations, Soninko en tête, avaient déjà embrassé l'islam par une branche omeyyade, dès le 7ème siècle. De fait, les valeurs de la société Soninké étaient déjà celle de l'islam, avant sa pénétration : propreté, modestie, pitié, entraide, bannissement du mensonge, de la trahison, du vol, de la violence et de la cruauté, etc. C'est par la suite que les Soninko, islamisés au contact des arabes omeyyades, ont islamisé les berbères Sanhadja et les autres populations noires. L'islam a été un facteur puissant d'unité qui a tissé des liens solides entre toutes  ces populations. Le mouvement almoravide, apparu des siècles après cette islamisation, a apporté le rite malékite qui renforça ces liens. Le ribat où vivaient les Almoravides était le " Tata " du village de Daw, situé sur le fleuve Sénégal, dans l'actuelle moughataa de Maghama. La majorité des Mourabitounes étaient des noirs. Leur direction fut assurée d'abord par Youssouf ibn Tachifin puis par Aboubacar ibn Amer. Les soldats noirs et les chameaux du mouvement effrayèrent les Espagnols qui n'en avaient jamais vus auparavant et furent déterminants dans la conquête de la péninsule ibérique. C'est à cette époque que le soninké El Hadj Alpha Diadié construisit, à Grenade, une mosquée de trois cent soixante-cinq fenêtres qui existe toujours.

C'est de l'application des préceptes de l'islam (paiement de la zakat par Bebba, exigé par Nasr Dine), que naquit, au 17ème siècle, la guerre dite de Charbabe, entre les Béni Hassan et les Berbères Sanhadja et leurs alliés. Elle dura plus de vingt ans (1645 à 1666).  Les Béni Hassan en sortirent vainqueurs et finirent par imposer leur diktat et leur dialecte, le Hassanya, aux berbères Sanhadja. Ces populations vivaient ensemble. Elles se mariaient et constituèrent des alliances, des siècles durant, avant même l'arrivée des  Français, qui colonisèrent, au 18ème siècle, le Sénégal et le sud de la Mauritanie habités par des populations majoritairement noires. La France imposa son mode de pensée via quelques écoles disséminés dans le pays qu'elle domina jusqu'au 28 Novembre 1960, date de l'accession de la Mauritanie à l'indépendance.

 

Méfiance et inquiétude

A l'accession du pays à la souveraineté nationale, la majorité de ses cadres étaient des ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal. Cette situation s'explique par le fait que les populations du Sud étaient sédentaires et furent les premières à fréquenter l'école française. Ainsi, toute l'administration, les forces armées et  de sécurité (armée, gendarmerie, police) étaient occupées majoritairement par des cadres noirs ressortissants du sud du pays. Pour changer cette situation, Mocktar ould Daddah engagea une série de réformes importantes dont celle du système éducatif national. Celle-ci devait promouvoir la langue arabe, véhicule idéal, selon Moctar, de la culture des Mauritaniens, en lieu et place du français. Conçue et perçue comme tel, cette réforme était juste et équitable. Mais, introduite sans concertation ni consentement des communautés non-arabes, elle fut combinée à des formations militaires des enseignants maures et tout cela suscita méfiance et inquiétude des Noirs.

