Sahel : Quand les avancées démocratiques sont menacées

6 September, 2023 - 09:19

Quand un militaire arrache le pouvoir à un chef d’État démocratiquement élu, à la manière d’Ould Abdel Aziz (Mauritanie), d’Assimi Goïta (Mali), de Mamady Doumbouya(Guinée), de Mahamat Idriss DébyItno (Tchad)ou de Paul-Henri Sandaogo Damiba (Burkina Faso), dans tous les cas de figure il piétine la constitution de son pays et crache sur la démocratie.

Entre 1980 et 2022, le monde a enregistré quatre-vingt-cinq coups ou tentatives de coups d’État. Réussies ou non, elles ont paru parfois insolites ou surprenantes par leurs motifs, comme celui de la Thaïlande (1991), de la Russie (1993), du Qatar (1995), de la Turquie (1997) ou de la Tunisie (2021). Quant aux trois derniers surgis ces deux dernières années au Sahel, ils sont devenus de véritables casse-têtes, tant sur le plan politique que militaire.

Depuis 1990, le Sahel a vécu des périodes très troubles. Dans cette région des plus pauvres de l’Afrique, le Niger bat le record des changements brutaux de régime, avec cinq coups d’État (1996, 1999, 2010,2021 et 2023). Il est suivi par le Mali, quatre (1991, 2012, 2020 et 2021), puis par la Mauritanie, trois (2003, 2005 et 2008) et enfin le Burkina Faso, deux coups qui se sont chevauchés en 2022.

 

Tournures inquiétantes

En Afrique, et particulièrement au Sahel, les populations se sont beaucoup familiarisées avec ces changements de régime, parfois de complaisance ou par abus de position. On peut citer en exemple ce qui advint au Tchad quand le général Mahamat Idriss Itno prit, après la mort de son père Idriss Déby, le pouvoir en guise « d’héritage », sans autre forme de procès. Mais ce qui s’est passé au Mali et au Burkina Faso après l’arrivée d’Assimi Goïta et d’Ibrahim Traoré laisse planer une très grande inquiétude sur toute la région. Nous devons en prendre conscience à temps. Parce qu’au-delà même de l’aspect militaire de la question – aspect certes le plus décrié – il ya l’aspect démocratique et, au-delà, les aspects économique et financier qu’entraînent à l’évidence de telles situations.

Que ce soit au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Tchad ou au Niger, on peut comprendre que des militaires prennent le pouvoir pour écarter un chef d’État en invoquant une raison valable à leur geste. Mais quand ils s’en emparent dans leur propre intérêt ou pour servir celui d’une puissance étrangère, c’est inadmissible. Parce que ce n’est ni dans l’intérêt de leur pays ni dans celui de la sous-région à laquelle appartiennent ces pays théâtre de tels événements parfois très graves.

 

Assimi Goïta, un meneur de « pagaille » qui joue avec le feu

Désigné président du Comité National pour le Salut du Peuple en Août 2020, Assimi Goïta fut ensuite désigné chef de l'État.  En Septembre 2020, il restait aux affaires en qualité de vice-président. Puis après la formation d’un gouvernement conduit par Moctar Wane écartant les colonels Koné et Camara, Assimi Goïta annonça, en Mai 2021, tout bonnement et l’on ne sait en vertu de quels pouvoirs, avoir « démis de leurs prérogatives » le président de la République et le Premier ministre. Il les accusait de « saboter » la transition, en leur reprochant d'avoir formé un gouvernement sans se concerter avec lui. Il avait donc agi dans son intérêt propre et dans celui de ses proches. Âgé de 40 ans lors de son retour au pouvoir avec force et brutalité, Assimi Goïta a semé un désordre anticonstitutionnel et antidémocratique dans son pays.

 

Mali, une politique de provocation envers la France

Le 24 Août 2020, la junte au pouvoir au Mali s’était déjà séparée des émissaires ouest-africains de la CEDEAO, refusant tout accord sur les conditions du retour à l’ordre constitutionnel. Ainsi s’était aggravé le bras de fer entre Assimi Goïta et l’organisation Ouest-africaine dont les dirigeants s’étaient réunis à Accra le 9 janvier 2020, optant pour des mesures dissuasives. Ils avaient fermé leurs frontières avec le Mali, suspendu toutes les transactions commerciales, gelé ses avoirs et rappelé les ambassadeurs des pays-membres de l’organisation. Très ferme, Assimi Goïta plia mais ne rompit pas. Tout au contraire pris par une sorte de folie des « grandeurs » qui ne s’explique ni ne se justifie, il remonta psychologiquement les Maliens contre la France et la CEDEAO, en appelant ses concitoyens à descendre dans la rue pour déverser  leur colère à leur égard.

En Février 2022, les soldats français de l’opération Barkane étaient sommés de quitter le Mali et se voyaient bousculés par des comportements hostiles. Les neuf ans de mariage entre Mali et la France pour lutter contre les mouvements islamistes se terminaient par un divorce unilatéral brutal, teinté de violences verbales. Ce fut aussi la séparation de corps de ce pays avec les partenaires européens de la France et avec le Canada qui décidèrent alors de se retirer. En Mai 2022, le Mali quitta le G5 Sahel. Une décision que les autres pays-membres ont du mal à s’expliquer.

