Affaire Aziz : Ghazwani, un témoin-clé ? Mohamed Chighali, Journaliste indépendant

1 February, 2023 - 15:54

Au cours d’une conférence de presse organisée à son domicile, l’ex-président Mohamed ould Abdel déclara que son successeur Ould El Ghazwani connaissait l’origine de tous ses biens. C’était ajouter un peu plus à ce qu’il répétait souvent qu’il mettait qui conque à défi de prouver qu’il ait pris une seule ouguiya du Trésor ou dollar de la Banque Centrale de Mauritanie.

Alors d’où provient sa « colossale » fortune ? Depuis quelques jours, le débat sur la question a repris de plus belle. Et c’est Ould Abdel Aziz lui-même qui l’a relancé, en écrivant sur sa page Facebook : « Quand j’étais en Turquie, Ould Ghazwani m’a appelé pour me dire qu’il avait expliqué à Ahmed ould Daddah que je ne possédais aucune ouguiya en provenance du contribuable mauritanien ». Et d’ajouter : « le président Ghazwani me rappela par la suite pour m’informer qu’il avait donné la même explication à Mohamed ould Maouloud (UFP) et à Biram Dah Abeïd (IRA), leur affirmant que « j’avais assez pour vivre très longtemps à l’abri des besoins mais que cette richesse n’avait aucun lien avec l’argent du contribuable ou de l’État mauritanien. »

 

Quand un journaliste fait dire à Ghazwani ce qu’il n’a pas dit

Le 6 Janvier 2023, un journaliste animateur d’El Barlemaniya, la TV parlementaire, posait à Biram Dah ould Abeïd la question suivante : «Dans une déclaration sur sa page Facebook, l’ex-Président a dit que vous, Mohamed ould Maouloud et Ahmed Daddah êtes venus demander à l’actuel Président d’enquêter sur la fortune mal acquise de son prédécesseur. Qu’avez-vous à répondre à ce sujet ? – C’est tout simplement faux », répliqua avec raison Biram. Car jamais et à aucun moment, Ould Abdel Aziz n’avait affirmé cela. Il avait plutôt dit que c’était Ould Ghazwani qui avait pris l’initiative d’informer les trois leaders politiques que la fortune de son prédécesseur n’avait rien à voir avec l’argent de l’État mauritanien. La nuance est de taille.

D’autant plus que les propos d’Ould Abdel Aziz ne sont pas des versets du Saint Coran et n’engagent que lui-même. Et pas Ould Ghazwani. On ne peut donc attribuer forcément à celui-ci la déclaration d’Ould Abdel Aziz portant à la connaissance du public un détail important dont l’interprétation est multidimensionnelle, aussi bien sur le plan politique que sur le plan judiciaire. Il est à tout le moins surprenant que ce journaliste de la TV El Barlemaniya – considéré comme l’un des plus brillants de ce pays – impliquât le président Ghazwani dans une déclaration prêtant à confusion et le mêlant à une affaire qui ne relève peut-être d’ailleurs que du délire d’un ex-Président dont la retraite est coupée et tous les chemins battus.

Il est bon pour tous les Mauritaniens de savoir, une fois pour toutes et de toutes les façons, que ce qu’Ould Ghazwani et Ould Abdel Aziz se disaient par le passé, en leur domicile respectif, au palais présidentiel ou dans les casernes militaires, avant que leur « mortel » duel politique actuel ne les oppose, ne nous regarde pas. Ça devrait être même le dernier de nos soucis.

Si Ould Ghazwani voulait s’éviter les accusations d’une éventuelle complicité avec Ould Abdel Aziz – accusations qui pèsent maintenant lourdement sur sa personnalité morale – il aurait dû – comme je le lui conseillai dans un article publié au début du mois d’Août 2019 –publier une déclaration officielle sur l’état des lieux en lequel il avait trouvé le pays, après les violentes secousses sismiques enregistrées sur l’échelle du détournement du pillage et de la gabegie de la décennie de son ancien ami. Peut-être mal conseillé, l’actuel Président a été pris au piège par son prédécesseur qui profita des fortes pressions exercées sur celui-là les trois premiers jours de son mandat, pour quitter le pays dans un avion bourré de malles et affrété pour la bagatelle de soixante-seize millions d’ouguiyas collectées sur le dos des vendeuses de couscous et de beignets, ainsi que des charretiers des quartiers populaires.  