Au départ, cette politique d'arabisation se heurta à deux obstacles majeurs : en un, la revendication du Maroc, soutenue par l'ensemble des pays arabes, à l'exception de la Tunisie du combattant suprême Habib Bourguiba. Revendication selon laquelle la Mauritanie, partie intégrante du royaume chérifien, ne pouvait être indépendante ; en deux, la domination des cadres noirs, majoritairement francisés, sur l'administration, ainsi que nous l'avons déjà indiqué. Rejetée par les pays arabes, la Mauritanie ne trouva son salut  que dans le soutien de l'Afrique noire, en particulier du Sénégal. Lorsque le pays voulut entrer aux Nations Unies, en 1960, il se heurta à l'opposition du clan du Maroc et au veto de l'Union Soviétique  qui soutenait l'adhésion de la Mongolie extérieure. Il fallut attendre le 21 octobre 1961 pour voir la Mauritanie et la Mongolie Extérieure y entrer, après un compromis entre la France et l'Union soviétique. On se souvient du discours, mémorable, prononcé par le ministre  sénégalais des Affaires étrangères de l'époque, en la personne de monsieur Doudou Thiam, à la tribune de l'Organisation, défendant la Mauritanie. Dans ce combat pour l'existence du pays en tant qu'Etat souverain, il importe de signaler le rôle éminent joué par feu El Hadj Mahmoud Ba, natif du village de Djeol. Il fut parmi les premiers intellectuels arabisants mauritaniens à envoyer en formation en Egypte des centaines de jeunes ressortissants de l'Afrique de l'Ouest. Il fut plusieurs fois arrêté et emprisonné par l'administration coloniale française. Ceci plusieurs années avant l'indépendance de la Mauritanie. Ce fut le premier  promoteur de l'enseignement de la langue arabe, non seulement, en Mauritanie mais, aussi, dans les autres pays de l'Afrique Noire. Conseiller à la présidence de la République, il fut l'artisan du rapprochement et de la réconciliation, entre Mocktar ould Daddah et Gamal Abdel Nasser, de la République Arabe d'Egypte. Il est regrettable qu'une si haute personnalité, ayant consacré sa vie à la promotion de la langue arabe, à travers les écoles El Falah, soit jetée dans l'oubli par son pays si fier de son arabité.

Une fois la Mauritanie admise aux Nations Unies, Moctar ould Daddah poursuivit, mais de façon plus prononcée, sa politique d'arabisation. La première réaction contre cette entreprise intervint en 1966, via un manifeste rédigé par dix-neuf cadres noirs. Ce fut le prétexte d'une confrontation communautaire qui prit départ à partir du lycée de Nouakchott, au mois de février 1966. Moctar préférait opposer à ce manifeste un refus catégorique, plutôt que reconsidérer sa vision et instaurer un débat national, afin de trouver un consensus autour de la question de l'arabisation, au demeurant légitime, du système éducatif. En juin 1966, au congrès du parti du peuple mauritanien à Aïoun El Atrouss, on dévoila les grandes orientations de la politique renforcée d'arabisation qui éliminerait, à terme, les Noirs du pays. Mais c'est surtout à partir de 1978 que cette politique connut un tournant décisif. Prétextant de mettre fin à la guerre du Sahara, des cadres civils et militaires adeptes de l'idéologie baathiste renversèrent, le 10 Juillet 1978, le régime de Mocktar ould Daddah qu'il trouvait trop complaisant avec les communautés non arabes du pays. Les auteurs du coup d'Etat, inspirés par la politique de la pensée unique arabe importée de l'Iraq de Saddam Husseïn, installèrent un système qui allait accélérer le processus d'élimination. La pensée unique arabe consistant à obliger, dans les pays arabes, les communautés non arabes à s'arabiser, à défaut de procéder à leur extermination. (A suivre)

 

* Oiga Abdoulaye, ancien directeur général de la Caisse Nationale et de la Sécurité Sociale (CNSS)

 

 

 

La pensée unique arabe (2)/Par Oiga Abdoulaye*

Suites des deux articles présentés en vis-à-vis, la semaine dernière, dont la coïncidence d’envoi nous paraît singulièrement signifiante de l’actualité d’un débat déjà ancien…

