L’Afrique face au déclin de la démocratie

11 October, 2023 - 16:55

L’Afrique est défiée par les enjeux et les problèmes de ses pays, la diversité de ses outils, systèmes et aspirations ; au total, son union. Cette réalité globale est affectée par les conditions de chaque région où elle se produit, ce à quoi elle est confrontée et l'interaction qu’elle engendre. Ainsi se posent notamment les questions autour du coup d'État au Niger : que représente-t-il pour le Sahel et la région saharienne ? Que dit-il des spécificités du continent africain ? Étrange imbroglio que d’entendre l'Union africaine et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) dénoncer le « coup d'État nigérian », tandis que le peuple le soutenant scande devant l'Assemblée nationale à Niamey le nom de la Russie...

Le Niger est un pays de la région saharo-sahélienne courant entre les côtes africaines de la mer Rouge, à l’Est, et de l’océan Atlantique, à l’Ouest, d’une part ; les limites septentrionales du Sahara et les rives du Golfe de Guinée prolongées à l’Est par celles de la forêt équatoriale, d’autre part. Limitrophe de l’axe libyo-tchadien autour duquel s’architecture les grands enjeux militaro-énergétiques de la planète en Afrique, il prouve, par ses récents soubresauts, combien les transformations en cours sur le continent sont assujetties à l'immaturité politique, sociale et économique que vivent la plupart des pays de cette région, enchaînant en boucle tous les événements. La crise que traverse le Sahel se révèle ainsi une des plus difficiles étapes de l'histoire de tout le continent.

Si plus de deux cents tentatives de coups d’État ont été perpétrées en Afrique au cours des six dernières décennies, beaucoup réussissant à prendre le contrôle du gouvernement, les deux dernières années en ont connu sept et plusieurs autres tentatives ratées, notamment au Bénin en 2021 et en Guinée-Bissau début Février 2022 :coup d'État au Mali en Août 2020, suivi de deux autres l’année suivante (Mali en Mai et Guinée en Septembre), puis déplacement au Burkina Faso – deux coups militaires en neuf mois, le dernier en Septembre 2022 – troubles au Soudan avec les opérations de la milice de soutien rapide (Janjawid) et enfin coup d'État au Niger, en Juillet 2023, qui ne sera certainement pas le dernier sur le continent. Mais on voit ici que le Sahel est particulièrement affecté. Au-delà de ses aspects économiques directs et induits, l'instabilité politique d’un pays affecte d’autant plus ses voisins que tous partagent de similaires conditions géographiques, sociales et religieuses.

 

Les raisons du retour des coups d'État

Deux raisons principales expliquent le réveil des coups d'État dans la zone saharo-sahélienne depuis Août 2020. En un, la détérioration de la situation sécuritaire. Ils ont tous pour dénominateur commun l’absence de sécurité et la montée en puissance de groupes terroristes violents. Du Nord du Mali, les groupes djihadistes ont étendu leur présence vers le Sud-Est, dans la zone dite du « triangle frontalier » où se croisent les frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Les attaques se sont concentrées sur les institutions sécuritaires et militaires mais ont également visé des cibles et des biens civils.

En deux, l’échec du modèle occidental. Il est clair que la conditionnalité occidentale a vidé la démocratie africaine de son essence et le retour des coups d’État en Afrique semble révéler l’échec de cette politique : la démocratie n’est pas une « recette toute faite » qui puisse s'applique uniformément à tout le monde. Il existe un contexte culturel et social différent dans les pays africains. Mais si l’armée semble être la seule force disponible pour répondre aux demandes de changement des Africains et défendre la souveraineté et l’indépendance de l’État, cette institution militaire se retrouve épuisée par des fonctions politiques pour lesquelles elle n’est peut-être pas qualifiée.

 

L’armée « protectrice » de quels intérêts ?

