Niger : Salifou Modi, naïf, dupe ou perdant ?

6 September, 2023 - 09:12

Petite leçon de prévoyance

L’abécédaire des coups d’Etat, aussi bien en Afrique, Amérique latine, qu’ailleurs sur l’espace mondial de la loi du plus fort, souligne la déchéance inéluctable des numéros 2, piliers pourtant réputés forts, au début de l’aventure. La plupart tirent leur révérence dans l’humiliation, parfois au prix de la vie. Les rescapés, hier faiseurs de roi, deviennent, assez vite, source d’encombrement et d’embarras, à proximité du putschiste en chef ; de défiance en éviction brutale, ils échouent au cul de sac sans fond de l’histoire, lestés d’amertume et de remords. Comme le rappellent l’Agamemnon d'Eschyle puis le Nouveau testament, « Qui sévit par l’épée, ainsi périra ». Le Général nigérien Salifou Mody s’expose à la fatalité.

L’officier avisé et intelligent, dont l’audience et l’influence auprès de ses frères d’armes était considérable avant de pactiser avec le Général Abourahmane Tchiani, risque d’inscrire son nom dans la loi des séries des révolutions qui dévorent leurs auteurs. Affublé, pompeusement, du manteau de numéro 2 de la junte - autant dire cantonné à une mondanité protocolaire - sans autorité ni substance, il joue gros par son ralliement de dernière minute, à l’ancien chef de la garde présidentielle, aujourd’hui maître auto-proclamé d’un Niger sur le fil de la dislocation.

L’ex-chef d’état-major général des forces armées n’a pas été associé au coup d’Etat ni impliqué à sa préparation et n’en fut, encore moins, l’un des artisans tardifs. D’ailleurs, il n’avait eu de cesse de prévenir, le Président Mohamed Bazoum, contre une trahison de Tchiani. Salifou Modi avait recommandé, ces deux dernières années et avec insistance, au Chef de l’Etat, de se méfier de son tombeur potentiel ; aux yeux de Modi, Tchiani incarnait, jusqu’à la caricature, l’ombrageux prétorien dont l’ambition dévorante germe, grandit et enfle, à mesure que mûrit sa familiarité au noyau de la décision. Lui, qui avait appelé à éloigner, Tchiani, de la sphère de commandement au sein du Palais, comment peut-il en soutenir le passage à l’acte, étant entendu que la moitié du personnage Tchiani abritait, déjà, la matrice d’une traîtrise exponentielle ? Qu’espère-t-il d’un guerrier parjure son sacro-saint serment, d’un meneur de troupes si peu digne de la confiance, placée en lui, malgré les avertissements, par le Président Mohamed Bazoum ? Le janissaire s’est retourné contre le Prince et le séquestre. En politique, va l’ingratitude séculaire du spadassin, quand la chance lui sourit trop tôt… Modi, malédiction mise à part, saura-t-il méditer l’enseignement immémorial ?

 

Carrière hypothéquée

 

Le Général Salifou Modi ne s’est pas seulement compromis ; certes, les hommes doués de discernement et en capacité de lire les conclusions d’histoire militaire savent se ressaisir et tirer, à temps, la morale de leur fourvoiement ; de Sun Tzu aux guerres du Péloponnèse, de Niccolo Machiavelli à  Balthazar Gracian, de Karl Von Clausewitz à Curzio Malaparte, l’incontournable technicien du coup d’Etat moderne, la prose du genre fourmille de cas d’école où la prudence garde toujours le dernier mot et tranche, dans le vif, au profit des vertueux. Bien à rebours, Salifou Modi a joué son va-tout et hypothéqué sa carrière, hier promise à l’éclat. Son avenir se confond, dès lors, à la fortune incertaine d’une poignée de factieux, surgie des limbes des années 1970 en Amérique latine. Chasseur d’opportunité sans égard à l’économie du temps, Modi vient de mettre le doigt, voire la main et l’ensemble de ses membres préhensiles, dans l’engrenage d’une partie « à somme nulle ». La théories des jeux, désigne, ici, le pari à fonds éperdus, de deux protagonistes en guerre totale, tant et si bien qu’aucun, au terme de l’épreuve, ne remporte de gain. Soit Modi périt, au bout d’un gibet, durant la putscherie en sursis, soit il s’improvise rectificateur d’une usurpation condamnée à la déconfiture. En possède-t-il encore l’opportunité ?  Sa marge de manœuvre rétrécit, au rythme des heures. En ces périodes hautement létales, l’entre-deux, la demi-mesure et la collégialité relèvent du luxe.

A remonter la rétrospective des révolutions de palais, l’on voit défiler, telle une procession de fantômes à décorations de bronze défraîchi, une cohorte d’officiers qui miment les premiers rôles avant de dégringoler en disgrâce, voire d’être supprimés, au propre comme au figuré. Rien qu’en Afrique, le parcours d’hommes liges, passés à la trappe de la Roche tarpéienne, ne finit de dérouler l’âpre régularité de sa violence.

Le 19 novembre 1968, le Lieutenant Moussa Traoré, accède aux destinées du Mali, à la suite d’une sédition. Un comité militaire de libération nationale (CMLN), dirigé par lui, voit le jour. Le Capitaine Yoro Diakité, promu Premier ministre du gouvernement provisoire et numéro 2 de la junte, lui tient le crachoir, misant, sur les ressources du slogan et la facilité du verbe. L’idylle tourna court. Le 18 septembre 1969, esseulé, Diakité fut démis, sans ménagement, au grief de complot. Jugé pour haute trahison et condamné à mort, il sera déporté au sinistre bagne de Taoudénit, en plein désert ; le 13 juin 1973, il y mourut, à 40 ans, de maltraitance et de faim. 

 

Mon second, le traitre

Au Bénin, le 26 octobre 1972, le Capitaine Mathieu Kérékou, perpétra une mutinerie d’inspiration marxiste-léniniste. À ses côtés, dans la posture de dauphin et rival, le Capitaine Michel Aïkpé, tout puissant ministre de l’Intérieur et de la sécurité succomba à un assassinat, le 29 juin 1975 ; la vox populi le réputait amant de la première dame.

Au Niger - plus tard théâtre de nombreuses insurrections - le Lieutenant-colonel Seyni Kountché renverse le régime du civil Hamani Diori, le 15 avril 1975. La conspiration s’appuyait sur le Commandant Sani Souna Sido, homme de main du Président déchu et confident de son épouse. Dans la foulée, les mutins portent, sur les fonts baptismaux, un Conseil militaire suprême (CMS). Kountché en prend la tête, suppléé par Sani Souna Sido. Le 3 août 1975, le leader de la junte annonça, laconiquement, l’incarcération de son Vice-président. Il dira à l’occasion, pour marquer la fin de dyarchie au sommet de l’Etat : « Le bateau du Niger n’a qu’un seul maître ». Manu militari, Sani Souna Sido acheva sa vie, dans la région d’Agadez, où il fut exécuté sommairement, sur instruction expresse de Kountché.

Le 18 février 2010, Mamadou Tandja, ex-officier supérieur et Président de la République, auteur d’un projet de 3ème mandat (Tazarché ou continuité en Haoussa) sera cueilli à froid, pendant qu’il conduisait les travaux du conseil des ministres ; le Commandant Salou Djibo et ses partisans s’emparent, aussitôt, de la capitale. Un conseil militaire de restauration de la démocratie (CMRD) s’installe en organe dirigeant du pays. Salou Djibo se proclame Chef de l’Etat. Son compère, le Colonel Abdoulaye Badié est catapulté Vice-président et secrétaire permanent de la junte. En 3 mois à peine, il est révoqué et mis aux arrêts. Salou Djibo n’étant porté sur les procédés expéditifs de ses prédécesseurs, Badié, le chanceux, survivra ; il ne recouvrera la liberté qu’au lendemain, de l’élection de Mahamadou Issoufou à la Présidence de la République ; sans lui mais avec ses frères d’armes, la transition enregistrait un franc succès.

En Guinée, le 3 avril 1984, un Comité militaire de redressement national (CMRN) prend la direction des affaires publiques, dès le décès du Président-dictateur Ahmed Sékou Touré. Les pairs du Colonel Lansana Conté le chargent d’occuper la fonction de Chef de l’Etat. Dans la foulée, l’élu de la soldatesque nomme, le Colonel Diarra Traoré, à la tête du cabinet exécutif. La cohabitation, des deux, débouche, assez vite, sur une rivalité précoce. Se sentant marginalisé et affaibli, Diarra Traoré, tente de déposer Conté, entretemps propulsé Général. Avant de sévir, les conjurés furent neutralisés ; cueillis à froid, Diarra Traoré et ses compagnons vont rejoindre l’interminable liste des Guinéens suppliciés. Il mourra de sévices, infligés au recoin de l’un des sombres cachots dont le pays détient le triste record.

Le 22 juillet 1994, en Gambie, le Lieutenant Yahya Jammeh s’impose, littéralement grâce à un malentendu de protocole, contre le Président Dawda Kairaba Jawara. A la faveur d’un pronunciamento réussi sans effusion de sang, le nouveau venu marqua, l’évènement, de son empreinte par la mise en place d’un Conseil provisoire de gouvernement des forces armées (CPGFA), sous son emprise directe. Dans les rôles de Vice-présidents, il avalise la désignation de ses deux collègues, les Capitaines Sana Sabbaly et Sadibou Heydara.  Le premier supervisa, en personne, l’exécution d’une vingtaine de soldats, soupçonnés de fomenter une cabale. Moins d’un an après la naissance du CPGFA, il fut menotté, à son tour. Après 9 longues années de détention, il trouva refuge au Sénégal voisin, d’où il s’exila en Allemagne. Le second, victime de la même purge, décédait, anonyme, dans une prison secrète de Banjul.

