Repenser le système de nomination des juges/Mohamed Bouya ould Nahy*

8 November, 2023 - 09:55

Terre d’Islam et de traditions, la Mauritanie a connu des mutations sociales profondes, du fait de la politique coloniale et de l’urbanisation accélérée. Avec l’indépendance, de nouvelles classes sociales émergèrent, supplantant les structures traditionnelles et leur mode de représentation. Cette dynamique de changement est depuis remise en cause par le retour en force du tribalisme, comme vecteur d’identification et de représentation.

Malgré l’engagement ferme du nouveau pouvoir politique à lutter contre toutes les entraves sociales, le phénomène tribal est toujours là, même si son ampleur varie d’un secteur à l’autre. Au niveau de la justice, il prit une dimension nouvelle avec la nomination de Mohamed Mahmoud ould Boye à la tête du ministère. Partisan d’une vision traditionaliste, il considère « la fonction de juger » comme un attribut de sa communauté tribale. Selon sa conception, la conduite des tribunaux et leurs parquets doit être confiée aux magistrats appartenant à celle-là ; leurs collègues issus de groupes différents devant être placés dans des postes secondaires.

Ainsi le Conseil de la magistrature tenu en Décembre 2021, sur initiative d’Ould Boye, a engagé un vaste mouvement du personnel, accordant la part belle aux magistrats issus de la communauté tribale du ministre qui se sont vus attribués l’essentiel des postes-clés dans l’appareil judiciaire. Les éléments appartenant à d’autres groupes sociaux ont été casés dans des fonctions subalternes: conseillers, substituts, etc. Les sessions ultérieures dudit Conseil tenues en Décembre 2022 et Juillet 2023 ont conforté cette orientation tribale dans les nominations.

Cette tendance est depuis devenue une constance de sa stratégie de gestion des ressources humaines du département. Cette situation est cependant appelée à évoluer et une réforme du système de nomination des juges est urgente pour corriger ces défaillances. Cette entreprise passe nécessairement par une limitation stricte du pouvoir de nomination du ministre de la Justice et une réorganisation du Conseil supérieur de la magistrature. Construire une justice républicaine exige le bannissement des critères du tribalisme et de l’ethnicisme. Parce que la justice doit être le miroir de la nation dans toute sa diversité.

 

*Ex-procureur de la République de Nouakchott