[…] Une fois le coup d’Etat réussi, civils et militaires tenant du baathisme se constituèrent en une organisation qu’ils dénommèrent « avant-garde civilo-militaire ». Cette structure, nourrie de la pensée unique arabe et détentrice du pouvoir du 10 juillet 1978 à nos jours, n’est composé que d’une petite minorité d’extrémistes qui se sont imposés au pays grâce au pouvoir des armes. La majorité écrasante du peuple mauritanien ne partage pas leur idéologie. Contrôlant déjà les forces armées et de sécurité, l’avant-garde civilo-militaire plaça ces éléments dans les autres postes stratégiques de l’administration, afin d’exclure et éliminer tous les cadres noirs de l’appareil de l’Etat. Notamment du ministère de l’Enseignement. Dans ce secteur, il s’agissait d’avoir la mainmise sur les bureaux des bourses et examens. Au niveau des examens, bloquer les éléments noirs, et, à celui des bourses, envoyer en formation des centaines et des centaines d’élèves maures dans les pays arabes.

Trois autres postes stratégiques étaient visés. En un, la Direction de la Fonction publique. Il s’agissait d’établir l’effectif des fonctionnaires et agents auxiliaires noirs, tout en procédant à la modification des lois et accélérer, ainsi, leur départ à la retraite. Nous donnerons, à titre d’exemple, l’ordonnance N°28 du 31 Décembre 1978, qui intervint six mois seulement après le coup d’Etat et modifiait les conditions de départ à la retraite. Avant 10 juillet 1978, il fallait remplir deux conditions (55 et 30 ans) pour y prétendre. Mais l’ordonnance a remplacé la conjonction de coordination « et » par « ou » (55 ou 30 ans). C’est à partir de cette modification que plusieurs cadres noirs furent vidés de la Fonction publique. Quant à la loi N° 9309 du 18 Janvier 1993, portant statut général des fonctionnaires et agents auxiliaires de l’Etat, elle prévit l’intégration des agents auxiliaires de l’Etat, qui étaient majoritairement noirs, à partir du 1er Janvier 1994. Mais, au lieu d’y procéder, la Direction de la Fonction publique mit à la retraite plus de huit cents agents auxiliaires, en les considérant comme des fonctionnaires, alors qu’ils ne l’étaient pas. Ainsi ces agents jetés à la rue ne purent bénéficier de leurs pensions auprès de la CNSS, n’ayant pas atteint l’âge de la retraite (60 ans). Puis, après avoir vidé tous les cadres noirs de la fonction publique, l’Etat décida de régulariser la situation de ces agents auxiliaires, vingt ans après (1994-2014) en procédant, simultanément, à leur intégration comme fonctionnaires et à leur mise à la retraite.

Le troisième poste stratégique était celui des Commissions nationales des concours. Le quatrième, celui de la Direction de la télévision et de la radio. La télévision ne présente plus, sur le petit écran, que la composante maure, même dans les wilayas où la dominante des populations est noire. Quant à la radio, le temps d’antenne accordé à la composante noire est insignifiant. Les tenants de la pensée unique arabe se sont mis au travail d’élimination des éléments négro-mauritaniens. Cette épuration n’a connu que deux exceptions : l’une sous le règne du président Mohamed Khouna ould Haïdalla et l’autre avec le président Sidi ould Cheikh Abdallahi. Haïdalla fonda l’Institut National chargé de la Promotion et de l’Enseignement des Langues Nationales (INPELN), avec des classes-tests pour en expérimenter l’enseignement. Le résultat fut plus que satisfaisant, puisque les majors, au concours d’entrée en première année collège et au bac, étaient des élèves de ces classes. Mais cela fut considéré, par l’avant-garde civilo-militaire, comme un crime de lèse-majesté et l’enseignement de ces langues fut supprimé. Quant au Président Sidi, il présenta, dans une adresse à la Nation, les excuses de l’Etat mauritanien aux victimes des événements douloureux des années 89-91 et pris également l’engagement, vis-à-vis de la communauté nationale et internationale, de rapatrier tous les réfugiés mauritaniens du Sénégal. Invité, par l’avant-garde civilo-militaire, à renoncer à cette décision, le Président Sidi lui opposa une fin de non-recevoir. En réponse, l’avant-garde civilo-militaire publia un tract pour annoncer, au Président Sidi, sa prochaine destitution. Voilà les raisons, parmi d’autres, qui furent à l’origine de la destitution de ces deux présidents qui n’ont pas voulu adhérer à la pensée unique arabe dont l’objectif est l’élimination de la composante non-arabe (les Négro-mauritaniens).