 

Cimper limogé

Au Burkina Faso, en 1987, le groupe d’officiers révolutionnaires se délita dans les règlements de compte et les rivalités d’ego. Le Capitaine Thomas Sankara, étoile montante du Burkina Faso, fut éliminé, dans des circonstances encore troubles, au profit de son alter égo, Blaise Compaoré, qui lui succédera. Quant aux autres - Henri Zongo, Jean-Baptiste Lingani - quelques mois après, ils périrent, dans la visée d’un peloton d’exécution.

En Mauritanie, le 12 décembre 1984, Le Colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, procède à une rectification, en douceur, du Comité militaire de salut national (CMSN). Le Colonel Djibril Ould Abdallah, désormais numéro 2, gravit les échelons et s’installe au ministère de l’Intérieur ; il y exercice les pleines prérogatives du proconsul, sur une police alors toute-puissante. En 1990, sans préavis, il est renvoyé du gouvernement. Il entame, jusqu’à sa mort, une longue traversée du désert, dans le dénuement, oublié, sauf de ses victimes.

Le 24 décembre 1999, en Côte d’Ivoire, un quatuor de hauts gradés abrège la Présidence de Henri Konan Bédié. Le Général Robert Guéï, admis à faire valoir ses droits à la retraite, anime, alors, le Conseil de salut public (CSP). En vertu du dosage éthno-régional, le ministère de l’Intérieur et de la sécurité revient au Général Lassana Palenfo qui s’impose, de facto, en deuxième position. Le Général Abdoulaye Coulibaly, selon une logique identique, se réserve la qualité de numéro 3. Le 9 avril 2000, l’unité du CSP se disloque, au prétexte d’un complot, imputée aux deux compagnons de Gueï ; ils se voient décerner un mandat d’arrêt et se réfugient, à l’ambassade du Nigéria, jusqu’à l’achèvement de la transition ; la victoire de Laurent Gbagbo à l’élection présidentielle leur ouvre, non sans accroc, le chemin de la réhabilitation. Celui-ci, les fera arrêter, en novembre 2001, avant de les soumettre à un nouveau procès, au mois de décembre. Ironie du sort, les avocats de Robert Guéï, lui-même renversé par la rue, retirèrent leur plainte contre eux.

Ailleurs dans le monde si saturé de déceptions où l’on meurt aussi d’outrecuidance, passons sur les figures sacrificielles de Lucius Sergius Catilina à Rome, du duo incomaptible Léon Trotsky-Joseph Staline, du Comte Ciano près de son beau-père Benito Mussolini, de la folie de Rudolf Hesse le successeur préféré de Hitler, de Lin Biao à l’ombre de Mao Zedong…Partout, sous l’égide de la sagesse en berne, s’écrit la même histoire d’ambition démesurée, d’orgueil et d’échec mortel…

Le Général méritant Salifou Modi, s’il revisite le passé récent de son pays et les exemples éloquents d’autres officiers qui s’abîmèrent au frottement des meneurs de putschs, devrait s’inquiéter, de son sort. Il a été mal inspiré d’intégrer, à corps perdu et en si peu de précautions, une coterie de soudards dénuée d’aptitude à gouverner.  Lui, le patriote constant, a misé gros, sous la dictée d’un « coup de tête », comme en atteste la formule de Volker Turk, Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, qui décrivait, le 18 août 2023, la spoliation du pouvoir d’Etat au Niger.   Faut-il le redire à Salifou Modi, l’on ne peut danser avec le diable et s’attendre à siéger au paradis. Ici-bas, chacun reste, dans une certaine mesure, ses bourreau et rédempteur ; les portes de la perdition restent toujours béantes devant les individus intolérants à l’humilité, ceux qu’excitent et piègent l’appel de la cupidité et l’illusion des honneurs.

Avant de passer de vie à trépas, il n’y a qu’un pas, jamais annoncé mais souvent prévisible ; espérons que le Général Salifou Modi ne franchira le seuil fatal, en compagnie d’une engeance vouée au déshonneur et à la guillotine ; après avoir commis le péché capital de traîner le Niger et les Nigériens dans l’isolement, l’insécurité et la misère, les voici justiciables, au tribunal des nations, de leur attentat délibéré à la démocratie ; la démocratie, ce n’est ni plus ni moins que le critère de distinction, de notre espèce, en comparaison du règne animal. Un tel crime ne se juge à l’échelle d’un prétoire poussif des tropiques…Il interpelle l’humanité. Oui, elle existe, n’en déplaise aux colporteurs de relativisme culturel, si prompts à nous susurrer, l’insidieuse vocalise d’« à chacun sa barbarie »…..

 

 

Samir Moussa

 Niamey, Niger