 

Quand les mots expriment des maux

Dans sa dernière sortie audiovisuelle sur sa page Facebook, Mohamed ould Abdel Aziz, a dit deux choses particulièrement intéressantes.  La première est qu’il est prêt à parler au cours du procès mais à condition qu’on lui donne le temps de dire tout ce qu’il veut. Et la deuxième, qu’il est prêt à justifier 100 % l’origine de toute sa fortune, à condition que tous les autres (Présidents successifs, Premiers ministres, ministres et moufsidines) justifientseulement50 % de la leur. C’était évidemment lancer un défi. Même un très grand. Mais ce qu’Ould Abdel Aziz oublie, semble oublier, ou feint d’oublier, c’est que ce n’est pas à ces personnes auxquelles il fait allusion que la justice demande de justifier l’origine de leur fortune. C’est de lui que l’enquête de la police des crimes économiques et l’instruction du pôle des juges du Parquet exigent de tels éclaircissements sur la sienne et il doit maintenant s’y soumettre à la barre des accusés : d’où provient votre immense fortune, monsieur Mohamed ould Abdel Aziz ?

Il dit et répète qu’Ould Ghazwani connaît l’origine de tous ses biens. C’est faux. L’ex-Président n’a-t-il pas lui-même déclaré, au cours d’une conférence de presse à laquelle j’ai personnellement assisté, que « les enquêteurs auront du mal à dresser l’inventaire de tous ses biens » qui sont, selon ses propres propos, « éparpillés et confiés à différentes personnes. » En termes clairs et sans équivoque, cela signifie simplement qu’Ould Abdel Aziz reconnaît lui-même avoir beaucoup de biens confiés à différentes personnes et en différents endroits.

À partir de ce constat, il apparaît fort difficile de faire croire à l’opinion nationale et internationale qu’Ould Ghazwani connaît l’origine de tous ces biens, sinon à affirmer que, cumulativement à ses fonctions de chef d’état-major des armées, Ould Ghazwani fut également le teneur du livre des entrées fiduciaires d’Ould Abdel Aziz. C’est tout simplement absurde et ne tient pas debout. Même en admettant que l’ex-Président ait exagéré et que son successeur ne connaisse l’origine que d’une partie de ses biens – ce qui est bel et bien possible – cela pourrait donc peut-être expliquer ce qu’Ould Ghazwani aurait voulu exprimer aux trois leaders de l’opposition à chaque fois que la question de la fortune de son ancien ami de quarante ans lui était posée.

Quoiqu’il en soit, si Ould Abdel Aziz pense qu’affirmer qu’Ould Ghazwani connaît l’origine de tous ses biens va dédouaner sa fortune colossale de tous les soupçons qui pèsent sur son origine douteuse, il se trompe. Et si Ould Abdel Aziz n’a comme témoin qu’Ould Ghazwani pour justifier celle-ci et prouver ainsi à la justice que cette fortune est un bien « bien acquis », j’ai bien peur que celui-là ne se retrouve seul et sans témoin à la barre pour confirmer ses déclarations. Car – l’ex-Président est le premier à le savoir parfaitement –Ould Ghazwani ne peut pas être appelé à la barre, ne serait-ce que comme témoin assisté dans cette affaire. D’abord parce qu’il est l’actuel président de la République et ensuite parce qu’en l’exercice de ses fonctions, il jouit, lui aussi hélas, des « largesses » du fameux article 93 qui n’a pas été pondu à usage unique et dont l’ex-Président s’accapara au début de l’enquête, étouffé qu’il était par les accusations de corruption et d’enrichissement illicite, pour se murer derrière un silence tout aussi injustifié qu’injustifiable.

 

Quand Ould Abdel Aziz nous prend pour des imbéciles

Quand il était au pouvoir, Ould Abdel Aziz nous a tous utilisés comme des cobayes, pour tester ses folies de grandeur. Il dissout le Sénat, nous avons applaudi. Il nous a obligés à renoncer à notre drapeau d’Indépendance, nous avons accepté sans rechigner. Il a modifié plus d’une fois notre monnaie, nous avons continué à acheter et à vendre comme si de rien n’était. Il a rasé des écoles rattachées au passé de la plupart d’entre nous pour en faire des centres commerciaux lui appartenant gérés par personnes interposées, nous n’avons rien dit. Il nous a importé de l’étranger un hymne composé au goût de fanatiques arabes, nous avons obligés nos enfants à oublier l’ancien et à réciter le nouveau qui sentait le Sisi.