Fin 2010, des protestations populaires éclatent dans les pays d’Afrique du Nord et les peuples de la région se soulèvent contre des régimes autoritaires et une économie au bord de l’effondrement. Les élites dirigeantes avaient pris une mauvaise direction : au lieu d’organiser un développement durable dans la phase postindépendance, elles avaient jeté les bases d’un système patriarcal, basé sur des réseaux de clientélisme et de corruption. Tous les coups d'État se sont suivis d'une bousculade politique, dans de mauvaises conditions sociales, instabilité et immaturité économique et politique générale de l'Afrique, sous le feu nourri d’ambitions de puissances mondiales aux yeux desquelles l'Afrique n’est que butin et lieu de leurs rivalités en ce sens.

Récemment encore, la France dominait de nombreux pays de la région et y gardait de consistants vestiges d'influence. Aujourd'hui, malgré les affirmations actuelles de la Russie de soutenir les pays du continent et de se tenir à leurs côtés, ce sont d’analogues ambitions de domination que manifestent les plans et forces de celle-ci, officielles ou non, à l’instar des milices Wagner dont l’implication dans les problèmes de nombreux pays est devenue scandaleuse. C’est dans le maintien des pays africains en état de sociétés postcoloniales que se développe la stratégie du néocolonialisme français, russe ou autres. La géographie des coups d’État en Afrique indique à cet égard que la région du Sahel en constitue un environnement propice, parce qu’elle est un foyer de menaces de toutes sortes liées au commerce des armes et de la drogue, au crime organisé et à l’immigration clandestine.

 

Construire, du plus local au plus global, une économie intégrée et coopérative

Essayons de lire correctement le chemin parcouru par les pays africains à la lumière du coup d'État au Niger. Tous les événements et politiques expriment le chevauchement entre leurs besoins et leurs nécessités nutritionnelles et financières, d’une part, et, d’autre part, ce qu'ils représentent et jouent aux yeux de grands pays comme la Russie, la France ou autres modèles d'exploitation et de mentalité coloniale. Au lieu d'aider les pays africains à construire leur autonomie et à parvenir à une réelle stabilité, ces puissances ne travaillent au contraire qu’exploiter à leur profit les besoins et les richesses du continent.

Il faut bien repérer ici les deux plaies qui entretiennent cette purulence : la détérioration de la réalité économique et l'instabilité politique en raison de guerres internes, concurrences politique, religieuse et ethnique. S’il convient de les soigner simultanément, la première requiert une attention toute particulière. C’est en effet par la constance que des pays comme l'Afrique du Sud, le Nigéria ou l'Algérie ont surmonté les barrières et la complexité de la situation économique, entraînant une relative stabilité de leur société politique respective. Un exemple à suivre pour ceux où les coups d'État militaires paraissent le seul espoir de sortir de leurs diverses épreuves. La santé économique est la clé de nouvelles conditions. Malmenée, elle génère des répercussions sociétales et religieuses, instabilité et à nouveau coup d'État, dans une sorte de boucle infernale.

C’est donc en commençant par traiter le problème économique qu’on résoudra celui des coups d'État en Afrique. Il s’agit de planifier une économie intégrée et coopérative, du plus local au plus global, garantissant la stabilité des pays ainsi fermement et progressivement protégés d’interventions étrangères cupides. Cela signifie adopter notamment des mesures sérieuses vers la construction économique régionale intégrée. Cela signifie également s’appliquer à réduire, du plus local au plus global, la corruption et les défaillances de l’État. La résorption des coups d’État en Afrique ne peut résulter incluse que d’une réflexion générale et approfondie sur la paix et la sécurité, dans une exploration sérieuse de leurs variables, problématiques et processus permettant de les établir durablement, étape après étape. Pour que la sérénité devienne enfin l’objectif ultime d’un continent vivant depuis trop longtemps sous l’impact de combats sanglants et de nettoyages ethniques.

 

Cheikh Ahmed ould Mohamed

Ingénieur de pêche