Seul le premier contingent de rapatriés rentré au pays, en Janvier 2008, sous le magistère du président Sidi, pourra bénéficier de pièces d’état-civil et de la nouvelle carte d’identité, pour l’ensemble des membres de leur famille. L’avant-garde civilo-militaire commençait alors à préparer le coup d’Etat contre le Président. Pour éviter que la Communauté internationale ne considère leur acte comme un putsch, il était prévu que leurs alliés députés et sénateurs marcheraient vers le palais présidentiel, invitant les militaires à prendre le pouvoir. Cette marche était programmée pour le mercredi 06/06/2008, à partir de 16 heures mais le président Sidi anticipa la manœuvre, en destituant les grands officiers qui devaient agir à la demande des élus. Voilà pourquoi les militaires destitués ont pris le pouvoir.

La promulgation de la nouvelle carte d’identité a, pour objectif, d’empêcher, non seulement, les contingents des rapatriés qui devaient rentrer au pays, après ceux de janvier 2008, d’obtenir la nationalité mauritanienne, mais, aussi, la majorité des Noirs mauritaniens. Pour que l’opinion publique nationale et internationale ne se rende pas compte de la combine, le nouveau pouvoir a continué à faire revenir les réfugiés mais en les bloquant par le nouveau recensement. C’est dans le même esprit qu’on a voulu faire comprendre, à l’opinion publique, que le problème du passif humanitaire était réglé avec la prière à Kaédi. L’expulsion des Noirs mauritaniens vers le Sénégal, lors des événements de 1989, et l’extermination des militaires et civils des années 1990 sont des applications directes des idées de Michel Aflak, le théoricien du baathisme. Selon cette théorie, les communautés non-arabes des pays arabes doivent être éliminées selon le procédé suivant : un tiers est tué, un tiers expulsé et le dernier tiers assimilé. En Mauritanie, l’avant-garde civilo-militaire y a partiellement réussi, avec les tueries de centaines de militaires et de civils, au cours des années 89, 90 et 91. Pour les tiers à assimiler et à expulser, c’est un échec, pour le moment. Quant à l’exclusion des cadres et agents noirs des rouages de l’Etat, c’est, par contre, une réussite totale. Les enfants des premiers cadres noirs qui ont construit ce pays ne trouvent plus de travail dans leur propre pays, malgré l’acquisition de plusieurs hauts diplômes. Ils sont obligés de s’expatrier et ne reviendront plus, à terme, en Mauritanie, ce qui était un des objectifs de l’avant-garde civilo-militaire. 

Nous évoquerons, en guise de conclusion, ce qu’Allah nous a enseigné, l’histoire nous a prouvé et nous prouve encore aujourd’hui : les hommes ou peuples qui se considèrent puissants et supérieurs à d’autres peuples, finiront toujours par s’autodétruire ou être détruits. Ce fut le cas du peuple hébreu (peuple élu), comme du peuple allemand avec Hitler et sa théorie de la race arienne. Maintenant, c’est au tour des tenants de la pensée unique arabe, avec ce qui se passe en Syrie, Iraq, Yémen, Egypte, Libye et en Tunisie. C’est parce que les tenants de la pensée unique arabe ont eu, dans ces pays, à exterminer des centaines sinon des millions de personnes appartenant à des communautés non arabes. D’autres pays ne tarderont pas à connaître le même sort, dans un futur proche. A bon entendeur, salut !

  • ancien directeur général de la Caisse Nationale et de la Sécurité Sociale (CNSS) de Mauritanie