Pacte républicain : wait and see… /par Brahim Bakar, Écrivain et politiste

18 October, 2023 - 17:02

C’est quoi pactiser ? « Conclure un pacte avec une tierce personne ; agir de connivence, composer avec quelque chose », nous dit une définition classique. C’est à ce jeu pas toujours périlleux que se sont adonné certains acteurs de notre scène politique. Deux formations de l’opposition ont ainsi récemment signé un pacte avec le pouvoir en place détenant une majorité confortable au Parlement depuis les dernières élections législatives de Mai 2023.

Les autres partis et mouvements du champ politique contestataire n’ont pas voulu prendre la main tendue par le président Mohamed ould Cheikh Al Ghazwani. Les uns et les autres ont certes raison en ce qu’ils invoquent des raisons probablement logiques, au moins sur un plan purement formel. Quels que soient sa nature et son niveau, une offre est à prendre ou à laisser et son acceptation donc facultative. D’habitude la proposition émane d’une initiative amorcée par une personne qui peut la produire ex nihilo mais pas sans mobile intelligible. Quel que soit le marché, économique ou autre, où il la présente, son initiateur recherche le contact et la volonté d’un demandeur ou acquéreur.

Une fois rencontrés sur un point de convergence et ayant convenu de négocier, les deux sont fatalement obligés de faire des concessions pour arriver à une conclusion assortie d’avantages comparatifs, dont les effets ne seront connus qu’à l’issue de discussions parfois longues et âpres, selon l’importance et la vitalité des enjeux. Les conversations peuvent donc finir en queue de poisson ou se voir interrompues de façon brutale et intempestive. Il arrive ainsi que des négociations préliminaires échouent pour ressusciter à court ou moyen terme en de fructueux accords. À cet égard, on se rappelle les pourparlers d’Avril 2022quele gouvernement d’Ould Ghazwani suspendit sine die de façon unilatérale… et qu’on reprend aujourd’hui sous l’appellation « pacte républicain ».

 

Au petit bonheur la chance

Au demeurant toute négociation a ses vertus ; notamment celles de permettre de francs contacts humains et d’ouvrir des horizons et des chances parfois insoupçonnées. La conférence de Madrid de 1991se poursuivit en quinconce, Oslo projetant en filigrane un État palestinien bientôt compromis par les implantations coloniales et l’entêtement de Netanyahu, alors plus soucieux de sa base électorale que de paix au Moyen-Orient. À travers l’Histoire en toutes ses échelles et formats, les accords sont restés fatalement hypothétiques, quant à leur signature, et fragiles, en ce que chaque partie impliquée peut les dénoncer à tout instant sans grand remord.

Voyez l’exemple du pacte germano-soviétique, un des plus célèbres du 20èmesiècle. L’accord de non-agression fut tout simplement déchiré abiratopar le Führer, pour foncer avec ses panzers sur Stalingrad. Trois siècles plus tôt, les traités de Westphalie avaient à l’inverse mis fin à la Guerre de trente ans et initié la fondation d’États souverains. Plus près de nous, dans les Grands lacs et la Corne de l’Afrique, les accords se lient et se délient suivant l’humeur aqueuse des caïds et des rebelles habitués à la guerre. « Comment et pourquoi êtes-vous déjà colonel à votre âge ? », demandai-je à un tout jeune collègue. « Je le dois au nombre de récidives de rébellion et d’accord où nous exigions, à chaque fois, d’être promus à un grade supérieur. » 

 

Quid de nous ?

En termes de format et d’intensité conflictuelle, nous sommes loin de certains tableaux lugubres mais la situation actuelle nécessite un accord comme celui du pacte républicain. Après la signature de ce document de haute facture, des questions ne s’en invitent pas moins : qui en a eu la bonne idée ? Quel intérêt le pouvoir a-t-il à organiser un tel évènement ?  Pourquoi une partie de l’opposition a-t-elle saisi la balle au vol ; tandis que l’autre, constamment agitée, déclinait l’offre ? Quelle nouveauté apporte son contenu ?

Et l’on s’interroge encore sur l’implémentation de l’accord, son nœud gordien. Autrement dit, quelle chance de le voir traduit dans des faits concrets et satisfaisants ? Certes, l’on souhaite que le président Al Ghazwani soit le roi Alexandre qui trancha le nœud qui liait le timon au char du roi Gordias. N’étant guère le domaine du gratuit, la politique n’en est pas moins« l’art du possible ». Un constat qui réunit toujours la volonté de ceux qui ont voulu et celle des « refuzniks »…

Le leader du RFD, figure de proue et opposant de première heure épuisé par un trop-plein de combat, a bien fait de prendre la main tendue par le pouvoir en place. Excluad vitam aeternam de la présidentielle, il a aussi pris acte, sportivement, du préjugé favorable que les Mauritaniens nourrissent envers les candidats issus de l’institution la plus crédible, l’Armée. Ayant traîné des troupes et des cadres dans le désert pendant des décennies, il lui semble grand temps de leur faire une place au soleil. Ne plus s’opposer pour s’opposer. Constructif, voire instructif, il a préféré contribuer substantiel-lement dans l’espace politique par un acte altruiste, porteur de paix et de stabilité.

Quant au chef de l’UFP, ce politicien hors pair par son intégrité et son patriotisme, il a bien tapé dans le mille. Dirigeant d’un « parti de cadres » longtemps contestataire, aujourd’hui attestataire, il fait « rentrer une corne » dans les affaires de la cité, sachant qu’il ne pourra pas lui-même conquérir le pouvoir. Pourtant fort de toutes les qualités d’un président, il n’y parviendrait que très difficilement. En fait et comme l’albatros, ses ailes de géant l’empêchent de marcher, d’autant plus que, redouté pour sa position dominante en plus d’un domaine de la vie du pays, son ensemble tribal ne l’aide paradoxalement pas.

 

Sage président

Les raisons et mobiles qui ont décidé le sage Al Ghazwanine sont certes pas le fruit du hasard. D’emblée, on peut dire que cela dénote une circonspection certaine. Bénéficiant d’une majorité confortable et donc des plus étendus pouvoirs, il n’a pas cédé à l’égotisme et la boulimie dont souffrent nombre de « monarques élus ». Le vainqueur de la dernière présidentielle et de surcroît chef incontestable de la majorité couvait, semble-t-il, un problème de conscience, regrettant avoir par trop laminé l’opposition, ainsi raréfiée sous la grande coupole. Un quasi-monopole qui le dérangerait plutôt : un espace politique sans opposition est insipide. En signant le pacte républicain, il amadoue deux partis crédibles pouvant contribuer concrètement à sa réélection en 2024, sachant par ailleurs que les « refuzniks »restent récupérables dans les eaux de la présidentielle prochaine. Ceux-ci n’ont pas voulu mettre dans la balance leur seul atout : brandir les armes de la désunion et des revendications identitaires. Al Ghazwani n’éprouverait donc aucun dédain ni velléité d’exclusion vis-à-vis des partis ayant refusé sa main tendue, appréciant leur position comme un mal nécessaire à l’existence de l’antinomie majorité-opposition dont l’absence donne l’impression d’une unipolarité indésirable dans la vie politique nationale.

 

Pactasuntservanda ?

Le pacte dûment signé, ses contenu et opportunité sont des questions désormais résolues et révolues. Il s’agit maintenant d’augurer de la mise en œuvre effective et efficiente de ses subséquents engagements. Suivant la locution latine « pactasuntservanda », les parties au contrat ne sauraient déroger aux obligations qui en sont issues et la fondation d’un comité d’orientation et de suivi laisse espérer une implémentation correcte de l’accord. Mais quelles que soient les lacunes du document fétiche, il demeure un acte de bonne volonté à l’actif et à l’honneur du chef de l’État et de l’opposition proactive.

Il en va ainsi de tout dialogue soucieux de positivité. L’agir communicationnel cher à Jurgen Habermas est la règle du jeu dans l’espace politique. Si l’on était au judicaire, on dirait, du règlement à l’amiable, qu’« un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ».Ainsi pourrait-on ici conclure qu’un accord est toujours préférable à un désaccord…