Et ce n’est pas tout. Il a divisé les Noirs en petits fronts dispersés et remontés les uns contre les autres. Il a divisé les Maures entre nobles qui s’accaparent de tous et les autres qui se contentent des s’lalikhs. Il a divisé les Harratines en mettant dos-à-dos leurs leaders charismatiques.  Et ce n’est pas fini. Il semait la terreur partout, s’enrichissait démesurément en « clouant le bec » de la plupart d’entre nous, soit par corruption passive ou active, soit par des menaces sur leur intégrité physique et morale. Et pour couronner le tout, il a vendu notre poisson à vil prix à des opérateurs travaillant à son propre compte. Il « s’est cédé » l’exploitation de certaines de nos ressources minières, de nos richesses halieutiques, de nos ports de pêche ou commerciaux, par le biais de personnes ou partenaires interposés. Et, comme si rien de cela n’était, il a pour finir pris son bâton de « pèlerin harangueur » pour aller pleurer à Akjoujt et à Nouadhibou qu’il est victime d’une répression morale et psychique de la part de la police de l’État, qu’il est ciblé par une justice aux bottes d’un régime fictif soutenu par une opposition anesthésiée.

Il faut peut-être rappeler à Ould Abdel Aziz que c’est cette même police, cette même gendarmerie et cette même justice qu’il avait transformées, par sa dictature, ses sautes d’humeur, son esprit de vengeance et sa rancune cynique, en pouvoirs répressifs. Sous son règne « d’Idy Amine Dadda », ceux-ci maltraitèrent le sénateur Ould Ghade, pourchassèrent l’homme d’affaires Ould Bouamatou jusqu’au-delà de nos frontières et c’est bien cette police et cette justice qui réprimaient tous les négro- mauritaniens et les harratines qui réclamaient pacifiquement leurs droits.

Si, tout au long de ses mandats effectués dans un environnement de terreur, dictature, détournements, vols et gabegie,Ould Abdel Aziz avait consacré plus de temps à assurer l’indépendance de notre justice vis-à-vis du pouvoir, il n’aurait pas été arrêté à la sortie de Nouakchott ni refoulé au portique de sécurité de la salle d’attente de cet aéroport qu’il fit construit à la tontine financière. Il est bien vrai que nos services de l’ordre et nos autorités judiciaires ont fait montre de bricolage dans leurs agissements envers l’ex-chef de l’État. Lui qui, même poursuivi par la justice, doit être logiquement respecté en tant qu’ancien président de ce pays et citoyen jouissant de toutes les libertés garanties par la Constitution.

Mais Ould Abdel Aziz doit de son côté éviter de se comporter comme un vulgaire Taleb ould Abdel Wedoud, comme un aliéné mental d’OuldK’mach ou cet autre déficient El Hafedh, c'est-à-dire en se rabaissant de l’image forte qu’il donnait de lui aux mondes arabe, islamique et africain entre 2009 et 2019. Dans une vidéo où on le voyait marcher à faire son jogging, on l’entend dire à un caméraman qui le suivait : «Filme ! Filme ces policiers qui nous filent :au lieu de faire leur travail en allant sécuriser les quartiers pauvres, ils nous prennent en filature ! ».Et d’ajouter : « Ce n’est pas un pays, la Mauritanie ».

C’est peut-être vrai. Entre 2009 et 2019, notre Mauritanie n’était plus un pays, mais plutôt une bourse qui cotait, depuis le palais présidentiel, tous les projets dont les dividendes ont été retrouvés, par les enquêteurs, éparpillés un peu partout entre les mains de receleurs qui travaillaient pour le compte de celui qui était, en réalité, plus le président d’une entreprise multinationale et internationale à raison lucrative qu’un chef d’État en mission constitutionnelle.

C’est vrai, tout le monde le sait : en dix années, Ould Abdel Aziz a complètement métamorphosé ce pays par ses caprices ;ceux d’un homme qui n’a jamais été capable de prouver qu’il était réellement un chef d’État mais qui devint plutôt, par ses actes, un individu imbu par une éphémère et illusoire popularité qui le transforma en aliéné politique « s’implosant » volontairement et pourtant à son insu, malheureusement.