Dialogue politique en Mauritanie : L’Arlésienne

15 January, 2015 - 01:41

Qu’est-ce qui empêche le pouvoir et le FNDU de (re)prendre langue ? C’est la principale question que se posent les observateurs de l’arène politique nationale et les citoyens avertis. Depuis la signature de l’accord de Dakar, en 2009, et le dialogue de septembre-octobre 2011, entre quatre partis de l’opposition et le pouvoir de Mohamed ould Abdel Aziz, les pôles politiques réaffirment, à chaque occasion, leur engagement à un dialogue politique pour solder le désaccord né du renversement, par l’actuel locataire du palais gris, du président Sidi ould Cheikh Abdallahi, premier président élu démocratiquement en Mauritanie. En dépit de ces intentions, la mayonnaise peine à prendre. Chaque partie rejetant la responsabilité sur l’autre. Surenchères, par-ci ; politique de l’autruche, par là. Et, pendant ce temps, le pays vit comme une espèce de malaise que certains hauts dignitaires du régime cachent mal, en privé. Pourtant, nous disait, récemment, un cadre proche du pouvoir, « aucun président n’a réalisé autant d’infrastructures ». En dépit de tout cela, on sent comme une atmosphère malsaine que l’opposition est incapable de capitaliser à son profit. Les acteurs politiques de tous les bords peuvent-ils continuer, en dépit des menaces sécuritaires à nos frontières, à s’observer en chiens de faïence et à s’invectiver, alors que tant de risques pèsent sur la stabilité du pays ?

 

Vaincre la méfiance, retrouver la confiance

Pour la troisième fois en moins de six mois, le Président a réitéré son offre de dialogue inclusif à l’opposition ; entendez, au FNDU. C’était à l’occasion du festival des villes anciennes, à Chinguetti. Elle intervient après celle énoncée au sortir du bureau de vote où il accomplissait, le 21 juin, son devoir civique, puis dans son discours d’investiture, en août dernier. Des appels du pied que l’opposition, qualifiée de « radicale », réunie au sein du FNDU et qui se dit « disposée au dialogue franc et sincère »,  persiste à ignorer, pour la bonne et simple raison qu’elle met en doute la « sincérité du pouvoir en place ». L’accord de Dakar, signé avec le chef de l’Etat, à Nouakchott, en 2009, sous le parrainage de la Communauté internationale et dont les termes ne furent pas respectés par la partie adverse, au lendemain de la présidentielle de juillet 2009, demeure, pour le FNDU, une source de méfiance. Une méfiance renforcée par le refus du pouvoir d’appliquer l’intégralité des points signés, en octobre 2011, entre lui et les quatre partis politiques de l’opposition réunis au sein de la CAP, aujourd’hui CUPAD.

« Pour aller au dialogue, il faut que le pouvoir dépasse les bonnes intentions », affirme Moussa Fall, président du CND. Et d’ajouter : « Pour l’heure, elles ne le sont pas. Il faut que le pouvoir se décide à offrir du concret ; nous exprime, par des voix officielles ou via des intermédiaires, ce qu’il est disposé à concéder, pour que le processus puisse se mettre en branle ». Le docteur Kane Hamidou Baba, président du MPR et du comité de suivi de l’action gouvernementale, au sein du FNDU, regrette, quant à lui, que « le président de la République n’évoque le dialogue qu’à la veille d’échéances électorales, alors que l’opposition a besoin de geste concrets et d’être rassurée, après les malheureuses expériences vécues avec le régime en place […] Quand on dirige un pays, le devoir vous commande de rassurer ses vis-à-vis, ce qui est loin d’être le cas avec le pouvoir actuel ».

Du côté de celui-ci et la majorité présidentielle, c’est sur l’opposition, notamment le FNDU – certains de ses leaders ne refusent-ils pas de reconnaître la légitimité du Président, allant même jusqu’à exiger son départ du pouvoir ? – que beaucoup rejettent le refus de tout dialogue. Dialoguer avec une opposition qui a choisi de boycotter les élections leur paraît inutile, elle doit assumer les conséquences politiques de son geste. Dans une récente interview au Calame, Yarba ould Sghaïr, secrétaire exécutif chargé des droits de l’homme et des libertés à l’UPR, estimait, après avoir rappelé les dispositions du président de la République et de l’UPR au dialogue, que « le FNDU ne représente qu’une partie de l’opposition et ses souhaits – ses engagements, même – ne nous convainquent plus, après tant de reniements et de retournements de veste ». Et d’ajouter « S’il est sérieux [il s’agit du FNDU, NDR] dans ce que vous lui prêtez, il doit le prouver sur le terrain ; la confiance et l’entente suivront ».

Pour d’autres, le pouvoir a tout à gagner à dialoguer avec son opposition, lui faire des concessions qui ne remettent pas en cause sa légitimité et le bon fonctionnement des institutions. Le Président aborde son dernier mandat ; il a besoin de le couler paisiblement, pour préparer une sortie honorable, contrairement à son ancien homologue burkinabé, Blaise Compaoré. Dans un contexte géopolitique trouble, avec des menaces aux frontières, et une Afrique où les peuples commencent à s’élever contre le tripatouillage des Constitutions, Ould Abdel Aziz, qui traîne le boulet d’avoir renversé un président démocratiquement élu, pourrait, en dialoguant avec son opposition dite « radicale », étoffer son envergure nationale et internationale, prétendre, même, à diriger une institution africaine voire internationale, avec l’appui de ses alliés français et américains.

 

Une division qui arrange le pouvoir

La division de l’opposition en deux pôles n’est pas de nature à apaiser la tension politique que connaît le pays. Les rapports ne sont certes pas cordiaux entre les partis politiques du CUPAD, singulièrement l’APP de Messaoud ould Boulkheïr, et certains leaders du FNDU, comme Ahmed ould Daddah. Cette espèce de querelle de leadership, entre des opposants historiques, mine toute action d’envergure de l’opposition. Le dialogue inclusif raté de 2011 et le boycott, par le FNDU, des élections municipales et législatives, alors que ceux de la CAP y participaient, le soutien des conseillers de l’APP au candidat du pouvoir, pour la présidence de la CUN, seraient des conséquences directes de ces divisions. L’opposition, dans son ensemble, devrait apprendre à parler un seul langage mais la diversité de ses agendas ne semble pas lui permettre de suivre une formation commune en ce sens.

En réitérant son offre de dialogue, il y a quelques jours, la CUPAD ne se fait donc pas d’illusions. Elle sait, d’emblée, que sa proposition trouvera d’autant plus difficilement oreille attentive, au FNDU, qu’on laisse déjà entendre qu’APP et El Wiam prendraient part aux sénatoriales en vue. Cette division au sein de l’opposition n’arrange que le pouvoir en place qui trouve ainsi, à chaque échéance électorale, une espèce de faire-valoir au sein même de ses adversaires politiques. Les dernières élections, législatives, municipales et présidentielle, illustrent parfaitement cette situation. C’est dire qu’en attendant de trouver, face à lui, une stratégie unitaire capable d’inverser le rapport de forces en sa faveur, prélude impératif à une alternance politique, le pouvoir en place peut dormir, tranquille, sur ses lauriers, aussi maigres soient-ils.

Dalay Lam