Démocrates ou pyrocrates ? Par Brahim ould Bakar Sneïba, ancien officier supérieur et politiste

21 June, 2023 - 18:58

La Baule-Escoublac ou simplement la « Baule » : une commune française de l’Ouest de la France, dans le département de la Loire-Atlantique. De là, le président Mitterrand lança à l’enseigne de trente-sept représentants de l’Afrique, le 20 Juin 1990 lors de la seizième conférence des chefs d’État d’Afrique et de France, un hymne à la démocratie, assorti de conditions alors rédhibitoires. Ce fut à peu près ça : « démocratisez vos États, je vous extournerai de l’aide à partir de vos ressources que la Métropole s’est fait l’habitude de cannibaliser ». Léonin, le contrat ressemblait à s’y méprendre à un programme caritatif mal vécu appelé « Vivres Contre Travail ». Le nouveau deal pouvait s’appeler « Décompresser pour vivre » :l’aide au développement était désormais assujettie à une décompression autoritaire. Sans hésitation ni murmure, beaucoup de « père fondateurs » du Gondwana concoctèrent des « conférences nationales » pour feindre de hasarder le fauteuil sur lequel ils se voulaient vissés ad vitam aeternam. Nationaliste dans l’âme et prévenant, le président Maawiya se laissa emporter à contrecœur par « le vent de la Baule ».  Peu porté sur l’argent, les objets dorés ou les habits bigarrés – il portait invariablement le même costume traditionnel immaculé et utilisait la même voiture blanche –le colonel sut se maintenir pendant vingt ans en talentueux équilibriste, aidé en cela par une crypto-junte soutenue par une gente de cadres argentophiles et par sa propre tribu, généreuse et douée de surcroît d’un réel sens du partage.

 

Gant de velours

Fort d’une vision et d’une ambition manifeste pour son pays, il sut fonder un espace politique où l’opposition jouait un rôle visible mais dont l’accès au pouvoir était comme la ligne de l’horizon qui s’éloigne plus on s’en approche, tant celle-là était résolument divisée et profondément infiltrée par les Renseignements Généraux. En fait, le gant de velours se resserrait au besoin pour un slogan controuvé : « Le changement dans la continuité ». Cela aurait pu s’éterniser, comme au Gabon, au Togo ou au Congo, etc., mais le passif humanitaire qu’il n’aurait jamais voulu voir survenir sonna inexorablement le glas pour le colonel lion et renard. En 2005, ses propres lieutenants le « bujumburalisèrent », comme lui-même s’y était employé à l’encontre de son ami Haïdalla en proie à une dérive despotique par trop palpable, lui naguère si pieux.

 

Maudits, les coups d’État ?

La démocratie est un échec d’autant plus patent que le changement ne s’est toujours opéré que par un putsch, suivi d’une transition transie d’irrégularités. Depuis 1978, date du premier pronunciamiento, c’est plus l’alternative des chars et des urnes que l’alternance au pouvoir. Quarante ans après la chute du « régime de l’irresponsabilité et de la corruption », tel qu’il fut décrit dans le communiqué numéro 1 du CMRN lu par un capitaine de gendarmerie, on n’a, depuis, jamais perdu l’espoir, sans pour autant voir l’avènement d’un modèle de société viable et fiable. Conseillé par des civils, un militaire, toujours élu à la faveur d’un scrutin controversé, mène la barque sur une mer souvent démontée.  Au cours de la dernière décennie maintenant convoquée à la barre, un certain Aziz a su casser des œufs. Scrambledegg ! Mais, à tort ou à raison, les rumeurs de corruption et de concussion traversèrent ses deux mandatures comme un fil rouge. Fidèles au principe selon lequel « l’accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie », nous n’en reparlerons qu’à l’issue de son procès. Mais, étant donnés les échecs itératifs des régimes prétoriens en Afrique, d’aucuns s’en tiennent déjà à une malédiction…

 

Mandat contaminé, un tiers à tout casser

Après la décennie la plus tumultueuse de notre histoire post-coloniale, le général Mohamed Cheikh AlGhazwani prit, non sans grande difficulté, le relais de son compagnon d’armes Mohamed ould Abdel Aziz. Et ce fut le grand espoir ! Homme intelligent, bien éduqué et bien formé, de bonne extraction et de grande capacité d’écoute, il fut acclamé à l’unanimité. Son meeting inaugural de campagne fit un vrai carton. Accrédité de 72 % des intentions de vote, il devait passer avec un score conséquent. Mais un lobby intérieur s’attela à le tenir un échec pour l’amener à un second tour périlleux. Ils accaparèrent sa logistique de campagne pour la retourner contre lui au deuxième tour. Patient et longanime, il ne montra cependant aucun signe d’énervement outre mesure. Avec un calme olympien, il aborda son mandat serein et confiant, donnant à ses ministres toute la latitude à honorer ses engagements électoraux. Mais c’était sans compter avec deux facteurs dirimant à l’émergence du nouvel État tant espéré : une effroyable épidémie nommée Covid 19 et le procès de l’ex-Président, faisant souffrir le martyre au tout-nouveau Raïs. Au bout du compte, mis à part les protocoles d’État chronophages et les cérémoniaux, le chef du chantier national n’aura pu travailler efficacement que le tiers du temps qui lui était constitutionnellement alloué.

 

Bis repetita. Un zaïre valait deux dollars

Nonobstant ces problèmes, le président Ould Cheikh Al Ghazwani demeure vastement, sinon suffisamment, populaire et soutenu pour briguer haut la main un second mandat, à s’en tenir aux derniers scrutins de mai dernier. Mais il lui faudrait donner un coup de pied dans la fourmilière. Notamment dans la nomenclature de l’Administration. D’aucuns déplorent l’irrespect du mérite et des compétences. Jusque-là, beaucoup de ses ministres lui proposent des fonctionnaires sympathiques et répondant au profil « rond de cuir », se servant eux-mêmes au lieu de servir l’État et les ambitions patriotiques de son chef. Il en résulte pour le pays un manque à gagner consolidé, pouvant se chiffrer à des billions. A contrario, le cadre réellement diplômé de grandes écoles civiles et militaires aura suproduire de la richesse et de l’emploi.

1972, un zaïre valait deux dollars. Dans ses œuvres ubuesques, Mobutu posa sans coup férir deux millions de dollars sur la table pour le combat de la jungle, le fameux match de boxe opposant Mohamed Ali à Georges Foreman. Quelque temps après la suprématie de la monnaie zaïroise, il fallait mobiliser quatre millions de zaïres pour s’acheter une bouteille d’eau minérale à l’hôtel Sofitel de Kinshassa. À s’en tenir à la Revue Annuelle Mondiale pour les Economies et les Stratégies (RAMSES), le Congo Kinshasa en serait aujourd’hui à 7% de croissance. En dépit de la banqueroute et le train de vie pharaonique du palais de Gbadolite, le pays de Mobutu a retrouvé la voie de l’essor, grâce aux cadres bien formés sachant travailler efficacement et maximiser le profit.

 

Politiciens pyromanes

À peine arrivé au pouvoir, le président Al Ghazwani sut calmer, par une alchimie dont il a le secret, les ardeurs d’une opposition radicale survoltée, si bien que celle-ci parut alors s’être évanouie dans la Nature. À la faveur des dernières élections locales et parlementaires, elle affecte de reprendre du poil de la bête mais la realpolitik lui dicte de jouer balle à terre. Avec Al Ghazwani, l’unité nationale se porte plutôt mieux et l’on peut espérer des lendemains meilleurs. Mais force est de constater, au règne du « Général de la force tranquille », d’incendiaires sorties meurtrières de certains acteurs de l’espace politique. Des émules de Néron menacent ainsi de « brûler la Mauritanie». L’attitude du chef de l’État paraît considérer ces excès de langage en « enfantillages de nains politiques », si l’on peut dire, dont la langue aurait simplement fourché dans le feu du discours. En tout cas, ceux-là tombent sous la coupe de la loi et doivent être à tout le moins blâmés pour de tels propos pyromanes et contreproductifs. Car il serait abscons de voir brûler l’argent dont on raffole et d’entendre crier les enfants des Harratines dans le brasier, comme les petits romains dans la nuit du 18 Juillet 64 avant J.C., autour du Circus maximus.