 

La France mal-aimée, traquée et indésirable au Sahel

Certains pensent que ce sont les coups d'État perpétrés au Mali, au Tchad et au Burkina Faso qui ont beaucoup joué en faveur de la dégradation très avancée des relations que la France entretenait avec ses anciennes colonies. De fait, non : plus le temps passe, plus on se rend compte que les mobiles résident ailleurs. Les Russes sont évidemment indexés. Et rien jusqu’ici ne vient prouver que ceux-ci n’aient rien avoir avec ces évènements ; bien au contraire. Au cours de toutes les manifestations organisées après les prises de pouvoir dans ces pays, on a vu brandir des drapeaux russes que la plupart des Sahéliens ignoraient totalement avant l’arrivée des mercenaires de Wagner sur le sol malien.

Depuis que ceux-ci sont venus en appui aux FAMA et malgré les énormes moyens logistiques dont ils disposent et toute la latitude qui leur est accordée par les Maliens pour conduire les opérations, la tendance n’est toujours pas inversée :les terroristes à visage islamique obtiennent plus de victoires que les forces militaires maliennes épaulées par les mercenaires russes.

Mais là n’est pas le problème. Aucune armée au monde ne peut réellement faire face à une guérilla dont les combattants sont en perpétuels déplacements, aptes à frapper partout quand ils le veulent. Le problème, c’est cette haine envers la France qui donne l’impression que les militaires, qu’ils soient du Mali, du Burkina, du Niger ou de la Guinée, confondent le président français, en tant de chef d’un État, et la France, en tant que pays.

On peut l’affirmer : c’est bel et bien une campagne d’intoxication contre la France qui est menée pour interner ce pays dans un « lazaret politique » l’éloignant des pays avec lesquels elle entretenait des relations. Faudrait-il ici penser que la complicité de générations qui régissait les relations entre la France et ses anciennes colonies est en train de cracher le feu, comme un volcan en éruption ?Peut-être. Peut-être parce que les Russes qui n’ont jamais fait bon ménage avec la démocratie s’adaptent de plus en plus aux terrains où les pouvoirs sont soit pris par la force, soit tenus par une dictature. Ce n’est pas pour rien que les Russes se sont engagés à maintenir Bachar Al Assad en Syrie. Ce n’est pas non plus pour rien qu’ils sont en train d’exterminer les Centrafricains qui se mettent en travers de leurs chemins dans ce pays en proie à la guerre civile.

Pas étonnant donc, cette percée... La Russie ne brille pas par ses avancées démocratiques et s’adapte fort bien, comme on l’a dit tantôt, à tout environnement où la démocratie est malmenée. À l’époque Premier ministre de Boris Yeltsine, Poutine avait dit en Octobre 1999 à propos de la Tchétchénie: « On ira y buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Est-ce grâce à cette phrase si militairement insolente et si éloquente quant aux intentions de cet homme accro à la violence qu’il devint, deux mois plus tard, président de son pays ?

Vingt-quatre ans après cette déclaration fracassante, les soldats de la « Légion de la honte », ces Wagnériens véritables terroristes à la gâchette facile, se retrouvent en Afrique de l’Ouest pour « buter » la démocratie jusqu’aux chiottes des palais présidentiels de Bamako, Ouagadougou, Ndjaména, Conakry et Niamey.

 

La souveraineté d’un pays ne doit pas faire oublier l’intérêt de son peuple.

On peut certes décider de revoir les relations politiques avec un pays. Un pays peut même, s’il le veut, les dénoncer, s’il considère qu’il n’en tire que trop peu ou prou d’intérêts. Mais la rupture des relations de ces pays avec la France, avec laquelle l’Afrique a partagé tant d’années de collaboration et d’échanges sous toutes les formes, doit suivre des règles de respect mutuel et de bienséance diplomatique. Le ressentiment des citoyens du Mali, du Burkina Faso et du Niger contre la France n’est d’aucun intérêt pour ces pays. Les dirigeants de ceux-ci qui se sont catapultés aux palais par les armes et les bruits de bottes le savent bien. Et ceux qui injurient la France dans les stades le savent aussi. La France est peut-être un pays devenu étouffant pour certaines de ses anciennes colonies. Son président Macron est peut-être le plus nul des présidents qui se sont succédés à sa tête mais le peuple français était, est et doit rester un ami des peuples africains. Il ne faut pas l’oublier.Injurier la France dans nos pays, pousser des manifestants à brûler le drapeau de cette nation qui a allaité les nôtres à la naissance – et même si ce lait maternel était un pillage de nos ressources – ce n’est pas dans notre intérêt.Après tout et entre nous, le Mali, le Burkina, la Guinée, le Niger, le Sénégal, le Tchad et autres savent parfaitement bien qu’ils n’ont aucun intérêt à pousser la France à prendre des mesures de représailles contre eux.

Si, par exemple et simplement, la France renvoyait en leur pays d’origine les filles du Bois de Boulogne et de Barbès, les éboueurs de Paris et d’ailleurs, les fumeurs de Mantes-la-Jolie, un déséquilibre économique sans précédent risquerait bien de s’installer et pour de bon dans ces pays. Et si cela devait arriver, même le rouble russe ne saurait redresser la situation. Les dirigeants en kaki de ces pays en sont conscients.

 

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant